Paris, France – Très attendu, le rapport confié au Dr Donata Marra sur la spécificité des risques auxquels les étudiants en santé sont confrontés durant leur parcours de formation, a été rendu public hier [1]. Il a fait l’objet d’une présentation par la psychiatre en charge de l’expertise, en présence des deux ministres qui l’avaient missionnée, Agnès Buzyn pour la Santé et Frédérique Vidal, pour l’Enseignement supérieur, et des principales associations d’étudiants en santé. Qu’en ressort-il ? Est-il à la hauteur des attentes ?
Le mal-être des étudiants : une réalité
Premier constat unanime de tous les acteurs : le mal-être des étudiants est une réalité, les causes sont complexes et multifactorielles, et il y a urgence à agir.
« A la question, y-a-t-il un mal-être des étudiants en santé ? Qu’il s’agisse des enquêtes réalisées par les différentes organisations étudiantes ces derniers mois, de la littérature ou encore des remontées de terrain suite aux témoignages spontanés et aux auditions réalisées auprès de toutes les parties prenantes, l’ensemble des sources d’information le confirment : la réponse est OUI » a affirmé d’emblée le Dr Marra. S’il est difficile d’en mesurer l’ampleur en raison de méthodologies non uniformes, « les résultats convergent et sont suffisamment nets pour affirmer l’existence de difficultés graves » souligne de son côté la ministre Frédérique Vidal.

Dr Donata Marra
Sont-elles plus importantes qu’auparavant ? Peut-être, répond la psychiatre. Sur le plan international en tous cas, les études le suggèrent. Et les fortes évolutions que connait la société (changements culturels, arrivée du numérique, des réseaux sociaux), de même que l’évolution de l’exercice professionnel et les difficultés rencontrées par les systèmes de soins soutiennent cette hypothèse.
Des causes multiples
Une chose est sûre, pour ce qui des facteurs expliquant le mal-être des étudiants : « il n’est pas question de se limiter à l’individu, mais il faut tenir compte de l’environnement, impliquant les enseignants et les instituts de formation » a souligné le Dr Marra.
Autre certitude : les causes sont multiples, la centaine d’auditions et d’entretiens qu’elle a menée en ont révélé le caractère multifactoriel et systémique. Sont nommées : la nature même des études de santé, les conditions d’encadrement des stages, la pression induite par des études compétitives, le temps insuffisant consacré à la vie personnelle et aux activités extra universitaires, le faible accompagnement du projet professionnel, la formation pédagogique parfois insuffisante des encadrants – certains de ces éléments étant plus spécifiques au système français. S’y ajoutent des dispositifs d’aide répartis de façon inégale sur le territoire et la difficulté à obtenir un avis psychiatrique rapide pour certaines situations.
Détermination
Dernière évidence, non des moindres : « il est temps d’intervenir ! » a assené Donata Marra. D’où les 12 recommandations proposées dans le rapport (voir ci-dessous et article Bien-être des étudiants en médecine : les 12 recommandations du Dr Donata Marra) qui ont servi de base à l’élaboration de 15 mesures « identifiées comme des leviers de transformation des comportements, des environnements, des organisations ».
« Il faut voir dans ces 15 engagements notre détermination […] pour qu’enfin les choses changent », a déclaré la ministre de l’enseignement supérieur. « Dans l’action immédiate, a-t-elle précisé, il est nécessaire de distinguer ce qui relève de pratiques inacceptables et ce qui est plus diffusément lié à un climat, à des organisations qu’il convient de changer ». Les messages sont énoncés on-ne-peut-plus clairement : « Certains comportements doivent cesser immédiatement et être sanctionnés : l’humiliation, le harcèlement, le bizutage n’ont pas de place à l’université » et encore « la loi du silence doit être brisée dans les études de santé, comme ailleurs ».
Des mesures immédiates
Pour y parvenir, un certain nombre d’actions devraient voir le jour dès cette année comme la mise en place de cellules d’écoute pour les victimes de violence dans toutes les universités et pour tous les étudiants y compris, bien sûr, les étudiants en santé. Dans les mesures immédiates (avant la rentrée 2018) figure aussi la mise à disposition des étudiants en santé de « dispositifs adaptés aux situations locales permettant à ceux qui le souhaitent de trouver une aide, un conseil, une écoute, s’ils en ressentent le besoin et bien avant d’être en difficulté ». Ces structures d’accompagnement comprendront par ailleurs « des circuits courts d’obtention d’avis de santé psychiatrique dans le respect de la confidentialité » a précisé Agnès Buzyn.
De tels dispositifs existent déjà parfois, à l’exemple du BIPE [Bureau interface Professeur Etudiant de Sorbonne Université], et doivent être généralisés à toutes les universités ayant une composante santé. Là encore, le gouvernement mise sur un changement « culturel ». Pour Frédérique Vidal : « le fait de rechercher un soutien, de proposer un soutien à ses étudiants, à ses collègues, à ses pairs doit devenir une démarche naturelle et ne plus être considéré comme un aveu de faiblesse mettant en cause la capacité à être un jour un soignant ».
Transformation globale des études de santé à moyen terme
Au-delà de ces actions nécessaires, mais pas suffisantes, des changements organisationnels sont prévus avec notamment une transformation globale des études de santé. « Ce sont actuellement des tunnels dans lesquels on s’engage sans bifurcation ni recours, avec peu d’informations. Certaines, comme les études de médecine sont une course d’obstacle scandée par des épreuves et des classements perpétuels. Des évolutions structurelles sont donc nécessaires pour une orientation active, comme nous avons souhaité le faire dans d’autres cursus avec des parcours personnalisés, avec des passerelles et des modalités pertinentes et intelligentes d’évaluation des structures (les expérimentations PACES, la création de passerelles de sortie avec validation des acquis en font partie) » considère la ministre de l’enseignement supérieur.
Parmi les mesures à moyen terme, Agnès Buzyn a évoqué la création d’un « centre national d’appui, une structure légère et réactive regroupant les formateurs et les étudiants des différents cursus ».
Un défi collectif
Enfin, pour que tous ces engagements ne restent pas « lettre morte », il est prévu un point d’étape, une fois par an, sur la qualité de vie des étudiants en santé et les mesures de façon à évaluer concrètement les changements et améliorations qui résultent de leur mise en œuvre.
« Les futurs professionnels de santé sont une richesse pour notre pays et nous devons leur offrir les conditions d’études qu’ils méritent » a conclu Agnès Buzyn.
Un défi qui, on le voit, devra être relevé collectivement.
Les 12 recommandations du rapport

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Citer cet article: Rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé : il y a « urgence à agir » - Medscape - 4 avr 2018.
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