POINT DE VUE

Sclérose en plaques: marqueurs sériques, progrès en pédiatrie et facteurs environnementaux

Pr Gilles Defer, Pr Pierre Clavelou, Dr Olivier Heinzlef

Auteurs et déclarations

30 avril 2018

Enregistré le 25 avril 2018, à Los Angeles, É.-U.

En direct du congrès de l’American Academy of Neurology , Gilles Defer, Pierre Clavelou et Olivier Heinzlef commentent les études dans la SEP : les neurofilaments (nouveau biomarqueurs sériques faciles d’accès), le diagnostic et les études en cours chez l’enfant, ainsi que les facteurs environnementaux (allaitement, césarienne, microbiote).

TRANSCRIPTION

Gilles Defer — Bonjour, nous sommes à nouveau réunis à la 70e édition de l’American Academy of Neurology (AAN) à Los Angeles. Je suis avec le Pr Pierre Clavelou, de Clermont-Ferrand, et le Dr Olivier Heinzlef, de Poissy. Bienvenue à tous les deux. Aujourd’hui nous allons évoquer la sclérose en plaques de façon détaillée. Pierre, côté pathogénie, il y avait un certain nombre de choses sur les biomarqueurs, je crois.

Neurofilaments : nouveau biomarqueur sérique dans la SEP

Pierre Clavelou — Je pense que c’est un scoop de cette ANN, qui avait déjà été anticipé à l’occasion du dernier ECTRIMS : c’est l’arrivée d’un biomarqueur assez simple, parce que sérique, que sont les neurofilaments [1]. C’est assez extraordinaire, d’abord d’avoir confirmé qu’il existe une corrélation assez étroite entre le taux de neurofilaments sériques et le taux de neurofilaments du liquide céphalo-rachidien, quelque chose qui était connu depuis des années − cette protéine du cytosquelette neuronal est un marqueur de pathologie dégénérative dans la sclérose latérale amyotrophique et la maladie de Parkinson − mais les laboratoires ont réussi à faire une corrélation avec le taux sérique, donc beaucoup plus facile à analyser. Des travaux − surtout ceux utilisant des études de phase 3, qui sont terminés depuis très longtemps avec des agents immunomodulateurs ou immunosuppresseurs largement utilisés en pratique courante – dans lesquels les auteurs ont pu analyser ces dosages sériques et les corréler très nettement au profil évolutif de la maladie, et ce très précocement. C’est-à-dire que lorsque le taux de neurofilaments est élevé dès le début la maladie, on sait qu’il y a un risque ; lorsque c’est dosé au moment du premier événement démyélinisant, il y a plus de risque d’avoir une seconde poussée plus tôt, que la maladie va évoluer plus défavorablement avec un handicap mesuré par la difficulté à effectuer un périmètre de marche plus rapidement, qu’il y a plus de passage en forme secondairement progressive. Deuxième élément important, c’est que cela peut-être aussi, à côté de ce marqueur de neurodégénérescence, un marqueur de l’inflammation qui pourrait permettre de piloter nos actions thérapeutiques, à savoir que ce taux se modifie avec la mauvaise réponse à la thérapeutique — même si là les données sont encore préliminaires — on pourrait envisager d’utiliser ce dosage comme un marqueur de la thérapeutique. Enfin, cela pourrait supplanter la quatrième partie du NEDA, c’est-à-dire que les neurofilaments sont corrélés à l’atrophie…

Gilles Defer — Tu fais référence à la présentation de Maria Pia Sormani, tout à fait intéressante…

Pierre Clavelou — On sait que les mesures d’atrophie sont des mesures extrêmement complexes, difficilement reproductibles, alors que là, cela semble assez bien corrélé, encore que ce sont des données préliminaires qui méritent d’être corrélées sur des plus grosses cohortes. Je trouve que c’est enfin quelque chose qui pourrait rentrer en pratique quotidienne et qui arrangerait beaucoup notre perception des choses vis-à-vis des propositions thérapeutiques qui sont les nôtres. Et tout ceci est corrélé avec les nouveaux agents, tous les nouveaux anti CD-20 qui sont actuellement proposés, voire les sphingosine-1-phosphates, aussi.

