Paris, France – Missionnée par le gouvernement pour analyser le mal-être des étudiants en santé, le Dr Donata Marra a rendu mardi dernier son rapport, celui-ci comporte 15 mesures « concrètes, pragmatiques et opérationnelles », comme les a défini Agnès Buzyn, pour que les études redeviennent un « temps d’épanouissement et de réalisation de soi » [1]. Ces 15 mesures s'appuient sur 12 recommandations que le Dr Marra détaille et commente ici.
Une centaine d’intervenants auditionnés « en toute confidentialité »

Dr Donata Marra
Interpellé par des associations, rapportant des chiffres et des témoignages accablants sur la santé mentale des étudiants en santé, ayant conduit certains d'entre eux au suicide, le gouvernement a missionné le Dr Donata Marra pour réaliser un audit sur ces « graves difficultés ». Un choix pertinent puisque la psychiatre préside et anime un dispositif de soutien aux étudiants et internes en médecine (le BIPE de Sorbonne-Université). L’audition d’une centaine d’intervenants très divers, qui ont pu s’exprimer « en toute confidentialité » a-t-elle précisé, a conduit à la rédaction d’un rapport, dont la qualité, a été soulignée par ses commanditaires. Celui-ci confirme les inquiétudes exprimées par les représentants des étudiants, internes et jeunes médecins au cours des derniers mois.
Dans son constat, le Dr Marra n’a d'ailleurs pas minimisé le problème : le mal-être est bien présent, même si, note-t-elle dans le rapport, « des obstacles ou au moins des réticences à prendre conscience du problème persistent : absence de données françaises méthodologiquement valides selon l’EBM, absence de critères d’alerte reconnus, stigmatisation et discrimination entre les « fragiles ». Et ceux qui ne le seraient pas ».
Changer la donne
Face à ce problème de plus en plus « prégnant » pour reprendre les mots d’Agnès Buzyn, le gouvernement n’a visiblement pas souhaité se contenter d’un simple constat. Ainsi que nous l’avait indiqué le président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), Jean-Baptiste Bonnet, dans une récente interview à Medscape, il a demandé au Dr Marra que la remise du rapport s’accompagne d’un certain nombre de recommandations et d’actions susceptibles de changer la donne, comprenant à la fois des changements urgents et des transformations (sur l’organisation des formations et l’encadrement des stages) à plus long terme.
12 recommandations
Après un rapide constat de la situation débouchant sur le fait qu’il était grand temps d’intervenir (voir Rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé : il y a « urgence à agir »), le Dr Marra a donc présenté et détaillé 12 pistes d’action en faveur de la qualité de vie des étudiants en santé* – lesquels ne sont (bien heureusement) pas tous en difficulté – qui ont servi à rédiger en parallèle 15 engagements du gouvernement.
*Les étudiants en médecine pourront sembler être particulièrement cités. De fait, il existe un nombre de données plus importantes sur leurs difficultés et les internes sont à court terme une des urgences identifiées dans les recommandations.
1. Créer un centre national d’appui pour promouvoir la qualité de vie des étudiants en santé et des soignants.
Commentaire du Dr Marra : « Il s’agit, non pas d'une nième commission, mais d’un centre fonctionnel et transdisciplinaire associant notamment les représentants des étudiants, les Conférences des Doyens en Santé, les Conseils de l’Ordre des professions en Santé, les représentants des patients, des représentants des professionnels en santé…
Sa mission première : former en pédagogie des encadrants (enseignants, représentants étudiants) sur les thèmes de la prévention, la détection et l’évaluation des étudiants en difficulté. Il est en effet nécessaire de disposer d’enseignants référents/leaders dans une société où l’exercice du soin et de l’enseignement connait de tels changements de paradigme ».
2. En urgence : communiquer sur les dispositifs d’accompagnement et les parcours existants (universitaires, extra-universitaires, plateformes téléphoniques, aides par les pairs…).
3. Prévention des risques psychosociaux par les compétences transdisciplinaires : l’« empowerment ».
Commentaire du Dr Marra : « Il faut développer la prévention primaire via l’interface enseignants/étudiants. Travailler sur l’empowerment, c’est donner des moyens aux étudiants qui les rendent capables d’affronter par eux-mêmes certaines situations, et ce grâce à la transdisciplinarité (neuropsychopédagogie, gestion du stress et de la communication). L’accompagnement du projet professionnel peut aussi prendre la forme d’un tutorat confidentiel, choisi par l’étudiant ».
4. Créer des centres régionaux d’accompagnement pour les internes.
Commentaire du Dr Marra : « L’idée est de répondre aux spécificités des internes, qui sont ceux qui le plus de difficultés. Il s’agit, non pas d’une création supplémentaire mais plutôt de fédérer des centres locaux, de façon à ce qu’un interne puisse se rendre dans un autre dispositif local que celui auquel il est rattaché (pour des raisons de confidentialité) ».
