Kétamine intranasale: l’efficacité sur la dépression résistante confirmée en phase 3

Vincent Richeux, Deborah Brauser

Auteurs et déclarations

23 mai 2018

New York, Etats-Unis Présentés lors du congrès de l’American Psychiatry Association (APA 2018), les résultats d’une étude de phase 3 viennent confirmer l'efficacité et la bonne tolérance de l’eskétamine (une forme de kétamine) administré par voie intranasale, en combinaison avec un antidépresseur, dans le traitement de la dépression résistante [1].

« Les patients traités par eskétamine ont présenté une diminution rapide et significative de leurs symptômes dépressifs, avec un effet clinique notable, comparativement à ceux prenant un traitement standard », a déclaré le Dr Vanina Popova (Janssen Research and Development, Anvers, Belgique), co-auteure de l’étude, lors de sa présentation.

Près d’un tiers des patients souffrant de dépression sont résistants aux antidépresseurs. Alors que l’administration par voie intraveineuse de kétamine, un antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) a montré un effet antidépresseur important et rapide, l’attention se tourne désormais vers l’eskétamine, un énantiomère de la kétamine, plus facile à administrer et mieux toléré.

Deux fois par semaine en intranasal

Cet essai de phase 3 international a inclus plus de 200 patients dépressifs, âgés en moyenne de 45 ans et résistants à au moins deux traitements. Ils ont été randomisés pour recevoir deux fois par semaine, en intranasal, soit de l’eskétamine (56 mg, avec une hausse possible à 84 mg), soit un placebo, en plus d’un autre antidépresseur.

La durée de traitement était de quatre semaines et la phase de suivi s’est déroulée sur deux mois. Pour le médicament antidépresseur, le praticien avait le choix entre le duloxétine (Cymbalta®, Eli Lilly), l’escitalopram (Seroplex®, Lundbeck), le sertraline (Zoloft®, Pfizer) ou la venlafaxine à libération prolongée (Effexor®, Wyeth).

Les patients présentaient initialement une dépression modérée à sévère, avec des symptômes dépressifs associés à un score moyen de 37 sur l’échelle de Montgomery-Asberg (MADRS). A J28, l’amélioration des symptômes est nettement plus importante dans le groupe recevant l’eskétamine, avec une différence de score MADRS moyen de -4 points.

Cette différence est importante, a souligné le Dr Popova, auprès de nos confrères de Medscape édition internationale. « Les antidépresseurs actuellement disponibles sont habituellement associés dans les essais à une différence de score MADRS de 2 à 3 points, par rapport au placebo ».

Une rémission dans la moitié des cas

Une rémission, définie comme un score total MADRS de 12 ou moins au 28ème jour, a été observée chez la moitié des patients (53%) du groupe sous eskétamine, contre 31% dans le groupe placebo. Le taux de réponse (baisse de 50% du score MADRS initial) était respectivement de 70 et 52%.

« La réponse a été très rapide, puis a augmenté au fur et à mesure que les doses se sont répétées », notent les auteurs. Dans une précédente étude de phase 2, la relation dose-réponse est apparue significative, avec une baisse du score MADRS de 7 et 10 points en une semaine, respectivement pour des doses de 56 mg et 84 mg.

En ce qui concerne la tolérance, les deux effets secondaires les plus fréquents étaient les nausées et la sensation de vertige, rapportés par 26% des patients prenant l’eskétamine, contre respectivement 6,4 et 2,8% dans le groupe placebo. Parmi les autres effets secondaires les plus communs figurent les céphalées et une altération du goût (dysgeusie).

Une hausse transitoire de la pression artérielle a également été observée dans les 40 minutes qui ont suivi l’administration de l’eskétamine. La pression artérielle revenait au niveau initial au bout d’une heure et demi en moyenne. « La plupart des événements indésirables ont disparu 60 à 90 minutes après l’application du spray nasal », a commenté le Dr Popova.

 
Le taux de réponse était respectivement de 70 et 52%.
 

Demande d’AMM d’ici fin 2018

« La sécurité et de la tolérance rapportées dans cette étude pour ce traitement suggèrent un rapport bénéfice-risque positif », soulignent les auteurs. « Si la molécule est approuvée par la FDA, ce serait l’une des premières approches thérapeutiques validées contre la dépression résistante en 50 ans », a souligné le laboratoire dans un communiqué.

L’un des représentants de Janssen a indiqué que le laboratoire prévoit de déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis et en Europe d’ici la fin de l’année. D’autres résultats à plus long terme seront également présentés lors du prochain congrès de l’Américain Society of Clinical Psychopharmacology.

 
La sécurité et de la tolérance rapportées dans cette étude pour ce traitement suggèrent un rapport bénéfice-risque positif  Les auteurs
 

Invité à commenter l’étude, le Dr Philip Muskin (Columbia University Medical Center, New York, Etats-Unis), membre du comité de l’APA, s’est montré enthousiaste. « C’est une nouvelle approche intéressante pour traiter des patients difficiles. Non seulement il y a une réponse au traitement, mais elle se maintient dans le temps ».

Si la kétamine par voie intraveineuse s’est révélée efficace, « elle reste une molécule psychoactive avec ses effets secondaires, dont la réponse n’est pas toujours persistante », a ajouté le psychiatre. « Avec cet isomère de la kétamine administrable par spray nasal, on ne retrouve pas, semble-t-il, de symptômes psychotiques, comme la psychose ou les symptômes dissociatifs ».

Selon lui, « obtenir une différence de 4 points dans la baisse du score de MADRS serait déjà un résultat très satisfaisant pour n’importe quel patient dépressif. Il l’est encore plus chez des patients souffrant de dépression résistante. D’autant plus que les effets indésirables, qui restent minimes, sont temporaires, contrairement à ceux associés aux autres antidépresseurs. »

Il reste désormais à définir la place de ce traitement, savoir notamment s’il peut être utilisé en première ligne ou après un certain nombre d’échec avec des antidépresseurs standards. D’autres recherches doivent aussi être menées, estime le Dr Muskin, en constituant une cohorte plus importante, pour affiner notamment le dosage et connaitre les effets à plus long terme.

Obtenir une différence de 4 points dans la baisse du score de MADRS serait déjà un résultat très satisfaisant pour n’importe quel patient dépressif. Il l’est encore plus chez des patients souffrant de dépression résistante.

 

 

L’étude a été financée par Janssen Research & Development, où exerce le Dr Popova.

 

Le Dr Philip Muskin n’a pas déclaré de conflits d’intérêt en lien avec le sujet.

 

 

 

 

 

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