Gilles Defer — Donc, probablement le premier biomarqueur sérique d’accès facile, stable, qui nous permettra de mieux gérer la prise en charge des patients. Ça c’est sur l’adulte, mais malheureusement il y a des formes de SEP chez l’enfant, parfois sévères. Il y a eu un certain nombre de choses pendant la réunion — tu peux nous en parler un peu?

Sclérose en plaque pédiatrique

Pierre Clavelou — Oui, cela a été mis en avant. Emmanuelle Waubant, qui est professeure à San Francisco, a fait une présentation de ses travaux [2] sur la cohorte qu’elle a, avec d’autres, initiée, qui comporte maintenant plus de 500 enfants atteints de sclérose en plaques à début infantile. Bien évidemment, l’élément important est que c’est un véritable laboratoire pour vérifier que toutes les pistes environnementales peuvent être, puisque vues précocement, confirmées ou pas chez l’enfant, et avec des corrélations sur le plan épigénétique entre ces facteurs environnementaux et notre patrimoine génétique. Il y avait aussi toute une session consacrée à la sclérose de l’enfant qui devient un problème important, à la fois sur le plan de l’imagerie — et ça, c’était des données intéressantes parce que, comme tu le sais, il y a une évolution des classifications qui sont validées chez l’adulte, classification McDonald 2017. Eh bien, le groupe qui coordonne toutes ces SEP de l’enfant confirme que l’utilisation de ces critères 2017 permet d’appréhender plus tôt le diagnostic de sclérose en plaques, qui est un problème très important — ce sont des formes très actives. Est-ce que ce sont des encéphalomyélites aigües disséminées, ou est-ce que ce sont déjà des scléroses en plaques? Le liquide céphalo-rachidien augmente, par le caractère de dissémination temporelle, le diagnostic, mais ceci doit être aussi confirmé par deux éléments — c’est pour ça que la sclérose en plaques de l’enfant peut être particulière : l’existence de lésions hypodenses en T1, qui sont des éléments importants et le fait qu’il y ait, bien évidemment, une activité sur des IRM successives. Ça, c’est un élément qui paraît important — il faut être toujours très, très attentif sur ses IRM chez l’enfant.

Gilles Defer — On voit bien la question du diagnostic différentiel initial, comme tu l’as évoqué chez l’enfant. Qu’en est-il un peu de la thérapeutique? Parce que là aussi il y a eu des progrès — des molécules adultes ont été transposées, pour certaines, en pédiatrie… Est-ce que tu peux nous en dire un petit mot également?

Pierre Clavelou — Aujourd’hui, aucune molécule, en France, n’a d’AMM chez l’enfant (de 12 à 18 ans). Mais il y a plusieurs études qui sont en cours. [3] Des résultats de l’étude fingolimod ont été présentés à l’ECTRIMS et ont été rediscutés. Deux autres études sont en cours — les inclusions sont terminées pour tériflunomide et quasi terminées pour le diméthyl fumarate — ce qui permettra probablement … d’abord d’avoir l’AMM chez ces enfants. C’est un élément important parce qu’on utilise depuis longtemps chez les enfants des produits qui sont les immunomodulateurs injectables. On sait que les enfants ont du mal à accepter les injections. On utilise, dans certaines formes, le natalizumab, dont on sait qu’il est peut-être plus facile, parce que ces enfants sont moins séropositifs, mais c’est quand même, avec le temps, difficile à gérer. Donc, c’est ouvrir le champ thérapeutique à d’autres possibilités, en particulier trois formes orales qui, chez les Américains puisqu’ils ont réussi à avoir une cohorte suffisante, permettent d’avoir beaucoup d’espoir pour l’acceptation du traitement avec des critères d’efficacité importants. Il faudra toujours faire très attention sur le suivi à long terme pour les données de safety.

Comorbidités et facteurs environnementaux

Gilles Defer — Merci beaucoup, Pierre. Comme on en a parlé, et tu l’as évoqué, l’environnement en pédiatrie et l’épigénétique est un sujet important, mais les comorbidités dans la pathogénie, également l’environnement chez l’adulte, est un sujet majeur dans la sclérose en plaques. Olivier, tu t’es intéressé plus particulièrement à ce sujet — est-ce que tu peux nous dire ce que tu as suivi, ce que tu as entendu pendant cette conférence?