5. Prévenir les risques psychosociaux par l’étayage en stage et le professionnalisme.
Commentaire du Dr Marra : « Concernant les stages, les trois mots-clés sont encadrement, objectifs et rétroaction des lieux de stage. Sur ce dernier point : quand il y a des difficultés sur un lieu de stage, il faut que cela se sache, que l’information remonte et que l’institution prenne des mesures. Quant au professionnalisme, c’est un concept peu connu en France où il évoque plutôt l’éthique clinique mais, en pratique, cela concerne aussi le comportement que doit avoir un professionnel de santé. Et dans le comportement, la première marche vis-à-vis de la prévention du harcèlement et des comportements inadaptés dans un milieu professionnel, c’est l’idée que vivre et travailler ensemble, c’est d’abord se respecter les uns les autres. Apprendre et accompagner le « vivre ensemble » doit se faire très précocement. »
6. Prévenir les risques psychosociaux par des interventions pédagogiques sur les programmes et méthodes. Lecture critique du numérique.
Commentaire du Dr Marra : « Introduire une lecture numérique dans les enseignements, c’est sensibiliser les étudiants à l’utilisation et à la législation des médias et réseaux sociaux pour un futur soignant, secret médical et réseaux, gestion des données, utilisation du big data, etc…Une personne auditionnée a dit qu’il s’agissait de passer du « lire, écrire, compter » à « lire, écrire, computer », et c’est exactement cela. En ce qui concerne les méthodes de travail, il faut bien savoir qu’un des facteurs protecteurs, c’est le travail collectif. De même, il faut aussi sortir de la compétition constante annuelle. Autre point évoqué dans le rapport : l’activité sportive. Il ne s’agit pas d’obliger les étudiants à en pratiquer une mais les y inciter et en favoriser la pratique, en en soulignant les bénéfices. »
7. En PACES : renforcer l’étayage pédagogique, renforcer le collectif.
Commentaire du Dr Marra : « Entre la massification et le numérique, on en est arrivé à une diminution des liens sociaux beaucoup plus importante qu’auparavant. Il faut ré-introduire de l’humain en PACES, ce qui suppose de l’étayage pédagogique et du tutorat étudiant. Il faut aussi prévoir un retour sur les expérimentations PACES et les difficultés rencontrées. »
8. Lutter contre le harcèlement.
Commentaire du Dr Marra : « Il faut que chaque étudiant puisse trouver dans chaque université un dispositif d’accompagnement psychologique et juridique des victimes. Il faut également communiquer de façon régulière sur la tolérance zéro de l’institution vis-à-vis du harcèlement. »
9. Médecine préventive universitaire et Médecine de Santé au travail : coordination et complémentarité des approches.
10. Pour les étudiants : PASS Santé pour un accès aux soins en libéral. Réseaux de soins aux soignants.
Commentaire du Dr Marra : « Les centres de santé sont la première étape du parcours de soin pour les étudiants, à la fois somatique et psychologique. Mais il existe un réel manque d’adressage d’aval pour les suivis psychiatriques ou psychologiques tenant compte des limites financières des étudiants et de la nécessité de la confidentialité vis-à-vis de l’institution de formation, d’où l’intérêt d’un PASS Santé et de l’accès à un réseau de soin pour les soignants. »
11. Lutte contre le suicide des étudiants en santé.
12. Assurer l’équité de traitement des étudiants en formations de santé.
Vérifier l’efficacité
« En conclusion, il est temps d’intervenir pour les étudiants, pour les soignants et pour les patients, sans jamais perdre de vue l’aspect systémique du mal-être et sa répercussion sur la qualité des soins. Il ne faut pour autant ni surmédicaliser, ni sur-psychiatriser ce problème et veiller à ne pas laisser marchandiser le mal-être » a affirmé le Dr Marra avant de clore sa présentation.
Si les associations d’étudiants en santé ont globalement considéré que ces mesures étaient pertinentes et allaient dans le bon sens, tout en étant complémentaires de celles qu’elles ont déjà mises en place, restera tout de même à en vérifier l’efficacité. Ce que Jean-Baptiste Bonnet, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) – qui a récemment adressé une lettre ouverte à Agnès Buzyn pour l’alerter sur la santé mentale des étudiants en médecine – n’a pas manqué de rappeler lors de son intervention. « L’objectif est de voir les statistiques sur les taux de dépression et d’idées suicidaires des étudiants en médecine revenir dans les moyennes nationales de leur tranche d’âge, dans un délai de 5 à 10 ans (et plutôt 5 ans que 10) », a-t-il précisé.
Les points d’étape annuels et les enquêtes à jour fixe qui figurent dans les engagements pris par le gouvernement seront un moyen de s’en assurer.
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Citer cet article: Bien-être des étudiants en médecine : les 12 recommandations du Dr Donata Marra - Medscape - 6 avr 2018.
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