POINT DE VUE

Dénervation rénale, MitraClip et ECG sur guide : des innovations qui font un retour remarqué à EuroPCR

Pr Gabriel Steg, Pr Jean-Philippe Collet

Auteurs et déclarations

29 mai 2018

Enregistré le 25 mai 2018, à Paris, France

En direct du congrès de l’EuroPCR 2018, Gabriel Steg et Jean-Philippe Collet discutent des innovations récentes dans 3 domaines clés de la cardiologie interventionnelle : « renaissance » de la dénervation rénale dans l’hypertension artérielle, essais très attendus dans le traitement percutané de l’insuffisance mitrale, ECG sur guide vs FFR lors des angioplasties de bifurcation dans la maladie coronaire.

TRANSCRIPTION

Gabriel Steg — Bonjour, je suis Gabriel Steg, de l’hôpital Bichat à Paris. Nous sommes au congrès EuroPCR 2018 et j’ai le plaisir de m’entretenir avec le Pr Jean-Philippe Collet de la Pitié-Salpêtrière, à propos de ce congrès qui, comme chaque année, est à la fois un grand événement assez diversifié, remarquablement organisé, une « grand-messe » très bien huilée de toute la cardiologie interventionnelle, avec un panorama très divers – les coronaires, le structurel, la dénervation rénale, beaucoup de sujets intéressants… Qu’est-ce qui vous a intéressé cette année, particulièrement ? Qu’est-ce qui vous a frappé comme nouvelle importante à EuroPCR, Jean-Philippe ?

HTA : une « renaissance » de la dénervation rénale

Jean-Philippe Collet — On peut dire que les grands essais interventionnels étaient avant tout sur la dénervation rénale : deux essais [1,2] [RADIANCE-HTN SOLO et SPYRAL HTN-ON MED] avec deux techniques différentes sur la réduction de l’hypertension artérielle – et on a l’impression que c’est plutôt positif. La question qu’on peut se poser avec ces deux techniques différentes, est l’impact que cela va avoir sur 1) les événements cliniques au long cours et 2) l’impact médico-économique, puisqu’en termes de population on sait que l’hypertension reste un grand défi à cause de la mauvaise observance thérapeutique, des objectifs qui ne sont pas toujours atteints. Je pense que cela peut être une solution dans le futur proche.

Gabriel Steg — Oui, la dénervation a été une des grandes nouvelles du congrès. On a eu en matière de dénervation rénale le cycle habituel de l’innovation – une phase d’enthousiasme initial en se disant « on a trouvé le traitement de l’hypertension artérielle » – et puis un essai négatif [SYMPLICITY-HTN3] qui était le premier à être contrôlé par une procédure sham et qui a montré qu’en fait, par rapport à une procédure sham, il n’y avait pas de baisse de pression artérielle notable de la dénervation, en tout cas telle qu’elle était réalisée aux États-Unis avec les appareillages de l’époque. Et ensuite une petite remontée avec un essai français – DENER-HTN, mené par Michel Azizi – qui a montré un certain degré d’effet. Et là, cette année, une situation assez intéressante, contrastée : plusieurs essais avec plusieurs nouveaux outils de dénervation rénale. Ces essais sont désormais contrôlés avec une procédure sham dans le groupe contrôle, donc on a vraiment une procédure de placebo qui est réelle. Et on observe qu’il y a certaines techniques qui ne marchent pas et puis il y en a deux qui marchent  vraiment, qui entraînent une baisse de pression artérielle qui est soutenue, qui est vérifiée par des Holter tensionnels plusieurs mois après le début du traitement, avec des essais qui ont été réalisés, pour certains, sans médicaments – vraiment l’effet pur de la dénervation rénale – et puis d’autres chez des patients qui sont sous traitement, mais dont le traitement est particulièrement contrôlé pour s’assurer que cela ne biaise pas les effets et que tout ceci est en aveugle. Et on observe des baisses de pression artérielle qui peuvent paraître modestes en quantité – 4 à 6 mm Hg pour l’un et presque 10 mm Hg tant la nuit que le jour sur l’Holter tensionnel pour l’autre. Mais 4 à 6 mm Hg, c’est en réalité considérable…

Jean-Philippe Collet — Tout à fait, oui. Cela correspond à l’effet d’une classe thérapeutique prise sur le long cours ; on peut donc espérer un vrai effet sur les événements cliniques durs, notamment les AVC, puis peut-être la mortalité sur des essais grande taille.

