Marseille, France- Les habitants des villes de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône), riveraines de l’une des plus grandes zones industrialo-portuaire d’Europe, sont soumis à de nombreux polluants : métaux lourds, métaux, particules, pesticides organochlorés (PCO), composés organiques volatiles (COV), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), soufre, oxydes d'azotes (NOX)... et cela n’est pas sans conséquence. En janvier 2017, l'étude Fos-Epséal a montré, entre autre, que les habitants avaient deux fois plus de cancers, de diabètes et d'asthme que dans d’autres régions de France [1].
Devant ce portrait global très inquiétant, le Préfet du Rhône avait sollicité l'expertise de Santé Publique France afin d'évaluer la fiabilité de la méthode et des résultats de l’étude. En effet, l’étude ne relève pas des méthodes d’épidémiologie « classique ». Elle utilise une approche participative inédite en épidémiologie, avec une forte implication des habitants (données déclaratives).
Début mars, Santé Publique France a livré à l'Agence Régionale de Santé PACA son rapport d'analyse sur l'étude indépendante Fos-Epséal[2]. L'Agence Régionale de Santé PACA a rendu publiques les conclusions le 20 mars dernier (voir encadré en fin de texte).

Yolaine Ferrier
Yolaine Ferrier, anthropologue, chargée de l'étude Fos-Epséal dirigée par Barbara Allen, a expliqué à Medscape édition française l'intérêt de cette approche épidémiologique inédite en France mais de plus en plus courante en Amérique du Nord.
Medscape France : Pouvez-vous nous rappeler les principaux résultats de l'étude Fos-Epséal ?
Yolaine Ferrier : Notre étude est le portrait complet d'une population qui ne va pas bien. Nos résultats, sans grande surprise, montrent que les 24 000 habitants de Fos-sur-Mer et de Port-Saint Louis souffrent de problèmes de santé. On observe une augmentation de l'asthme chez les adultes (15,8 %, vs 10 % données de la population française), des maladies endocriniennes, notamment des diabètes tout type (11,6 % vs 6%), une augmentation des cancers (10,5% vs 6%), principalement chez les femmes (14,5 vs 4,5%). Les principaux cancers sont ceux du sein, de la prostate, de l'utérus (sans qu'on puisse se l'expliquer), suivis par les cancers de la thyroïde, du colon et les lymphomes.
63 % de la population rapportent au moins une maladie chronique : asthme, maladie respiratoire, affection dermatologique. Ce qui est intéressant également, c'est la prévalence des symptômes : les deux-tiers de notre échantillon présentent soit des irritations des yeux (43,4%), des symptômes nez/gorge (39%), des maux de tête (37,2%), des problèmes de peau (26,8%) ou encore des saignements de nez (7,5%).
Medscape France : Comment analysez-vous le rapport de Santé Publique France qui a rendu ses conclusions le 20 mars dernier ?
Yolaine Ferrier : Nous trouvons leur rapport globalement positif et leurs critiques constructives. Nous réfutons le principal reproche qui concerne la représentativité de l'échantillon. Entre juin et décembre 2015, nous avons recueilli les réponses à un questionnaire très fouillé de 800 foyers (soit un foyer sur douze) répartis sur les deux communes avec en moyenne 2,5 personnes par foyer. Pour nous, cet échantillon a été établi selon les règles de l'art et est tout à fait représentatif de la population étudiée. Par ailleurs, la présence de paragraphes parfois contradictoires dans le rapport de Santé Publique France nous laisse penser que notre travail a suscité des débats et des appréciations divergentes. Remarque positive, les rapporteurs de Santé Publique France reconnaissent qu'ils ont été bousculés par le fait qu'on ouvre la boîte noire de l'épidémiologie aussi profondément aux habitants. Mieux, ils y voient une approche complémentaire de la traditionnelle. C'est important que Santé Publique France se positionne car on a besoin de la reconnaissance des épidémiologistes qui travaillent au service de l'Etat.
Medscape France : Quelles sont les spécificités de votre approche en épidémiologie ?
Yolaine Ferrier : C'est une recherche participative ancrée localement, en anglais on parle de community-based participatory research, une approche développée aux Etats-Unis dans laquelle les habitants sont fortement impliqués à tous les stades de la recherche. La question de recherche doit pré-exister à l'arrivée des chercheurs. Ici, il s'agissait de répondre à leurs inquiétudes quant à l'impact du cumul des pollutions sur leur état de santé, des questions auxquelles n'avaient pas répondu les différentes études menées jusque-là. Notre questionnaire a été bâti d'une manière très scientifique et rigoureuse. Une fois cette étape d'entretiens en face-à-face réalisée, nos résultats préliminaires agrégés ont été analysés avec les habitants au sein d'ateliers collaboratifs, ce qui permet une analyse plus fine. C'est après que nous avons rédigé le rapport final qui a été présenté d'abord aux citoyens. Par rapport à l'épidémiologie « traditionnelle », la recherche participative permet d'accroître la pertinence, la rigueur et l'impact des résultats et connaissances produits. Si l'approche n'est pas la même, on travaille sur la même réalité et nous sommes convaincus que faire participer les habitants est la seule manière de saisir les données de santé de façon la plus exhaustive possible.
Medscape France : Est-ce que vous avez l'intention d'exporter cette approche pour l'étude d'autres villes ?
Yolaine Ferrier : Nous avons en effet l'intention de mener d'autres études Epséal. Nous allons mener à partir du mois de juin une nouvelle étude Epséal financée par l'Anses, sur une ville des Bouches-du-Rhône (13) qui n'est pas soumise à une pollution à dominante industrielle. Par ailleurs, nous avons été contactées par de nombreux médecins et associations qui voudraient être formés à notre méthodologie. Celle-ci, à la demande des habitants de Gardanne, pourrait par exemple être utilisée pour étudier la santé des riverains impactés par les boues rouges. Nous avons eu des demandes d'autres villes polluées et envisageons aussi des projets européens.
Etude Fos-Epséal : le rapport d'analyse de Santé Publique France en bref
Selon le rapport de Santé Publique France, la comparaison des résultats statistiques basés sur les déclarations des personnes interrogées dans l’étude Fos-Epséal à des données de référence régionales ou nationales « fait apparaître des excès de risque pour plusieurs pathologies au sein de l’échantillon de populations des communes enquêtées ».
« Toutefois, le comité a estimé que l’existence de ces excès et leur ampleur est limitée par des biais de sélection de l’échantillon enquêté, les références retenues et les méthodes d’ajustement utilisées », précise SPF.
Le rapport indique que « les argumentaires utilisés pour faire le lien entre un résultat sanitaire (une pathologie localement observée en excès) et une cause environnementale, présentés dans l’étude comme des « éléments d’analyse participative », doivent être considérés comme des hypothèses émises par les chercheurs et les populations, que des études ad hoc plus précises seraient en mesure de confirmer ».
« La démarche d’épidémiologie ancrée localement, fondée sur les perceptions et l’expérience des populations, apparaît complémentaire à l’approche de l’épidémiologie traditionnelle. La coexistence de ces deux approches est utile pour maintenir la crédibilité et optimiser l’efficacité du système français d’alerte en santé environnementale », conclut le rapport.
Santé Publique France reconnait que : « l’intérêt porté sur les maladies qui préoccupent la population, la prise en compte de la santé telle qu’elle est exprimée par la population et les concertations mises en place lors de l’étude Fos-Epséal » sont les principaux atouts de l’étude.
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Citer cet article: Fos-sur-mer : une nouvelle approche épidémiologique établit un lien entre pollution et risque pour la santé - Medscape - 4 avr 2018.
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