Baclofène : toujours plafonné à 80 mg/jour mais des exceptions sont possibles…

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

30 mai 2018

Paris, France -- Fin du suspense quant au recours formulé par des patients auprès du Conseil d'État, pour annuler la décision de l'ANSM d'abaisser de 300 mg à 80 mg la dose maximale de baclofène. La réponse du conseil d'État est négative : il n'y aura pas d'annulation de la décision de l'ANSM. Paradoxalement, cette réponse n'est pas non plus une défaite pour les associations de patients qui souhaitaient son annulation. Car, dans le détail, le Conseil d'État satisfait toutes les parties prenantes.

Marathon juridique

Rappel des faits. Le 24 juillet dernier, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) décidait d'abaisser la dose maximale quotidienne de baclofène, dans le traitement de l'alcoolisme, de 300 mg à 80 mg (voir RTU baclofène : l’ANSM va limiter les doses à 75 ou 80 mg/​j). Le baclofène fait l'objet d'une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) depuis 2014. Cette RTU a été renouvelé pour un an en mars 2017, tandis qu'un dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) est actuellement instruit.

Cet abaissement de la posologie était contesté par les médecins spécialistes de la molécule et provoquait colère et angoisse chez certains patients pour qui une dose de 80 mg quotidien était jugée totalement inefficace. Une association, Baclohelp, se créait, autour de Thomas Maës-Martin, époux d'une patiente traitée pour son alcoolisme par baclofène. Dès lors, l'association Baclohelp entamait un marathon juridique pour faire annuler la décision de l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). Après avoir déposé de manière infructueuse deux recours devant le ministère de la Santé et l'ANSM, les patients se tournaient alors vers le Conseil d'État, en demandant dans une procédure en référé l'annulation de la décision. Le Conseil d'État, jugeant que la procédure ne revêtait aucun caractère d'urgence, avait décidé fin février de ne pas annuler cette décision en référé, et s'en remettait au jugement sur le fond du Conseil d'État. Lequel vient d’être rendu public.

Une réponse du Conseil d’état pas si négative que ça

Si le Conseil rejette la demande de la patiente, elle nuance toutefois son propos. Et ce sont ces nuances qui font écrire à l'association Baclohelp que dans ce jugement, il y a « du négatif et du positif ». L'association de patients, dans un communiqué, retient trois points importants dans cette décision :

- « la possibilité de la prescription et de la délivrance hors RTU et hors AMM est publiquement affirmée ;

- le pharmacien ne peut refuser la délivrance au seul motif que la prescription est hors RTU (ou hors AMM) ;

- pour les patients sous RTU qui sont à plus de 80 mg par jour, ils peuvent « temporairement » mais sans limite de temps (pirouette habituelle du Conseil d’Etat pour laisser du mou) rester à des doses hautes. »

La prescription quotidienne à des doses > 80 mg reste possible

Dans le détail, le Conseil d'État rappelle que le directeur général de l'ANSM peut suspendre, modifier, ou retirer une recommandation temporaire d'utilisation, en cas de suspicion de risque pour la santé. Il n'a pas à recueillir, auprès des industriels fabricant du baclofène, de nouvelles données, ou à mener une nouvelle évaluation de l'efficacité et de la sécurité du baclofène. De même, une modification de RTU ne doit pas forcément être précédée de la consultation d'une commission de l'ANSM. Toutefois, ajoute le Conseil d'État, comme l'a relevé l'association Baclohelp, cette RTU n'empêche pas le médecin de prescrire le baclofène hors AMM, s'il l'estime nécessaire.

De même, un pharmacien ne peut s'opposer à la délivrance d'un médicament, en l'occurrence le baclofène, en arguant du fait que la prescription ne respecte pas les indications de l'AMM, ou même celles de la RTU. Plus avant, le Conseil d'État ajoute même que la modification de la RTU du baclofène ne remet pas en cause la prescription de baclofène à des doses au-delà de 80 mg quotidien pour des patients « pour lesquels elle présenterait des bénéfices supérieurs aux risques eu égard notamment à la gravité des conséquences de l’alcoolisme et à l’échec des autres traitements disponibles ».

Aussi, la modification de la RTU du baclofène ne peut pas non plus entrainer une réduction brutale des doses de baclofène, même au-dessus de 80 mg. Le Conseil d'État ajoute que cette décision de modification de la RTU a été prise dans l'attente des résultats de l'instruction de l'autorisation de mise sur le marché (AMM).

Évaluation du CSST

À ce sujet, rappelons que l'ANSM a rendu public le 24 avril une première étape de cette demande, à savoir l'évaluation du rapport bénéfice/risque du baclofène dans le traitement de patients alcoolo-dépendants. Cette évaluation a été établie par le comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) en avril dernier. Laquelle concluait, dans un premier temps, que la diminution de la consommation d'alcool due au baclofène, comparé au placebo, dans deux études, ALPADIR et BACLOVILLE, n’était pas pertinente, eu égard aux limite méthodologiques de ces deux études même si la baisse de la composante obsessionnelle/compulsive (craving) avec le baclofène dans ces deux études constitue un résultat probant. Le comité note également une hausse de la fréquence des événements indésirables avec le baclofène comparé au placebo : troubles psychiatriques, asthénie, troubles gastro-intestinaux. Tout en ajoutant qu’« aucune conclusion définitive ne peut être tirée sur l’existence de lien entre les évènements indésirables et la dose de baclofène ». Dans l'étude BACLOVILLE, cinq décès sont imputables au traitement. Par ailleurs, en se fondant cette fois sur une étude épidémiologique réalisée en vie réelle par la Cnamts/ANSM/Inserm, le Comité constate que l'utilisation du baclofène est fortement associée à un risque accru, augmentant avec la dose, d'hospitalisation et de décès. En conclusion, pour le CSST, l'efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d'alcool a été jugée insuffisante. Tandis que les effets indésirables, en particulier à des doses élevées de baclofène, « conduit à considérer que le rapport bénéfice/risque est négatif" ». 

Avant de rendre sa décision sur une autorisation de mise sur le marché du baclofène, l'ANSM doit encore réunir les 3 et 4 juillet prochains une commission ad hoc qui procèdera à des auditions de praticiens et de patients. Dans l'attente de sa décision définitive, la RTU du baclofène est maintenue.

 

 

 

 

 

 

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