Patients psychiatriques : une étude incite à mieux dépister les psychotraumatismes

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

17 avril 2018

Paris, France—Quelle place faut-il accorder aux psychotraumatismes dans la genèse et le développement des troubles psychiatriques ? Une étude présentée par le Dr Olivier Fossard (chef du service de psychiatrie, établissement public de santé mentale Montfavet) lors du 12ème congrès Médecine Générale France suggère qu’elle devrait être plus importante que celle qu’on lui accorde aujourd’hui.

En évaluant la proportion de patients psychiatriques tout-venant qui a été exposée à une situation traumatique au cours de sa vie au sein du pôle de soins psychiatriques Avignon Sud Durance (patients hospitalisés temps plein, CATTP, HDJ, CMP et CASP), les Drs Fossars, Lahya et coll. ont constaté que 72 % des patients avaient des antécédents psychotraumatiques.

Par comparaison, il est estimé que 30 % de la population générale a été exposée à un événement potentiellement psycho-traumatique dans sa vie et que 4 % déclenche de la symptomatologie lourde, un chiffre probablement très sous-estimé, selon l’orateur.

Pour le Dr Fossard, ces résultats montrent qu’« il est important de sensibiliser les soignants au dépistage des situations d’exposition psycho-traumatique à la fois en médecine générale et en milieu psychiatrique ».

Il rappelle que les traumatismes psychiques sont associés à un risque accru de complications, de pathologies secondaires, de troubles psychiques et en particulier de troubles dépressifs, de risque suicidaire et d’addiction.

 
Il est important de sensibiliser les soignants au dépistage des situations d’exposition psycho-traumatique Dr Olivier Fossard
 

Une étude sur près de 300 patients

Dans l’étude, 48 soignants du pôle ont effectué un recueil de données auprès de 294 patients « tout venant », tous secteurs confondus, sous forme d’hétéro-évaluation en entretien individuel, soit 20,8 % de la file active du pôle. Les données ont été consignées dans le DPI et anonymisées.

L’évaluation psychiatrique a été réalisée en fonction des critères du Cluster A du TSPT (trouble de stress post-traumatique) du DSM-V.

Il a été demandé aux patients de dire s’ils avaient été témoins ou victimes (ou un de leur proche) d’un ou plusieurs événements de vie stressant intense au cours de leur vie et à quel âge.

Parmi les événements traumatiques cités figuraient :

-la confrontation à la mort violente ou accidentelle ;

-les catastrophes (naturelle : séisme, inondation, incendie…ou humaine : industrielle, ferrovière) ;

-la situation de guerre (précisez : militaire, civil, réfugiés…) ;

-les attentats ;

-les actes de barbarie (esclavage, torture, séquestration, enlèvement…) ;

-le harcèlement, l’humiliation physique ou psychique répétée ;

-l’agression physique ou la menace d’agression physique ;

-l’agression sexuelle ou la menace d’agression sexuelle.

7 patients psychiatriques sur 10 ont été exposés à un événement traumatique

Parmi la population interrogée, 72,2 % des patients avaient des antécédents d’exposition psycho-traumatique sur la vie entière dont une majorité de femmes (64 %).

La moitié avait été exposée à deux situations différentes d’exposition et 3,5 patients sur 10 avaient été exposés entre 3 et 6 fois (psycho-traumatismes complexes).

Un patient exposé sur deux l’avait été avant 18 ans et un patient sur 3 l’avait été avant 12 ans.

Concernant les types d’exposition, les deux principaux étaient pour 48 % un ressenti de mort imminente et pour 52 % un deuil traumatique.

Le délai entre la primo-exposition au traumatisme et la prise en charge était de 28 ans en moyenne.

Tous les diagnostics psychiatriques étaient retrouvés chez les patients exposés (bipolaires, dépressifs, anxieux, psychotiques…).

« Ces résultats confirment une prévalence et un impact plus important des expositions psycho-traumatiques en population psychiatrique, notamment chez les femmes », a commenté le psychiatre qui conclut sur « la nécessité d’un dépistage précoce de l’exposition traumatogène pour une prise en charge adaptée en psychiatrie ».

« Ces résultats posent énormément de questions sur le développement de la pathologie psychiatrique et notamment celle de savoir s’il ne faut pas commencer par rechercher un psycho-traumatisme […] A l’hôpital, le psycho-traumatisme n’est diagnostiqué que dans 1 à 2 % des cas. A ce jour, il n’est pas identifié et n’est pas traité », a souligné le psychiatre.

Le Dr Fossard, appelle à ce que les résultats de cette première enquête en France soient reproduits, notamment dans un CHU. En outre, il précise qu’une

deuxième étude est en cours pour évaluer si les psycho-traumatismes existent toujours en moyenne 28 ans après la primo-exposition, s’ils ont toujours une symptomatologie active en psychiatrie. Les premiers résultats, non encore publiés, semblent indiquer que le volume de soins des patients est corrélé à l’ampleur et la proximité avec le traumatisme (avec par ordre décroissant, les victimes, puis les proches, puis les témoins).

Comment repérer ? Comment traiter ? Questions au Dr Fossard

Dr Olivier Fossard

Les psycho-traumatismes sont-ils difficiles à repérer ?

Dans des psycho-traumatismes comme ceux liés aux attentats, le lien est clair et il est fait. En revanche, dans les psycho-traumatismes complexes, les messages sont brouillés et le lien n’est pas fait. Il existe une mémoire traumatique qui fait que les patients peuvent vivre au présent l’épisode d’angoisse vécu pendant le traumatisme mais ils ne font pas le lien mémoriel avec l’épisode traumatique.

Pouvez-vous donner un exemple de trouble psychiatrique lié à un événement traumatique qui n’est « typiquement » pas repéré ?

Oui, j’ai eu un patient délirant qui croyait qu’il y avait des caméras qui l’observaient. Or, dans son histoire personnelle, il avait été victime d’une agression sexuelle observée. Dans ce cas précis, la sensation d’être vu est une perception psychique qui peut être identifiée mais si le patient est laissé seul avec, il s’invente une raison. Il parle de caméra alors qu’il n’y en a pas. On dit qu’il est délirant, au lieu de revenir au symptôme neuropsychique qui est la sensation d’être observé, concomitante de la dissociation traumatique où il a essayé de s’extraire. Reconnaitre le diagnostic de psycho-traumatisme, fait le status de victime et fait sens.

Comment soigner ces psycho-traumatismes ?

Il faut effectuer un processus de réminiscence ciblé, encadré, réactiver ce traumatisme, remettre en situation, notamment par EMDR, par hypnose ou par des méthodes plus anciennes comme la Gestalt-thérapie. Ce qui est thérapeutique, c’est le travail émotionnel dirigé-ciblé, ce n’est pas de raconter son histoire.

 

 

 

 

 

 

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