Gabriel Steg — Oui. Alors, il faut quand même rappeler que le contrôle de l’hypertension artérielle en France reste très médiocre – on vient d’avoir une grande enquête nationale dont les résultats ont été publiés il y a quelques semaines qui est catastrophique, puisqu’elle montre qu’on ne progresse pas et même on recule dans le contrôle de l’hypertension artérielle de la plupart des patients, notamment dans le traitement de l’hypertension artérielle des femmes. Et toujours les problèmes absolument non résolus de l’observance thérapeutique. On sait que l’observance reste très médiocre – au moins 40 à 50 % des patients ne prennent pas la totalité ou ne prennent pas du tout leur traitement antihypertenseur et donc restent exposés aux complications de l’hypertension : accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale. Et là, on a quelque chose dont l’observance va être, si je puis dire, remarquable. Alors après il restera la question des effets secondaires de ces procédures, de leur complexité et leur coût, mais il faut les mettre en perspective avec la balance, qui est de prendre un traitement médicamenteux – avec lui aussi ses coûts et ses effets secondaires – pendant des années. Donc, peut-être que cela va devenir une arme supplémentaire dans l’arsenal. En tout cas, moi j’y vois une renaissance de la dénervation rénale.

Jean-Philippe Collet — Cela fait partie des interventions du cardiologue interventionnel, entre guillemets. Et moi, la question que je me pose aussi, c’est la nécessité de refaire des interventions, puisqu’il y a quand même des phénomènes d’échappement au long cours, donc ce sont des choses qu’il faudra regarder de près.

Gabriel Steg — Oui. On n’a pas encore de données solides sur le devenir à long terme de ces patients, puisque les essais viennent d’être présentés et qu’on a six mois de suivi. Ce sera extrêmement intéressant et important de voir ce qui se passe au très long cours, qui peut d’ailleurs aller dans les deux sens, parce qu’on peut imaginer qu’il y ait une perte de l’effet, ou on peut imaginer que l’effet persiste et, dans les deux cas, cela a des avantages et des inconvénients. Notamment, lorsque les gens deviennent très âgés, parfois on est amené à alléger leur traitement antihypertenseur s’ils commencent à avoir de l’hypotension orthostatique et on pourrait se poser la question de quelle est la sécurité d’un traitement qu’on ne peut pas alléger.

Jean-Philippe Collet — Tout à fait, oui. Et le coût de la procédure, on l’estime à combien à peu près ?

Gabriel Steg — Alors, pour l’instant ce seront des procédures interventionnelles qui ne sont pas très différentes des procédures d’angioplastie périphériques, donc c’est un coût qui est réel, mais qui n’est pas non plus prohibitif. Tout ceci est encore très théorique, on est au stade des essais cliniques, on n’a aucune idée du coût des appareils. Cela ne devrait pas être un coût astronomique, parce qu’il n’y a pas dispositif médical qui soit implanté, donc cela devrait probablement être un coût acceptable, en tout cas en regard des coûts des médicaments pris pendant des années. Donc c’était vraiment un sujet qui est intéressant, parce qu’on voit la courbe de l’innovation : l’enthousiasme, la désillusion et puis un rebond, et on revient à une position médiane. Il est probable d’ailleurs que les outils qui ont été testés et présentés ici ne sont pas les versions définitives et qu’on va continuer à voir des améliorations marginales additionnelles, jusqu’à ce que, dans quelques années, on ait des dispositifs qui soient complètement matures. Ce sera vraiment intéressant de suivre ce domaine.

Alors, il y a eu aussi beaucoup d’autres choses, notamment dans le domaine des coronaires, des valves… en particulier sur la mitrale…

Insuffisance mitrale : le cycle de l’innovation se poursuit

Jean-Philippe Collet — La mitrale suit le cycle de l’innovation, la vague descend et remonte. Je pense qu’on arrive à une technique qui est mature, le MitraClip, puisque maintenant ce sont des procédures qui sont remboursées, où on sait à peu près sélectionner les patients. Donc, il y a l’étude MITRA-FR qui va être présentée à l’ESC…

Gabriel Steg — C’est un essai français de financement public, un PHRC national, qui va être présenté à l’ESC et qui va être très important.

