Lien entre narcolepsie et vaccin anti grippe A : ce que l’on sait aujourd’hui

Aude Lecrubier

18 mai 2018

Pr Yves Dauvilliers

Bordeaux, France – Combien de cas de narcolepsie liés au vaccin anti grippe A sont aujourd’hui recensés en France ? Qu’a-t-on appris sur les mécanismes possiblement impliqués ? Lors des Journées de Neurologie de Langue Française (JNLF) qui se sont déroulées à Bordeaux du 10 au 13 avril dernier, le Pr Yves Dauvilliers (neurologue, troubles du sommeil et de l’éveil, CHU de Montpellier) a fait le point sur les dernières actualités pour Medscape édition française.

Medscape : Aujourd’hui, à combien estime-t-on le nombre de cas de narcolepsie liés au vaccin contre le virus de la grippe H1N1 ?

Pr Y. Dauvilliers : La campagne du Pandemrix® (GSK) a été associée à une augmentation d’un facteur 4 à 5 du nombre de cas de narcolepsie dans tous les pays où le vaccin a été utilisé.

En France, 7,5 millions de sujets ont été vaccinés, 4 millions avec le Pandemrix®, 1,6 millions avec le Panenza®  (Sanofi-Pasteur, sans adjuvant). Sur l’ensemble, 120 dossiers sont remontés à l’Oniam pour être expertisés. Quelques uns sont discutables mais on estime qu’en France, une bonne centaine de cas de cette maladie rare sont imputables au vaccin contre H1N1.

Aujourd’hui, le lien chronologique, épidémiologique est assez clair mais, être certain de l’imputabilité du vaccin pour un sujet donné est beaucoup plus compliqué. Il y a des gens qui développent la maladie 18 mois après la vaccination. Comment être certain qu’il n’y a aucun lien ? Aussi, nous avons moins de recul avec le vaccin Panenza® car il n’a été utilisé que dans des populations ciblées (femmes enceintes, nourrissons, immunodéprimés). Enfin, des personnes ont pu être vaccinées et infectées. Or, nous savons que les infections peuvent jouer un rôle dans le développement de la narcolepsie. Est-ce que l’infection H1N1 a pu, en elle-même, activer le système immunitaire et détruire les neurones à hypocrétine et donc induire la narcolepsie ?

Il faut que l’on comprenne le mécanisme impliqué pour éviter que demain d’autres vaccins entraînent ce type de maladie auto-immunes et pour que les patients puissent bénéficier d’une compensation financière de reconnaissance médicale.

En France, l'étude NarcoFlu-VF a confirmé le lien entre la vaccination et l'apparition du trouble, en mettant en évidence une hausse du risque de narcolepsie, majoritairement avec cataplexie (narcolepsie de type 1), aussi bien chez les adultes, que chez les enfants et les adolescents.

Concernant les mécanismes en jeu, quelle est la piste privilégiée ?

Y. Dauvilliers : Nous avons essayé de comprendre ce qui se passait dans les vaccins pour expliquer pourquoi, si vous êtes prédisposé génétiquement, vous allez potentiellement déclencher cette maladie. Dans le vaccin Pandemrix®, il y a des protéines virales : de l’hémagglutinine, de la neuraminidase, et d’autres nucléoprotéines. Une question qui se pose est de savoir quels peuvent être les mimétismes moléculaires entre les protéines du vaccin et les épitopes sur les neurones à hypocrétine qui font que le système immunitaire va s’attaquer aux neurones à hypocrétine, les éliminer et donc induire une narcolepsie.

Pourtant, cette hypothèse de la piste auto-immune a connu un revers en 2014 avec la rétractation de l’étude de Stanford…

Y. Dauvilliers : En effet, en 2013, des travaux des chercheurs de l'université de Stanford (Etats-Unis) ont montré qu’il existait un mimétisme moléculaire entre l’hémagglutinine H1, utilisé dans le vaccin Pandemrix® et les neurones à hypocrétine[2]. Toutefois, leur démonstration à partir d’échantillons sanguins montrant que l’hémagglutinine H1 pouvait stimuler les lymphocytes T CD4 du système immunitaire des patients narcoleptiques n'a pas pu être reproduite et l'étude a été retirée[3].

Qu’apportent les travaux plus récents auxquels vous avez participé sur la compréhension des mécanismes en jeu ?

Y. Dauvilliers : Depuis, nous avons découvert le rôle potentiel des LT CD8 activés.

A partir de l’autopsie du cerveau d’un patient avec une narcolepsie secondaire nous avons pu observer une grande quantité de lymphocytes CD8 dans l’hypothalamus qui détruisaient les neurones hypocrétines[4].

A partir de là, nous avons utilisé un modèle murin dans lequel nous avons fait sur-exprimer de l’hémagglutinine dans les neurones à hypocrétine. Nous avons ensuite injecté dans le péritoine des lymphocytes CD4 et CD8 activés qui reconnaissaient spécifiquement l’hémagglutinine sur ces neurones. Nous avons alors constaté que les CD4 et CD8 migraient dans l’hypothalamus mais que seuls les LT CD8 détruisaient les neurones à hypocrétine[5].

Nous avons donc montré pour la première fois comment on peut détruire des neurones à hypocrétine en injectant des CD8 activés dans le péritoine qui vont reconnaitre la cible dans le cerveau et induire des narcolepsies avec cataplexie chez ces souris et une somnolence, notamment si vous en injectez deux fois.

La destruction est probablement progressive en plusieurs étapes :

-d’abord avec un peu de streptocoque qui permet de perméabiliser la barrière hémato-encéphalique pour faire rentrer ces nouveaux lymphocytes activés en périphérie ;

-puis avec un peu de vaccin, un peu de virus, un peu d’environnement successif, soit une certaine dose de facteurs environnementaux pour développer la maladie.

Aujourd’hui, nous travaillons sur les CD4 et CD8 mémoires des patients pour voir s’il y a des clones différents entre les patients et les témoins. Nous sommes à la recherche de la signature immunologique qui montre que le patient a été en contact avec la vaccination ou une infection et qui reste en mémoire de la mort des neurones à hypocrétine et donc de la narcolepsie.

 

 

 

 

 

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