Los Angeles, Etats-Unis — L’American Association of Neurology (AAN) a présenté ses nouvelles recommandations sur la prise en charge pharmacologique de la sclérose en plaque (SEP) lors de son dernier congrès. Elles portent sur la mise en place du traitement, ainsi que sur le changement ou l’arrêt des médicaments et insistent sur la nécessité de traiter la maladie au plus tôt, sans attendre l’aggravation des symptômes.
Ces nouvelles recommandations, approuvées par la Multiple Sclerosis Association of America et par la National Multiple Sclerosis Society, ont été publiées dans Neurology. Un premier document présente les 30 recommandations visant à améliorer la pratique, tandis qu’un deuxième reprend les principales données de la littérature sur lesquelles elles s’appuient [1,2]. En voici l’essentiel.
Proche des recommandations européennes
Les dernières recommandations, qui dataient de 2002, citaient seulement deux molécules (l'acétate de glatiramère et l’interféron), alors qu’une quinzaine de médicaments sont désormais approuvées. Elles succèdent aux premières recommandations européennes de 2016, assez proches, mais moins prudentes vis-à-vis des nouveaux traitements.
« En dix ans, le traitement de la SEP a beaucoup évolué. Nous avons désormais plusieurs médicaments à disposition, avec une efficacité, des profils de sécurité et des modes d’administration différents, ce qui rend la prise de décision thérapeutique difficile », a affirmé le Pr Alexander Rae-Grant (Cleveland Clinic Lerner College of Medicine, Cleveland, Etats-Unis), qui a supervisé la rédaction des documents.
« Dans l’ensemble, les recommandations américaines et européennes se rejoignent, en particulier sur l’intérêt du traitement précoce, le maintien des médicaments chez les bons répondeurs ou le changement de traitement », a souligné, pour sa part, le Pr Ruth Ann Marrie (University of Manitoba, Winnipeg, Canada), co-auteur des recommandations, au cours d’une conférence de presse.
Des données encore insuffisantes
« De légères différences apparaissent dans le cas de certains médicaments, comme le mitoxantrone, pour lesquels nos recommandations insistent davantage sur le profil de sécurité et les conditions d’utilisation. Les lignes directrices de l’AAN s’avèrent aussi un peu plus conservatrices vis-à-vis de certaines stratégies envisagées en cas de grossesse », a ajouté la neurologue.
Comme dans les recommandations européennes, la version américaine s’appuie sur les données de la littérature et précise leur qualité pour chacune des recommandations (niveau A, B ou C). Rappelons toutefois que le nombre restreint d’essais comparatifs n’éclaire pas encore suffisamment sur l’intérêt des diverses options thérapeutiques en fonction du profil du patient.
« Au-delà de certaines différences sur la méthodologie employée, les variations constatées entre les recommandations américaines et européennes reflètent surtout un manque de connaissance et une différence d’interprétation des données pour guider la prise de décision, alors que les preuves disponibles s’avèrent insuffisantes », a souligné le Pr Ann Marrie.
Besoin de biomarqueurs
Dans un éditorial accompagnant la publication, le Dr Tanuja Chitnis (Partners Multiple Sclerosis Center, Boston, Etats-Unis) et les Prs Gavin Giovannoni (The London School of Medicine and Dentistry, Londre, Royaume-Uni) et Maria Trojano (Université de Bari, Italie) ont salué les améliorations thérapeutiques qui ont marqué cette décennie, tout en pointant les progrès espérés, notamment dans la recherche.
Ils observent que les risques et les bénéfices à long terme de plusieurs thérapies n’ont pas été encore évalués et insistent sur la nécessité de mettre en place des études observationnelles de qualité. Selon eux, il faudra aussi mieux définir la SEP progressive primaire et donner les moyens de mieux identifier les cas de Syndrome clinique isolé (SCI), dont ceux particulièrement à risque de progression vers une SEP.
« Dans ce domaine, nous avons vraiment besoin de biomarqueurs et d’algorithmes pour identifier et prendre en charge les patients les plus à risque de développer des formes agressives, ce qui favoriserait la mise en place de traitements précoces plus efficaces », ont ajouté les éditorialistes.
« Ces nouvelles recommandations de l’AAN sont un bon point de départ pour utiliser les multiples options thérapeutiques actuellement à disposition dans la SEP, mais d’autres travaux sont nécessaires pour affiner la prise en charge et déterminer le traitement le plus approprié pour chaque patient », ont-ils conclu.
Débuter un traitement
1. Les patients atteints de SEP nouvellement diagnostiqués doivent être conseillés sur les différentes options thérapeutiques envisageables, au cours d’une visite médicale spécialement dédiée (Niveau B).