Jean-Philippe Collet — Exactement – sur vraiment l’insuffisance mitrale secondaire versus traitement médical standard. Et puis il y a la suite, qui vient d’être lancée, qui est MITRA-HR, par Patrice Guérin, un autre PHRC et là qui se compare à la chirurgie dans l’insuffisance mitrale sévère, chez des patients qui sont à haut risque, mais qui sont toujours éligibles pour la chirurgie. Donc on voit que c’est une technique qui arrive à maturation et on suit le processus du TAVI d’il y a 10, 15 ans, où on s’est comparés au traitement médical chez les malades, jugés disons « inopérables » et ensuite à la chirurgie. Donc, c’est un cycle qui continue.

Gabriel Steg — Donc le traitement de l’insuffisance mitrale mûrit, le traitement percutané de l’insuffisance mitrale mûrit. On a maintenant des résultats qu’on connaît bien, qui sont prévisibles et calibrés, et la question est « est-ce qu’on va être capable de faire aussi bien, sinon mieux que la chirurgie? »

Jean-Philippe Collet — Exactement. Alors, après, il y a les dispositifs médicaux implantables du type valve percutanée où là on en est encore aux balbutiements, mais ça s’améliore. Il y a l’approche transseptale qui se développe avec toutes les nouvelles valves qui sont en cours d’essai. On ne sait pas laquelle va être celle qui va sortir du lot, puisque c’est quand même des technologies nouvelles. L’approche est un peu différente du TAVI, puisque c’est l’anatomie qui doit s’appuyer sur la prothèse et pas l’inverse. Donc c’est pour ça qu’on est encore dans des études un peu de first in man ou des premières études versus traitement médical.

Gabriel Steg — Nous sommes encore dans une phase préliminaire.

Jean-Philippe Collet — Exactement.

Coronaires : ECG sur guide dans les angioplasties de bifurcation

Gabriel Steg — Dernier point : les coronaires. Est-ce qu’il y a encore de l’innovation en cardiologie interventionnelle coronaire ?

Jean-Philippe Collet — Je pense que l’innovation ne s’arrête jamais. On s’améliore sur le point technique. Il y a aussi des choses anciennes qui sont remises au goût du jour et j’ai assisté à une session où ils présentaient notamment les résultats de l’ECG sur guide dans les angioplasties de bifurcation. Alors l’ECG sur guide, c’est quelque chose qu’avait testé Bernie Meier il y a plus de 35 ans : c’est simple, il faut mettre une pince crocodile qui est reliée à un enregistreur électrocardiographique sur le guide, donc on enregistre le signal électrique dans la coronaire. Là, il y avait une belle petite étude [3] qui s’est comparée à la FFR dans l’angioplastie de bifurcation et qui montre que la sensibilité et la spécificité pour détecter l’ischémie de cette technique qui ne coûte rien est aussi bien que la FFR.

Gabriel Steg — Oui, parce que c’est une question qui est fréquente. Quand on fait une angioplastie de bifurcation, le devenir de la branche fille est parfois incertain – il peut y avoir des complications sur la branche fille et on se demande « faut-il y retourner ou pas ? » Et donc là, une évaluation simple, en mettant une pince crocodile sur le guide, permet de savoir s’il y a de l’ischémie dans le territoire résiduel.

Jean-Philippe Collet — Exactement. Et ça peut économiser des procédures…

Gabriel Steg — Une idée simple qui résout un problème compliqué.

Jean-Philippe Collet — Exactement. Donc, il y a une grande étude clinique qui va être mise en route, justement versus FFR, pour voir le gain en termes de risque d’infarctus péri-procéduraux et de nécessité de réintervention. Donc je pense que l’innovation humaine, c’est quelque chose qui ne s’arrêtera jamais.

Gabriel Steg — Voilà, c’était un tour d’horizon qui est nécessairement superficiel et incomplet compte tenu de la diversité et de la taille du congrès, mais quelques-uns des sujets qui nous ont intéressés lors de EuroPCR. J’espère qu’ils vous auront intéressés également.

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....