Strasbourg, France -- Le 27 décembre dernier, à Strasbourg, Naomi Musenga, 22 ans, est décédée, après avoir signalé d'intenses douleurs au ventre au Samu, qui ont été traitées à la légère par une assistante de régulation médicale du Samu du Bas-Rhin. Il aura fallu cinq heures au Samu avant qu'il ne la prenne en charge. Elle décédera aux urgences du CHU de Strasbourg, d'une « défaillance multi-viscérale sur choc hémorragique ». Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a demandé l'ouverture d'une enquête auprès de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), tandis que l'agente de régulation médicale, qui avait sous-estimé la plainte de Naomi Musenga et n'avait pas non plus transmis l'appel à un médecin régulateur, a été suspendue.
Cette affaire dramatique questionne sur l’organisation des urgences en France. Doit-elle être repensée, protocolisée ? La question sera probablement à l’ordre du jour lors de la rencontre doit se tenir ce 15 mai autour de l'Ordre des médecins, du Samu Urgences de France et de l'Association des médecins urgentistes de France.

En attendant, nous avons demandé au Dr Michel Dru, médecin au Samu 94 et président du Syndicat National Des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-
Medscape édition française : en quoi consiste aujourd’hui la régulation médicale en France quand on appelle un numéro d’urgence ?
Dr Michel Dru : Quand une personne a besoin d'un médecin ou d’un conseil téléphonique sur un département, il compose un numéro d’urgence et atterrit sur la plateforme du centre de réception et de régulation des appels du SAMU. À ce moment là, un opérateur ou une opératrice décroche, remplit les renseignements administratifs, interroge la personne pour savoir s’il s’agit d’une urgence vitale ou d'une urgence relative. Par urgence vitale, nous entendons par exemple un accident vasculaire cérébral, un mal dans la poitrine, un saignement important, un accident de la voie publique… Les urgences relatives peuvent être : j’ai mal à la gorge, et j’ai de la température, je ne suis pas allé.e à la selle depuis 15 jours… Voilà, ces urgences relatives sont traitées en second lieu. Je précise que tout appel qui arrive au 15 passe par un médecin à un moment donné, c’est la procédure. C’est ce que l’on appelle la régulation médicale, soit une régulation à la française, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons où les appels ne sont pas forcément traités par un médecin.
Medscape édition française : D’où proviennent ces appels au départ?
Dr Michel Dru : Ces appels peuvent provenir de personnes qui contactent directement le Samu, ou bien les pompiers, la police, par méconnaissance du numéro appelé. Comme nous sommes en interconnexion avec la police ou les pompiers, ces derniers peuvent nous passer des communications directement. Ça a été le cas pour Naomi, puisque l’appel est d’abord passé par la police, puis les pompiers et enfin le Samu.
Medscape édition française : L'appel de Naomi Musenga n'aurait pas été régulé par un médecin…
Dr Michel Dru : Il y a un certain nombre de procédures mises en place dans les Samu, qui différent selon les endroits puisque les secours ne sont pas les mêmes. Par exemple, en montagne, les secours sont différents de ce que l’on peut trouver en ville. Au Samu 94, tout appel passe dans un premier temps par l’opérateur puis par un médecin qui décide de la conduite à tenir et en fait part à l’opérateur pour, par exemple, demander une ambulance ou bien envoyer un médecin. Je pense qu’à un moment, l’appel a dû transiter par un médecin. Mais le sensationnel de l’affaire a été concentré sur cette opératrice qui n’a pas eu un comportement adapté et sur qui l’on a jeté l’anathème. Il faut rappeler que l’appel est passé de la police aux pompiers puis des pompiers au SAMU.
Medscape édition française : Dans un communiqué, l’Ordre des médecins (CNOM) écrit que cette jeune femme n’a à aucun moment été mise en relation avec un médecin régulateur…
Dr Michel Dru : Là, je ne sais pas quel est le fonctionnement du Samu de Strasbourg. Peut-être ont-ils un certain nombre de procédures qui font que les opérateurs bénéficient d'une certaine latitude. Chez nous, il y a ce que l’on appelle des départs-réflexes : les opérateurs peuvent envoyer directement le SMUR avant de passer le médecin régulateur, par exemple, dans le cadre d’arrêt cardiaque.
Medscape édition française : En tout état de cause dans votre Samu, un agent de régulation médicale doit s’entretenir avec un médecin pour évaluer la prise en charge la plus adaptée pour le patient qui appelle…
Dr Michel Dru : Tout à fait.
Medscape édition française : En revanche d’un Samu à l’autre, les modes de prise en charge peuvent diverger ?
