Titusville, Etats-Unis—Ajouter de l’eskétamine (une forme de kétamine) par voie intranasale aux antidépresseurs classiques diminue rapidement les symptômes de dépressifs et les idées suicidaires chez les patients à risque imminent de suicide, selon une étude de Janssen publiée dans l’édition de l’American Journal of Psychiatry du 16 avril[1].
L’eskétamine en spray serait donc aussi efficace que la kétamine administrée en intraveineuse (lire Kétamine dans la dépression résistante : où en est-on?).
Reste que les experts s’inquiètent du risque de mésusage associé au produit, en particulier avec cette forme d’administration en spray plus simple que la perfusion en intraveineuse de kétamine.
« Il sera essentiel d’instaurer un cadre pour assurer une utilisation sécurisée du produit parce que le potentiel d’abus et de mésusage sont réels », indiquent le Dr Robert Freedman et coll. (University of Colorado School of Medicine, Etats-Unis) dans un éditorial accompagnant l’article[2].
L’eskétamine intranasale aussi efficace que la kétamine en IV
L’étude a enrôlé 66 adultes âgés de 19 à 64 ans atteints de troubles dépressifs qui se sont présentés aux Urgences ou dans des unités psychiatriques et qui ont été considérés comme à risque imminent de suicide.
Tous les participants étaient sévèrement déprimés à l’entrée dans l’étude (score moyen de 38,6 sur l’échelle dépression de Montgomery-Åsberg--MADRS). Quarante-quatre participants (66,7 %) avaient des idées suicidaires « sévères » et 36 (54,5%) rapportaient avoir souvent de telles idées. Dans la moitié des cas, des mesures de précaution ont dues être prises en plus de l’hospitalisation.
Les patients ont été randomisés pour recevoir soit de l’eskétamine intranasale 84 mg (35 patients) soit un placebo (31 patients) deux fois par semaine pendant 4 semaines en plus des traitements classiques.
Il en ressort que le score MADRS était significativement abaissé (amélioration des symptômes) dans les deux groupes (-13,4 dans le bras eskétamine vs -9,1 en moyenne dans le bras placebo ; différence moyenne des moindres carrés, -5,3 ; effet taille, 0,61) quatre heures après la première administration d’eskétamine (critère primaire d’évaluation).
La différence restait statistiquement significative à 24 heures (différence moyenne des moindres carrés, -7,2 ; effet taille, 0,65) mais pas à 25 jours (différence moyenne des moindres carrés, -4,5 ; effet taille, 0,35).
Selon les critères d’idées suicidaires de la MARDS, l’eskétamine par voie intranasale réduisait rapidement et de façon significative les idées suicidaires à 4 heures (effet taille 0,67) mais pas à 24 heures (effet taille 0,35) ou à 25 jours (effet taille 0,29).
L’évaluation du risque de suicide par le jugement du clinicien a montré une baisse du risque suicidaire plus importante avec l’eskétamine qu’avec le placebo mais, elle n’était statistiquement significative ni à 4 heures (effet taille 0,31) ni à 24 heures (effet taille 0,56).
Dans une analyse post-hoc, le nombre de participants du bras eskétamine qui n’étaient plus considérés comme à risque de suicide. A 4 heures était de 21,2 % contre 9,7 % dans le bras placebo. A 24 heures, l’écart était encore plus important : 40 % versus 6,5 % respectivement.
Cette action rapide suggère que « l’eskétamine pourrait être un traitement important pour combler le vide lié à l’action retardée des antidépresseurs classiques [ces derniers agissent habituellement en 2 à 3 semaines] », notent les chercheurs. Ils ajoutent que l’efficacité rapide de l’eskétamine intranasale est similaire à celle observée avec la kétamine administrée en intraveineux.
En termes de tolérance, l’eskétamine était généralement bien tolérée. Les effets secondaires les plus fréquents étaient les nausées, les étourdissements, la dissociation, un gout désagréable et les maux de tête.
Outre son intérêt en situation d’urgence, « en cas de résultats positifs sur le long terme avec l’eskétamine intranasale, ce traitement pourra possiblement aider un nombre significatif de patients qui répondent mal aux antidépresseurs existant », ont commenté le Dr Robert Freedman et coll. (University of Colorado School of Medicine, Etats-Unis) dans un éditorial accompagnant l’article[2].
L’addiction à la kétamine est déjà un problème
Si les éditorialistes saluent ces premiers résultats positifs, ils s’inquiètent des risques de mésusage. Ils indiquent qu’outre l’usage récréatif qui existe déjà avec la kétamine, « certains patients font désormais le tour des cliniques pour obtenir des injections répétées pour améliorer leur humeur » et que d’autres « utilisent la forme IV par voie intranasale de façon répétée sans contrôle ».
« Toutefois, comme pour l’oxycodone, la responsabilité repose sur les médecins qui doivent rechercher les bonnes indications et éviter de créer de la dépendance et des abus », précisent-ils.
« Les médecins ont la responsabililté de donner au patient suicidaire toutes les options thérapeutiques efficaces mais, la protection de la santé publique est également de notre responsabilité. En tant que médecins nous devons prévenir de nouvelles épidémies de traitements », soulignent-ils.
Face à ces craintes, l’auteure principal de l’étude, le Dr Carla Canuso (Janssen) a expliqué à Medscape Medical News que « plusieurs mesures seraient mises en place pour assurer la sécurité et l’utilisation appropriée de l’eskétamine ».
Le spray devrait uniquement être disponible en dose unique et administré sous la supervision d’un professionnel de santé dans un cadre médical. Il ne devrait pas être disponible en pharmacie.
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Citer cet article: La kétamine en spray est efficace sur la dépression et le risque suicidaire - Medscape - 2 mai 2018.
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