L'Ordre des médecins accuse aussi le Dr Djemil d'avoir violé le secret médical, alors que celle-ci, précise le syndicat Ugict-CGT, a déployé « une alerte médicale collective réglementaire » proportionnée à la gravité des faits. Pour l'Ugict-CGT, l'Ordre des médecins est « indifférent au surgissement dans le monde entier des luttes contre le harcèlement sexuel notamment au travail. Et pour cause, malgré la féminisation de la profession, le Conseil national de l’ordre des médecins compte toujours moins de 10 % de femmes ». Le syndicat de la médecine générale (SMG) et l'association SMT réclament pour leur part une commission d'enquête parlementaire et une enquête de l'IGAS sur « les pratiques de l'ordre des médecins après une plainte d'employeurs ».
Quand dénoncer des faits de harcèlement sexuel est sanctionné : le cas du Dr Karine Djemil
Paris, France/11 avril 2018 – Ce 11 avril 2018 se tient le procès en appel du médecin du travail Karine Djemil, devant l'instance disciplinaire du Conseil de l'ordre des médecins. Elle avait été sanctionnée en 2016 de 6 mois de suspension d'exercice par le Conseil régional de l’Ordre, après que des employeurs ont porté plainte contre elle, suite à la rédaction de 2 documents relatant des faits de harcèlement moral et sexuel. Cette affaire interroge une fois de plus la question du rôle des médecins du travail et de leur poids face aux employeurs, mais pas que… « La parole des femmes compte-t-elle pour le conseil de l'ordre des médecins ? » s’interroge l’Association santé et médecine du travail qui soutient le Dr Djemil.
Plainte et expertise psychiatrique imposée
C’est aujourd’hui qu’est examiné devant l'instance disciplinaire du Conseil de l'ordre des médecins (CNOM) l'appel du Dr Karine Djemil, condamnée le 18 janvier 2016, à six mois d'interdiction d'exercice, suite à deux plaintes d'employeurs, « Robert Muller » et « 177 Malesherbes ».
Un rassemblement s'est tenu à Paris ce matin à 9h15 devant le CNOM, à l'appel de plusieurs syndicats et associations de médecins, dont la Fédération de l'éducation de la recherche et de la culture-CGT (Ferc-CGT), mais aussi l'Association santé et médecine du travail, présidé par le Dr Dominique Huez, que nous avons joint : « le Dr Djemil a été confrontée dans deux entreprises différentes à des plaintes pour harcèlement moral, qui était en fait du harcèlement sexuel. Pour protéger les salariées concernées, elle a prononcé une inaptitude totale au travail pour au moins deux d'entre elles. Six mois plus tard, ces salariées ont déposé plainte contre leur employeur pour harcèlement moral et sexuel. Dans le cadre de cette plainte, le Dr Djemil a produit les fiches de postes individuelles de ces salariées. Les employeurs se sont alors retournées contre le Dr Djemil et ont porté plainte contre elle, au motif qu'elle aurait violé le secret du délibéré. Qui plus est, le président de la chambre disciplinaire régional de l'ordre, le Dr Bela Farago, a diligenté contre le Dr Djemil une expertise psychiatrique, qui s'est révélée être négative, le Dr Djemil n'étant bien sûr pas folle. »
Fiches de poste
Les plaintes des sociétés Robert Muller et 177 Malesherbes ont en fait été déposées à la fin de l'année 2014. La société Robert Muller reproche au Dr Djemil la rédaction de deux avis d'inaptitude, et surtout d'une étude de poste, considérée comme tendancieuse par la société Robert Muller, portant atteinte à la vie privée. Cette étude de poste a été produite par la salariée concernée en 2013, devant le conseil des prud'hommes, afin de réclamer à la société Robert Muller le versement de 100 000 euros d'indemnités pour réparation du harcèlement moral et sexuel. De son côté, la société 177 Malesherbes a porté plainte contre une fiche de poste émise en 2012, « portant des accusations graves et non fondées contre la société », selon le conseil de l'entreprise. Le Conseil départemental de l'ordre s'est joint à cette plainte, au motif que le médecin du travail aurait transmis « des éléments d'appréciation personnels qui ne sont ni accessibles ni transmissibles au patients et au tiers », mais aussi qu'elle aurait certifié des faits qu'elle n'a pas elle-même constatés. L'instance disciplinaire avait alors condamné le Dr Djemil, pour avoir entre autres émis des certificats de complaisance favorables aux salariées, mais aussi avoir communiqué des notes personnelles aux salariés de l'entreprise 177 Malesherbes.
Embarras de l’institution
Un premier procès en appel a été ajourné le 17 janvier dernier, au motif, selon la présidente de l'instance, « que la salle ne comportait que huit sièges pour la publicité des débats ». Pour l'association santé et médecine du travail, cet ajournement est révélateur de l'embarras de l'institution : « Les conditions de fonctionnement antérieures de l’instance disciplinaire régionale notamment des entorses à la confidentialité du délibéré, des remarques fantaisistes sur la personnalité du Dr Djemil, et enfin une expertise psychiatrique imposée par abus de pouvoir, rendent très difficile l’examen de l’affaire par l’instance nationale qui se voit en situation de contredire l’instance régionale », établit l'association dans un communiqué. Qui souligne aussi l'énormité de la sanction – six mois de suspension d'exercice – alors même qu'un psychiatre de la Sarthe, finalement mis en examen pour viol, n'avait écopé que de sanctions symboliques ne dépassant pas les trois mois d'interdiction d'exercice. Et d'ajouter : « C’est la question essentielle de la valeur de la parole des femmes, qu’elles soient médecins ou patientes, qui se pose ici : la parole des femmes compte-t-elle pour le conseil de l'ordre des médecins ? »
Harcèlement sexuel requalifié en harcèlement moral
« Nous pouvons être étonnés de la rareté des plaintes pour harcèlement sexuel, notre le Dr Dominique Huez. Mais c'est parce que la honte, l'interdit qui pèsent sur ces actes, font en sorte que les victimes les requalifient d'elles-mêmes en harcèlement moral. En cela, le procès du Dr Djemil est important. » L'association médecine et santé au travail, qui suit de nombreux cas de médecins poursuivis par l'Ordre, va déposer, avec le syndicat des médecins du travail CGT et le syndicat des médecins généralistes (SMG) un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), afin d'empêcher les plaintes des employeurs contre des médecins qui exercent leur fonction.
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Citer cet article: Le Dr Karine Djemil condamnée à 6 mois d'interdiction d'exercice - Medscape - 16 mai 2018.
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