2. Les cliniciens doivent tenir compte des préférences du patient par rapport à la voie d’administration du traitement, l’adéquation avec son mode vie, mais aussi en termes de tolérance, d’efficacité ou en encore de coût. Les décisions concernant le traitement doivent s’appuyer sur des échanges continus avec le patient (Niveau A).
3. Les cliniciens doivent expliquer aux patients atteints de SEP que les traitements permettent de limiter les rechutes et d‘éviter l’apparition de nouvelles lésions IRM. Ils ne sont pas prescrits pour améliorer les symptômes de la maladie (Niveau B).
4. Les patients atteints de SEP sous traitement doivent être sensibilisés sur la nécessité d’informer son praticien en cas d’aggravation ou d’apparition de symptômes (Niveau A).
5. Les cliniciens doivent vérifier si les patients atteints de SEP sont prêts à débuter un traitement et évaluer les potentielles réticences. Ils doivent expliquer l’importance d’être traité (Niveau B).
6. Lorsque le traitement est envisagé, les cliniciens doivent sensibiliser sur le risque de comorbidité, d’interaction avec d’autres médicaments et les comportements à avoir pour limiter les répercussions sur la santé (Niveau B).
7. Les cliniciens doivent évaluer les facteurs pouvant conduire à une mauvaise adhérence aux traitements. Au moment de débuter le traitement, ils doivent sensibiliser les patients atteints de SEP sur l’importance d’une bonne observance thérapeutique (Niveau B).
8. Chez les patients ayant eu un premier événement démyélinisant et présentant au moins deux lésions caractérisées au cerveau, l’intérêt du traitement en termes de bénéfices et de risques doit être discuté. Le traitement peut être débuté seulement après accord du patient (Niveau B).
9. En cas de Syndrome clinique isolé (SCI) non traité ou chez les patients atteints d’une forme récurrente de SEP sans rechute depuis au moins 2 ans et sans nouvelle lésion à l’IRM, il est recommandé d’effectuer un suivi rapproché plutôt que d’initier un traitement. Les effets secondaires et les contraintes liées au traitement pris à long terme pourraient en effet dépasser les bénéfices attendus. L’activité de la maladie doit être suivie périodiquement à l’IRM pendant les cinq premières années, avec au moins un examen par an (Niveau C).
10. Les cliniciens doivent proposer un traitement aux patients atteints de formes récurrentes de SEP avec des rechutes récentes ou une activité à l’IRM (Niveau B).
11. Les patients traités doivent être régulièrement suivis pour évaluer l’adhérence, ainsi que la tolérance, la sécurité et l’efficacité du traitement. Le suivi doit être annuel ou organisé en fonction des recommandations d’usage caractéristiques des médicaments prescrits (Niveau B).
12. Les femmes en âge de procréer doivent être informées des risques liés au traitement de la SEP lors de la grossesse. Les cliniciens doivent s’interroger sur les éventuels projets de grossesse de leurs patientes (Niveau B).
13. Avant d’initier un traitement par terifluomide ou par cyclophosphamide, les hommes atteints de SEP souhaitant concrétiser un désir de paternité doivent être informés sur le risque d’infertilité associé à ces médicaments (Niveau B).
14. En raison du risque élevé d’effets secondaires sévères associé au mitoxantrone, cet immunosuppresseur ne doit pas être prescrit aux patients atteints de SEP, sauf si le potentiel bénéfice surpasse les risques. D’autres médicaments avec un meilleur profil de sécurité sont désormais disponibles (Niveau B).
15. L’alemtuzumab, le fingolimod ou le natalizumab doivent être prescrits aux patients présentant une SEP très active. Comparativement au traitement par l’interféron, ces molécules se sont avérées plus efficaces dans ce sous-groupe (Niveau B).
16. Lorsque les thérapies ne sont pas accessibles, notamment en raison de leur coût, les patients atteints de SEP doivent être orientés vers des organismes pouvant apporter une aide. Si l’accès aux thérapies est impossible, il est recommandé de prescrire de l’azathioprine ou de la cladribine, des traitements plus abordables, chez les patients atteints des formes récurrentes de SEP (Niveau C).
17. Le natalizumab peut être utilisé chez les patients présentant un index d’anticorps anti-virus JC+ inférieur ou égal à 9, seulement lorsque le bénéfice est important, en comparaison avec le risque faible, mais non négligeable de leucoencéphalopathie multifocale progressive (Niveau C).
18. Les cliniciens doivent envisager un traitement par ocrelizumab chez les patients atteints de SEP progressive primaire, sauf si le rapport bénéfice/risque n’est pas favorable (Niveau B).
