Pointe-à-Pitre, France- Des chercheurs de l'Inserm, de l'Institut Pasteur et du CHU de la Guadeloupe ont estimé le risque de complications neurologiques fœtales et néonatales associées à l'infection par le virus Zika. Leurs résultats viennent d'être publiés dans le New England Journal of Medicine [1].
Quand l'épidémie de Zika, virus transmis par les moustiques du genre Aedes aegypti, arrive aux Antilles début 2016, les services hospitaliers sont prêts à recevoir l'afflux de patients touchés par le virus. Une vaste étude incluant des milliers de femmes enceintes est mise en place dans l'urgence afin de déterminer le risque d'anomalies du système nerveux central en formation quand la mère est infectée par Zika au cours de la grossesse.

Pr Bruno Hoen
Le Pr Bruno Hoen, premier auteur de l'étude, chef du service de maladies infectieuses et tropicales, dermatologie et médecine interne du CHU de Pointe-à-Pitre, revient sur l'étude et les circonstances bien particulières qui ont entouré sa mise en œuvre.
Medscape édition française : Vos travaux, publiés dans le NEJM, ont permis d'estimer les risques neurologiques en fonction du stade de la grossesse. Quels sont-ils ?
Bruno Hoen : Notre article porte sur les femmes de la cohorte qui ont présenté une infection symptomatique confirmée à virus Zika au cours de leur grossesse. Elles ont été suivies tous les mois et lorsqu'une anomalie fœtale était détectée lors d'une échographie, un examen par IRM était réalisé. Nous avons observé un sur-risque significatif d'anomalies neurologiques congénitales. Le risque dépend du stade de la grossesse. Il est de 12,7% quand la mère est infectée au premier trimestre, 3,6 % au deuxième trimestre et de 5,3 % au troisième trimestre de grossesse. Pour les microcéphalies graves (périmètre crânien <-3 DS), il est de 1,6% toutes situations confondues, ce qui est bien plus important que le taux observé dans le registre antillais des anomalies congénitales, qui est de 1 cas pour 10 000 naissantes vivantes. Il décroît avec l'âge de la grossesse au moment de l'infection à virus Zika : 3,7 % pour une infection au cours du 1er trimestre, 0,8 % au 2ème trimestre et 0 au 3ème trimestre.
Nous avons proposé aux parents, dont la mère appartenait à la cohorte initiale, que leurs enfants continuent à être suivis. Il s'agit maintenant de suivre leur développement psychomoteur. Les premiers bébés atteignent l'âge d'un an. Les pédiatres sont convaincus qu'il faut un suivi plus long pour pouvoir être certain de l'absence d'anomalies.
Medscape édition française : Comment vous étiez-vous préparé à cette épidémie tant sur le plan de la recherche que sur le plan clinique ?
Bruno Hoen : Avant l'arrivée du virus dans nos territoires, nous savions qu'une infection par le virus Zika pouvait déclencher chez l'adulte un syndrome de Guillain-Barré comme cela avait été constaté en Polynésie. Fin 2015, au Brésil, on commence à mettre en lien l'infection virale avec l'augmentation des anomalies malformatives neurologiques chez les nouveau-nés dont la mère avait été infectée pendant la grossesse. Mais nous n'avions pas d'estimation du risque. Fin décembre 2015, nous avons eu la présomption forte que l'épidémie toucherait les Antilles et nous avons rédigé, en urgence, un programme de recherche afin de conduire une étude de cohorte pendant la durée de l'épidémie. Nous avons obtenu toutes les autorisations administratives dans un délai, rapide dont on n'aurait pas osé rêver, de deux mois. Nous avons commencé à inclure des femmes enceintes en mars 2016. Il a fallu également se préparer à l'épidémie au niveau clinique. Les hôpitaux ont notamment augmenté leurs capacités de réanimation et acquis un nombre suffisant de respirateurs : pendant l'épidémie, on a admis quatre fois plus de patients atteints du syndrome de Guillain-Barré qu'en temps normal. L'accompagnement et la surveillance des grossesses a été renforcé, avec par exemple six échographies prénatales, ce qui a conduit à augmenter le parc d'appareils à échographie et à mobiliser des ressources en personnels pour les utiliser.
Medscape édition française : Où en est aujourd'hui l'épidémie de Zika ?
Bruno Hoen : Dans les territoires français d'Amérique, l'épidémie de Zika est stoppée depuis la fin de l'année 2016. Vraisemblablement, le virus ayant déjà touché tellement d'individus – plus de la moitié de la population –, il n'y a plus de circulation possible car les hôtes des moustiques sont désormais immunisés. Le virus ne peut tout simplement plus se transmettre. Cela dit, les enfants qui naissent aujourd'hui ne sont pas immunisés contre ce virus, qui pourrait réapparaître avec le remplacement générationnel. Mais on n'imagine pas une nouvelle épidémie avant plusieurs années. En revanche, au Brésil et en Amérique Centrale, la circulation virale se poursuit et devrait continuer longtemps dans la zone intertropicale. Le virus Zika a rejoint le groupe des agents pathogènes (rubéole, cytomégalovirus et toxoplasmose en tête) qui exposent l'embryon et le fœtus à un risque tératogène. Maintenant que nous disposons d'un test fiable, je pense qu'il est important de faire la sérologie Zika chez la femme enceinte afin de savoir si elle a déjà rencontré le virus, d'autant plus que nous ne disposons pas encore d'un vaccin. Il faut considérer le risque d'exposition en fonction des zones où les femmes enceintes vivent ou se rendent en voyage.
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Citer cet article: Zika et complications neurologiques obstétricales: le Pr Hoen fait le point sur les données françaises - Medscape - 23 mars 2018.
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