Olivier Heinzlef — On est toujours à la recherche de facteurs d’environnement qui soient favorisants de la survenue de la maladie, ou bien qui soient des facteurs d’aggravation de la maladie. Ont été mis sur la sellette le tabac, les taux de vitamine D bas chez les personnes qui allaient déclencher une sclérose en plaques et il y a eu également pas mal d’études menées chez l’adolescent, avec l’obésité, qui peut être un facteur prédisposant et aussi les interactions entre obésité et vitamine D. Ce sont des choses qui sont bien connues, dont les liens avec le déclenchement de la maladie ne sont pas encore bien expliqués. Mais là, il y a une étude [4] que j’ai trouvé assez intéressante qui a été présentée à l’AAN sur des facteurs de la période périnatale, avec en particulier l’impact de la césarienne et de l’allaitement sur le risque de développer une sclérose en plaques plus tard. Ils ont trouvé que le fait d’être né par césarienne et de ne pas avoir bénéficié d’allaitement maternel était associé à un risque de développer une sclérose en plaques et un délai avant le début de la sclérose en plaques qui était plus court que lorsqu’on avait eu un accouchement normal, une naissance normale, et un allaitement maternel. Alors on n’a pas d’explication très claire. Ce qui est sûr, c’est que ces résultats sont intéressants, parce que cela renforce l’idée que les facteurs d’environnement jouent un rôle dans le déclenchement de la maladie et cela ouvre la possibilité d’imaginer qu’on puisse agir sur ces facteurs d’environnement, en particulier dans des populations qui sont à risque qui sont les enfants de personnes souffrant de sclérose en plaques ou les apparentés au premier degré, dont on sait que le risque est plus élevé que dans la population générale. Cela donne des modèles qui, je trouve, sont très intéressants. Sur le plan de la vitamine, il y a eu, peut-être, quelque chose qui est anecdotique, mais qui nous parle en tant que français, puisqu’il y a une étude [5] qui a été menée en France sur l’utilisation de la biotine dans les formes progressives, avec un résultat qui était positif — et on n’a pas d’explication très claire du mécanisme. Une chose qui a été présentée [6], également, c’est le fait que le taux de biotine chez les patients nouvellement diagnostiqués est plus bas que dans la population générale, donc il y a peut-être quelque chose, aussi une carence en vitamine intéressante de ce côté-là, un peu comme cela a été démontré avec la vitamine D.

Gilles Defer — Juste pour revenir sur la question de l’accouchement, il avait une hypothèse qui avait été formulée il y a quelques années, c’est l’absence de passage dans la filière génitale, avec tout ce qui se passe pendant l’accouchement, qui créerait un envahissement bactériologique majeur qui n’existe pas pendant une césarienne et qui empêcherait l’enfant « d’avoir rencontré » un certain nombre d’éléments microbiotiques qu’il ne rencontre pas pendant la césarienne. À ce propos, il y a eu quelques présentations, posters sur le thème du micribiote. C’est un sujet très chaud. Helen Tremlett avait présenté à l’ECTRIMS un travail remarquable en pédiatrie sur le microbiote des adolescents. Est-ce que tu as vu des choses nouvelles ou entendu des choses intéressantes complémentaires?

Olivier Heinzlef — Oui, il y a eu des présentations sur le microbiote. Il y a beaucoup travaux d’analyse du microbiote et de comparaison du microbiote de patients atteints de sclérose en plaques par rapport à des sujets contrôles et il y a des différences, donc c’est intéressant. [7]On sait que le microbiote peut moduler le système immunitaire, donc on imagine bien que ces différences peuvent faire que le système immunitaire soit plus ou moins agressif. Il y a eu également une communication sur une greffe de microbiote – bon, ce sont des résultats très préliminaires, on ne peut pas tellement en tirer de conclusions, mais c’est ce vers quoi on penserait aller, de se dire que si on rétablit un microbiote plus normal ou plus proche des populations témoins, on pourra avoir un effet immunomodulateur – en espérant que cet effet immunomodulateur ira dans le bon sens, parce qu’on sait que ce n’est pas toujours ce qu’on attend qui arrive.

Gilles Defer — Ce n’est pas toujours le cas, effectivement. Très bien. Pierre, Olivier, merci beaucoup pour cet entretien et à bientôt pour d’autres choses sur le site Medscape.

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