Changement de traitement
1. Après instauration du traitement, l’activité de la maladie doit être suivie à l’IRM pour détecter l’apparition éventuelle de nouvelles lésions et ajuster, si besoin, la prise en charge thérapeutique. Il faut aussi considérer que le traitement doit être pris suffisamment longtemps pour être efficace. Un changement de traitement doit être discuté chez les patients ayant au moins une rechute, au moins deux lésions IRM indiscutables ou une progression du handicap sur un an (Niveau B).
2. Lors de la prise de décision d’un changement de traitement, les cliniciens doivent considérer l’activité de la maladie, l’adhésion au traitement du patient, la tolérance ainsi que l’activité biologique des médicaments pris lorsque la progression de la maladie (Niveau B).
3. Chez les patients atteints de SEP supportant mal les injections, il convient d’envisager des options thérapeutiques non injectables ou avec une fréquence d’injection moindre (Niveau B).
4. Les cliniciens doivent évaluer les éventuels effets indésirables liés à un traitement et y remédier si besoin. Lorsque les effets indésirables sont à l’origine d’une mauvaise observance, un changement de traitement doit être évoqué avec le patient (Niveau B).
5. Il convient d’effectuer une surveillance des dosages sanguins, conformément aux précautions d’usage des médicaments. En cas d’anomalie persistante, les cliniciens peuvent discuter d’un changement de traitement, d’une réduction des doses ou de la fréquence d’administration (Niveau B).
6. Les patients atteints de SEP doivent être informés du risque de leucoencéphalopathie multifocale progressive (LMP) en cas de traitement par fingolimod, natalizumab, rituximab, ocrelizumab ou dimethyl fumarate. Un changement de traitement à moindre risque de LMP doit être envisagé chez les patients sous natalizumab développant des anticorps anti-virus JC, surtout en cas d’index supérieur à 9 (Niveau B).
7. En l’absence de données à long terme sur la sécurité des nouveaux traitements, les cliniciens doivent avertir les patients sur le potentiel risque d’infection ou d’apparition de forme maligne de la maladie. Lorsque le patient développe une SEP maligne, il est urgent de changer de traitement, en particulier s’il est sous azathioprine, methotrexate, mycophenolate, cyclophosphamide, fingolimod, teriflunomide, alemtuzumab ou dimethyl fumarate. De même, le changement de traitement est en envisagé en cas d’infection sévère potentiellement liée à la thérapie (Niveau B).
8. Il est recommandé de vérifier la présence d’anticorps dirigés contre le natalizumab chez les patients prenant ce traitement et présentant des réactions liées à la perfusion ou une progression de la maladie. Si la présence d’anticorps persiste, le changement de thérapie est à envisager (Niveau B).
9. Les cliniciens doivent avertir les patients atteints de SEP du risque accru de rechute ou de reprise d’activité de la maladie dans les six mois après un arrêt de traitement par natalizumab (Niveau A).
10. En cas de décision de changement du natalizumab pour le fingolimod, le nouveau traitement doit être initié dans les 8 à 12 semaines qui suivent l’arrêt du natalizumab (pour des raison autre qu’une grossesse ou un projet de grossesse), afin d’éviter une reprise de l’activité de la maladie (Niveau B).
11. Les cliniciens doivent informer les femmes en âge de procréer que les médicaments de la SEP sont contre-indiqués pendant la grossesse, arrêter un traitement en cas d’exposition involontaire pendant une grossesse ou ne pas initier de nouveau traitement, sauf si les risques liés à la reprise de l’activité de la maladie pendant la grossesse sont supérieurs à ceux liés au traitement en lui-même (Niveau B).
Arrêt des traitements
1. Les patients avec une SEP récurrente-rémittente souhaitant arrêter un traitement alors qu’ils sont stables doivent être sensibilisés sur la nécessité d’être suivi de manière périodique à l’IRM. Il est conseillé de maintenir le traitement chez les patients atteints de SEP stables (absence de rechute, pas de progression du handicap, imagerie IRM stable) (Niveau B).
2. Chez les patients atteints de SEP secondaire progressive, la décision d’arrêter le traitement doit prendre en compte le risque de rechute, ainsi que l’âge du patient, la durée de la maladie, les antécédents de rechute et l’activité à l’IRM (fréquence, sévérité, délai écoulé depuis la dernière rechute, lésions rehaussées par gadolinium) (Niveau B).
3. Les patients traités pour leur SEP secondaire progressive devraient arrêter leur traitement s’ils n’ont pas de rechute ou d’activité de la maladie visible à l’IRM et sans handicap sévère depuis au moins 2 ans (Niveau C).
4. Chez les patients avec un SCI qui semblent stables, les cliniciens doivent évaluer les risques à continuer un traitement versus les risques associés à l’arrêt (Niveau B).
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Citer cet article: SEP: nouvelles recommandations américaines sur la prise en charge thérapeutique - Medscape - 14 mai 2018.
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