Oxford, Royaume-Uni -- Les patients atteints de troubles psychiques ont souvent des problèmes de sommeil. Or, si les mauvaises nuits ont longtemps été vues comme une conséquence du mal-être, depuis quelques années, on sait qu’elles peuvent aussi contribuer à l’apparition de troubles psychiatriques [1,2,3]offrant ainsi aux médecins une nouvelle cible thérapeutique.
L’étude OASIS, publiée dans le Lancet Psychiatry en décembre 2017[4] confirme cette hypothèse en montrant que traiter l’insomnie par une thérapie comportementale (TCC) diminue les expériences psychotiques dans une population d’étudiants anglais.
« Il s’agit de la première étude avec assez de puissance pour déterminer l’impact du traitement des troubles du sommeil sur les expériences psychotiques », indiquent les chercheurs le Pr Daniel Freeman (professeur de psychologie clinique à l’université d’Oxford, Royaume Uni) et coll.
Et, « cet essai apporte des preuves tangibles de la relation de causalité entre l’insomnie et les troubles psychotiques et d’autres troubles psychiques », précisent-ils.
Insomnie et TCC en ligne
L’essai OASIS a été réalisé auprès de 3775 étudiants majeurs diagnostiqués comme insomniaques (échelle SCI) dans 26 universités du Royaume-Uni. Les participants, surtout des jeunes femmes, ont été randomisés pour recevoir soit une thérapie cognitive comportementale (TCC) du sommeil en ligne (n=1891) soit des soins laissés au libre choix de l’étudiant et donc en pratique, peu ou pas de traitement (n=1864).
L’équipe de chercheurs n’avait pas connaissance du traitement reçu par les participants.
L’impact de la TCC sur l’insomnie et les troubles mentaux a été évalué par des auto-questionnaires en ligne aux semaines 3, 10 (fin de la TCC) et 22 (voir encadré « Evaluation de l’insomnie et des troubles psychotiques »).
Les critères primaires d’évaluation étaient l’insomnie, la paranoïa et les hallucinations. Les critères secondaires d’évaluation incluaient la dépression, l’anxiété, les cauchemars, la manie, le bien être psychologique.
Précisions sur la TCC en ligne
En tout, 6 séances de TCC en ligne et accessibles via iphone ont été programmées (programme Sleepio). Ces séances hebdomadaires ont duré en moyenne 20 minutes. A l’issu de la première séance, des algorithmes étaient capables de personnaliser le programme thérapeutique. Et, par la suite, les données « sommeil » renseignées quotidiennement par les participants permettaient d’adapter les sessions.
La TCC interactive, présentée par un thérapeute virtuel comprenait des techniques comportementales, cognitives et un volet « éducation ».
Le volet comportemental incluait de la restriction de sommeil, le contrôle du stimulus (ex : sortir du lit après 15 à 20 minutes sans pouvoir dormir) et de la relaxation. Les techniques cognitives comprenaient, entre-autre, de l’intention paradoxale (ex : essayer de rester éveiller), la déconstruction des « fausses » croyances (ex : avoir des attentes irréalistes sur le sommeil), de la pleine conscience (avoir conscience de ses pensées et sentiments sans jugement et interprétation) et la génération d’idées positives. Le volet « éducation » contenait des informations sur les mécanismes du sommeil et l’hygiène du sommeil (pas d’écrans avant le coucher, limitation du café, de l’alcool ou de la nicotine en soirée…).
Traiter l’insomnie améliore la santé mentale
Il ressort des analyses des chercheurs que la TCC a eu un fort impact sur l’insomnie (RR = 4,78, IC 95 % de 4,29 à 5,26, p<0,0001) et un impact significatif sur la paranoïa (- 2,22, p<0,0001) et les hallucinations (- 1,58, p<0,0001).
Après traitement, 62 % des 733 individus dans le groupe traité et 29 % des 1142 individus dans le groupe contrôle n’étaient plus considérés comme insomniaques.
Selon les chercheurs, les améliorations sur le sommeil observées au bout de 3 semaines expliquaient approximativement la moitié de l’impact sur les troubles psychotiques.
Aussi, les changements observés sur le sommeil à 10 semaines expliquaient 58 % de l’effet observé sur la paranoïa et 39 % des effets sur les hallucinations.
Concernant les critères de jugement secondaires, la TCC en ligne améliorait significativement la dépression mais aussi l’anxiété, le bien-être psychologique, les cauchemars et le fonctionnement. A l’inverse, les scores de manie étaient moins bons (voir tableau).
Critères secondaires à la semaine 10
Critère |
RR |
p |
Insomnie (ISI) |
–3,72 (–4,16 to –3,29) |
P<0,0001 |
Cauchemars (DDNSI) |
–1,63 (–2,16 to –1,10) |
P<0,0001 |
Psychose prodromale (PQ-16) |
–0,81 (–1,03 to –0,60) |
P<0,0001 |
Dépression (PHQ-9) |
–2,83 (–3,30 to –2,35) |
P<0,0001 |
Anxiété (GAD-7) |
–1,86 (–2,29 to –1,43) |
P<0,0001 |
Manie (Altman) |
0,93 (0,67 to 1,19) |
P<0,0001 |
Fonctionnement (WSAS) |
-4,36 (–5,03 to –3,69) |
P<0,0001 |
Bien être (WEMWBS) |
2,47 (1,72 to 3,22) |
P<0,0001 |
Une hypothèse à tester dans d’autres populations
Les chercheurs précisent qu’il existe plusieurs biais à leur étude.
Ils mentionnent notamment le fait que l’adhésion à la TCC en ligne a été faible : 69 % des étudiants ont participé à au moins une session, 50 % à au moins deux sessions, 36 % à au moins 3 sessions, 26 % à au moins 4 sessions, 21 % à au moins 5 sessions, et seulement 18 % aux 6 sessions.
Parmi les autres limites de l’étude, ils citent le fait que les évaluations ont été menées à partir d’auto-questionnaires et que la population étudiée soit assez homogène et non représentative de la population générale (étudiants au RU, troubles psychotiques légers...).
« Des évaluations suffisamment puissantes dans d’autres populations seraient un plus, mais les preuves montrant que l’on devrait accorder une plus grande place au traitement des troubles du sommeil dans la prise en charge de la santé mentale s’accumulent », concluent toutefois les chercheurs.
L’insomnie a été évaluée via l’échelle SCI-8 évaluant le sommeil et son impact sur le fonctionnement pendant la journée (un score <17 identifie 89 % des personnes avec une probable insomnie). Une question supplémentaire a été posée sur le réveil le matin.
La paranoïa a été évaluée par la Green et al Paranoid Thought Scales (GPTS), part B dont les scores élevés sont associés à un haut niveau de paranoïa. Cette échelle évalue les idées de persécution au cours des 15 derniers jours.
Les hallucinations ont été évaluées sur les 15 derniers jours par la Specific Psychotic Experiences Questionnaire—Hallucinations subscale. Les scores élevés sont associés à une fréquence plus intense d’expériences hallucinatoires.
Il a également été demandé aux participants à chaque évaluation s’ils étaient en contact avec un professionnel de la santé mentale ou s’ils prenaient un traitement pour un trouble psychique.
Les liens d’intérêt sont listés à la fin de l’article. |
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Citer cet article: Hallucinations et paranoïa : traiter l’insomnie peut changer la donne - Medscape - 28 mars 2018.
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