Traitement de l’hypertension: faut-il abandonner les IEC au profit des ARA2?

Vincent Richeux, Sue Hugues

Auteurs et déclarations

16 avril 2018

Berne, Suisse Dans le traitement de l’hypertension avec ou sans comorbidités, il vaudrait mieux privilégier les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2 ou sartans) plutôt que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), associés à davantage d’effets indésirables. C’est ce que suggèrent les auteurs d’une analyse de la littérature, portant sur plus d’un demi-million de patients [1].

Les IEC et les ARA2 ou sartans ont une efficacité similaire dans la prévention des complications cardiovasculaires chez les patients à risque, en particulier chez les hypertendus. Néanmoins, la plupart des recommandations, dont celles de la Haute autorité de santé (HAS), inscrivent les IEC en première intention et réservent les sartans aux patients présentant une toux sèche sous IEC.

Dans cette revue de la littérature publiée dans le Journal of the American College of Cardiology, le Dr Franz Messerli (Hôpital universitaire de Berne, Suisse) et ses collègues ont repris les données de 119 essais cliniques randomisés évaluant l’efficacité des IEC et des ARA2 dans le traitement de l’hypertension, avec ou sans comorbidités cardiovasculaires. Au total, les données concernent plus de 500 000 patients.

Leur analyse confirme que les deux classes thérapeutiques ont la même efficacité sur la pression artérielle, ainsi que sur la prévention des événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, AVC…) et de l’insuffisance rénale. Elles ont aussi un bénéfice équivalent en termes de réduction de mortalité et de protection contre le risque d’insuffisance cardiaque.

Des conclusions biaisées?

Les auteurs indiquent qu’une légère différence est apparue dans les essais randomisés incluant des patients avec insuffisance cardiaque. Ces essais, qui ont comparés les IEC et les ARA2 à des placebo, ont révélé une supériorité des IEC, notamment pour réduire la mortalité toute cause confondue, ce qui reste toutefois à confirmer par des études comparatives.

En ce qui concerne les patients coronariens, les recommandations de la HAS mettent les IEC et les bêtabloquants en première ligne, sans même évoquer une alternative par ARA2. Pourtant, les chercheurs rappellent qu’ils ont eux-même montré dans une méta-analyse que « les ARA2 réduisent le risque d’événements cardiovasculaires, y compris d’infarctus du myocarde, avec la même efficacité que les IEC, mais de manière plus sure ».

Interrogé par Medscape édition française, le Pr Atul Pathak, pharmacologue et cardiologue (clinique Pasteur, Toulouse) estime qu’il convient de garder du recul par rapport à ces conclusions. « Le discours, clairement en faveur des ARA2, apparait un peu biaisé. Plusieurs études n’ont pas été prises en compte et REACH est souvent cité, alors qu’il ne s’agit que d’un registre ».

Néanmoins, il concède que la chronologie des recherches est plutôt en faveur des IEC et que cette analyse va pouvoir « alimenter une réflexion ». Les IEC ont, en effet, bénéficié de larges études randomisées contre placebo, tandis que les ARA2, arrivés plus tard, ont été davantage testés sur des critères plus restrictifs en les comparant à d’autres molécules actives (majoritairement autres que des IEC).

 

Les ARA2 majoritaires en 2017

Selon la dernière enquête FLASH, qui vise chaque année à donner une photographie de la prise en charge de l’hypertension en France, les IEC représentent 27% des médicaments anti-hypertenseurs prescrits en 2017, contre 37% pour les ARA2.

L’enquête ne précise pas dans quelle proportion ces médicaments ont été pris en monothérapie ou combinés avec d’autres molécules. Dans 51% des cas, les anti-hypertenseurs sont prescrits en monothérapie, 33 % en bithérapie, 13% en trithérapie et 3% en quadrithérapie.

IEC: risque de toux sèche et d’ angio-œdème

Si les auteurs se montrent en faveur des ARA2, c’est essentiellement en raison d’une meilleure tolérance. La prise d’IEC est souvent associée à l’apparition d’une toux sèche et irritante, qui s’observe dans 10% des cas. Cette complication se rencontre plus souvent dans les populations asiatiques, le risque étant alors 2,5 fois plus élevé.

« C’est pour cette raison que beaucoup de praticiens du continent asiatique ne prescrivent plus d’IEC », précisent les chercheurs. Selon une récente enquête menée en Chine pour évaluer le recours aux médicaments contre l’hypertension, « les ARA2 sont deux fois plus utilisés que les IEC ».

Il existe également un léger sur-risque d’angio-œdème avec les IEC, qui est renforcé chez les sujets à peau noire. Selon l’analyse, ce risque atteint 0,30% chez les patients traités par inhibiteur. Dans 20% des cas, l’ angio-œdème survient au niveau du larynx et des voies respiratoires supérieures, ce qui provoque le décès dans un cas sur cinq, malgré une intubation.

Les auteurs citent une étude menée dans l’Etat de l’Ohio, aux Etats-Unis, qui a rapporté sept cas d’angio-œdème sous IEC, survenus uniquement chez des afro-américains. « Il n’y a pas de raison clinique d’initier une thérapie par inhibiteur chez les patients à peau noire, d’autant plus que l’effet antihypertenseur est moindre dans cette population », estiment-ils.

« Il pourrait y avoir un changement de pratique sur la prescription en fonction des populations », selon le Pr Pathak. « Rappelons toutefois que les ARA2 sont aussi responsables de 800 à 1000 cas de toux sèche par an en France. Et, leur intérêt pour les sujets noirs américains reste limité, car on sait qu’ils sont aussi moins sensibles aux inhibiteurs du système rénine angiotensine. »

Les ARA2 désormais moins chers

Une méta-analyse, qui a rassemblé des études comparant les IEC aux ARA2 dans le traitement de l’hypertension en l’absence d’insuffisance cardiaque, a pu confirmer que les sartans sont mieux tolérés. Cette classe est en effet associée à une risque d’effets secondaires réduit de 28% par rapport aux IEC (RR= 0.72, IC à 95%, [0.65 à 0.81]).

« L’efficacité étant similaire, mais avec moins d’effets secondaires avec les ARA2, cette analyse (…) suggère que les cliniciens n’ont plus de raison valable de prescrire les IEC dans le traitement de l’hypertension et des indications associées », affirme le Dr Messerli, dans un communiqué.

Interrogé par l’édition internationale de Medscape, le cardiologue a rappelé que la prescription des IEC est entrée dans la pratique courante depuis les résultats de l’essai HOPE, qui a montré une réduction des événements cardio-vasculaires chez des patients à haut risque de complications cardio-vascualires traités par ramipril.

« En réalité, les ARA2 sont tout aussi efficaces et sont associés à moins d’effets secondaires. Certains ont tendance à minimiser le risque de toux, mais cet effet indésirable peut amener le patient à consulter à nouveau ou à interrompre son traitement », ajoute-t-il.

La question du coût a souvent été évoqué pour justifier la préférence vis-à-vis des IEC. C’est d’ailleurs l’argument avancé par la HAS dans ses recommandations de bon usage des médicaments publiées en 2008. Les sartans étant désormais génériqués, l’argument n’est plus vraiment d’actualité, estiment les auteurs dans leur analyse.

 

 

 

 

 

 

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