Nantes, France– Le dépistage du diabète gestationnel (DG) précoce est-il vraiment associé à un meilleur pronostic en termes de complications pour la mère et pour l’enfant ? Deux études présentées au congrès annuel de la Société Francophone du Diabète (SFD) ont répondu par la négative [1,2.]
Les recommandations SFD/CNGOF de 2010 ont proposé de considérer comme pathologiques les glycémies à jeun entre 0,92 et 1,25 g/L en début de grossesse (diabète gestationnel précoce) et de les prendre en charge immédiatement par des mesures diététiques, une activité physique régulière, 6 auto-surveillances par jour et, si nécessaire, un traitement complémentaire par insuline (environ un tiers des cas). Avant cela, le diabète gestationnel était dépisté entre la 24ème et la 26ème semaine d’aménorrhée.
Mais « si le risque de complications est d’autant plus élevé que la glycémie à jeun en début de grossesse est élevée, il n’est pas démontré que prendre en charge les femmes présentant un diabète gestationnel précoce limite la survenue de complications », a commenté le Pr Emmanuel Cosson (endocrinologue-diabétologue au CHU de Bondy et secrétaire général de la SFD), premier auteur de l’une des études, lors de la conférence de presse du congrès de la SFD.
« D’autre part, la prise en charge systématique des 30 à 50 % de diabètes gestationnels précoces conduit à augmenter la charge de travail des équipes soignantes de même que le stress et les contraintes des femmes dépistées. Cette stratégie constitue un problème », précise-t-il.
Des résultats qui remettent en cause les recommandations de 2010
Deux études observationnelles présentées lors du congrès de la SFD ont évalué l’impact de ce dépistage et de cette prise en charge précoce sur les complications materno-fœtales et les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Dans la première, menée par le Pr Emmanuel Cosson[1], ont été incluses des femmes, avec une grossesse unique, sans antécédent de diabète ou de chirurgie bariatrique, ayant accouché dans la maternité du CHU de Bondy entre le janvier 2012 et octobre 2016. Les femmes enceintes étaient encouragées à se faire dépister même sans facteur de risque.
Les chercheurs ont comparé la survenue d’événements (critère principal composite prédéfini : prééclampsie ou enfant de poids élevé pour l’âge gestationnel ou dystocie des épaules) selon qu’un dépistage et une prise en charge pour DG avaient été réalisés ou non avant 22 semaines d’aménorrhée (SA).
Il en ressort que l’incidence du critère principal est identique chez les femmes dépistées et non dépistées précocement (12,5 vs 11,8% respectivement, p=0,3534). Et, les résultats sont similaires lorsque l’analyse est cantonnée aux femmes avec facteur de risque de DG selon les recommandations françaises (14,0 vs 14,9%, p=0,3137).
Les incidences des autres événements (césarienne, hypoglycémie néonatale, hospitalisation néonatale, malformations) sont également identiques dans les deux groupes.
Ces résultats sont étonnants alors même que les femmes du groupe dépisté précocement sont davantage traitées (insulinothérapie chez 8,6% d’entre elles vs 5,6 % des femmes dépistées tardivement, p<0,001) et qu’elles sont plus à risque de complications au départ.
Comparées aux femmes non dépistées (n=4634, 53,3%), les femmes dépistées précocement (n=4079) ont des origines différentes (p<0,0001) et plus de facteurs de risque de DG : surpoids (48,6 vs 45,7, p<0,01), antécédents familiaux de diabète (27,8 vs 25,0%, p<0,01), antécédents personnels de DG (6,4 vs 4,3%, p<0,01) ou d’enfant macrosome (3,6 vs 2,7%, p<0,05).
Sur ce point, les chercheurs précisent qu’un ajustement selon les facteurs de confusion entre les deux groupes est en cours.
Pas de modification du risque de macrosomie
La deuxième étude[2], réalisée par Anne Wangergue (service de diabétologie, CHU de Lille) et coll. a obtenu des résultats allant dans le même sens.
Dans ce travail multicentrique lillois, les chercheurs ont comparé la survenue de macrosomies chez les femmes dont le diabète avait été dépisté précocement (avant 20 SA) ou tardivement (après 24 SA) entre février 2011 et décembre 2016 (recommandations IADPSG).
Parmi les 2948 DG dépistés, les « DG précoces » représentaient 48,9% des patientes (n=1445) alors que 1503 patientes avaient eu un « DG tardif ».
Là encore, aucune différence significative n’a pu être observée sur l’incidence des macrosomies dans les deux groupes : respectivement de 17,69% dans le groupe DG précoce versus 17,70% dans le groupe DG tardif, et ce même après ajustement sur les facteurs confondants (OR= 1,07 IC 95% 0,88-1,30 avec catégorie de référence « DG précoce »).
En ce qui concerne les mères, aucune différence significative n’a été retrouvée entre les 2 groupes pour l’âge et la parité. En revanche, les « DG précoces » avaient un IMC prégestationnel plus élevé que les « DG tardif » (p<0,001). La moyenne d’HbA1c était plus basse dans le groupe « DG précoce » que dans le groupe « DG tardif » (p< 0,001). Par ailleurs 41,2% des DG précoces avaient reçu une insulinothérapie versus 22,4% dans le groupe DG tardif (p< 0,001).
Ces deux études suggèrent que « la stratégie de dépistage précoce des dysglycémies pendant la grossesse recommandée actuellement en France ne permet pas d’améliorer le pronostic des grossesses », conclut le Pr Cosson.
D’autres études randomisées, interventionnelles, seront toutefois nécessaires pour confirmer ces résultats, indiquent les chercheurs.
Les auteurs déclarent ne pas avoir d'intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial en relation avec le sujet présenté. |
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Citer cet article: Faut-il revenir sur le dépistage précoce du diabète gestationnel? - Medscape - 29 mars 2018.
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