Dr Michel Dru : Oui, avec des procédures adaptées à la réalité du bassin de population, de la géographie, de l’organisation sur place. En région parisienne il y a huit Samu et de nombreux hôpitaux. Nous faisons de la régulation vers les différents hôpitaux, ce que ne font pas forcément les Samu en province où il y a, souvent, un hôpital de rattachement par Samu. Dans un endroit où il y a des déserts médicaux, ce sera encore différent. Dans le Val-de-Marne, nous sommes à dix minutes de l’endroit où les gens appellent. Dans d’autres départements, nous sommes à 50 kilomètres, donc il faut des médecins dans les villages ou les villes, pour renseigner sur l’état de santé de la personne qui appelle.
Medscape édition française : Le COM fait référence à une rencontre le 15 mai pour garantir la protocolisation des appels du centre 15. De quoi s’agit-il?
Dr Michel Dru : La protocolisation, ce sont les procédures que je décrivais, mises en place dans chacun des Samu. Les assistants de régulation médicale suivent donc un certain nombre de procédures définies dans la protocolisation, afin de perdre le moins de temps possible.
Il n’y a pas à l’heure actuelle de protocolisation nationale des appels du centre 15 ?
Dr Michel Dru : Il y a un certain nombre de mesures décrites dans des manuels dans les Samu, des conduites à tenir. Il y a aussi des recommandations faites par la Société française de médecine d’urgence, que l’on trouve sur le site de la SFMU. Mais il n’y a pas, à ma connaissance, de données nationales qui ont été édictées pour définir le fonctionnement des Samu. Il y a donc des particularités régionales, métrologiques, etc., pour chaque Samu.
Quel est votre point de vue sur la formation des agents de régulation médicale ?
Dr Michel Dru : Leur formation est double, elle est à la fois pratique et théorique. Sur le plan pratique, elle est réalisée par les pairs, les agents avec plus d’ancienneté, sous forme d’un compagnonnage. Mais, il est vrai que le nombre d’appels a explosé ces dernières années pour un nombre de permanenciers qui n’a pas évolué aussi rapidement. Il est vrai, aussi, qu’il y a moins d’accompagnement, du fait de la charge de travail qui augmente, par les anciens opérateurs. Ils encadrent moins longtemps les nouveaux opérateurs. Concernant le cas de Naomi Musenga, je ne pense pas que ce soit le cas, puisque l’opératrice était expérimentée. Mais je me rends compte au quotidien que les régulateurs n’ont pas la même formation qu’il y a vingt ans, car il faut pouvoir répondre aux appels tout en encadrant un nouvel opérateur, ce qui n’est pas évident. La tension psychologique est importante, il faut écouter, réussir à repérer tout de suite l’urgence. C’est un métier très stressant. Ajouté à cela le manque d’opérateurs… C’est un métier qui n’est pas facile.
Comment jugez-vous la nature des dysfonctionnements pour le cas de Naomi Musenga ?
Dr Michel Dru : D’après ce que j’ai lu, l’opératrice a semblé avoir un comportement désinvolte et moqueur. Mais je ne sais pas ce que le pompier a dit à l’opératrice, car il y a un effet de conditionnement : si le pompier confie à l’opératrice qu’il pense que l’appelante exagère ses symptômes, alors cela peut influencer l’agent de régulation. Je pense en effet que l’opératrice n’a pas fait preuve d’empathie. Elle rigole, mais ce sont des choses qui arrivent, c’est une manière d’échapper au stress quotidien, mais ce n’est pas du tout adapté bien sûr pour une personne qui appelle et qui est extérieure au Samu. Je pense que dans le cas présent, l’agent de régulation médicale a dû être conditionnée par le pompier, sans oublier que c’est la police qui a transmis cet appel aux pompiers. L’opératrice est donc la troisième personne qui intervient. Était-elle à la fin d’une journée difficile ? Il y a une série de circonstances que l’on ne connait pas. Mais je suis d’accord, le comportement n’est pas adapté à l’appel de Naomi Musenga.
S’il n’y a pas eu de transfert de l’appel vers un médecin régulateur, il s’agit donc pour vous d’une anomalie ?
Dr Michel Dru : Normalement, il y a forcément une régulation par un médecin, c’est le principe du Samu. Néanmoins, je ne sais pas si l’organisation du Samu 67 permet, pour des douleurs spécifiées, de les diriger vers SOS médecins ou pas, je ne connais pas leur protocole.
Le protocole du Samu du Bas-Rhin Selon Christophe Gautier, directeur généraux des hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), l'agent de régulation aurait dû transférer l'appel à un médecin régulateur. Ainsi, il déclarait dans les colonnes du Parisien du 11 mai dernier, « la procédure est précise. En cas de douleur abdominale, il faut transmettre à un médecin régulateur. Sans parler du ton complètement inadapté de l’opératrice, le transfert doit être un réflexe. Ne pas passer la main à un médecin régulateur, c’est rarissime, je n’en ai jamais constaté lors de ma longue carrière hospitalière ». |
Citer cet article: Décès de Naomi Musenga : le point de vue du Dr Michel Dru, médecin de Samu et président du SNPHARE - Medscape - 14 mai 2018.
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