Prise en charge de l’HTA chez le coiffeur : résultats saisissants dans une population afro-américaine

Aude Lecrubier, Patrice Wendling

Auteurs et déclarations

22 mars 2018

Orlando, Etats-Unis — Le contrôle de l’hypertension artérielle est un vaste problème de santé publique. En France, notamment, les dernières enquêtes FLASH et Esteban 2017 ont montré que la proportion d'hypertendus contrôlés était à son plus bas niveau depuis des années. Pour changer la donne, médecins et chercheurs explorent différentes pistes. Faut-il changer les modalités de traitement et, par exemple, pouvoir proposer des trithérapies fixes d’antihypertenseurs comme le préconise, notamment, la SFHTA dans son récent livre blanc ou les derniers résultats de l’étude TRIUMPH présentés à l’ACC 2018 ? Quelles sont les meilleures stratégies pour favoriser le dépistage et le suivi des patients ?

Concernant ce dernier point, des chercheurs de l’université de Californie Los Angeles (UCLA) ont fait une expérience intéressante en invitant des hommes afro-américains à se faire dépister et suivre dans le salon de coiffure qu’ils fréquentent habituellement.

Le dépistage et le suivi réalisés sur place par des pharmaciens formés ont permis de mesurer régulièrement la pression artérielle des clients, de leur prescrire des médicaments, de suivre leurs taux d’électrolytes et de créatinine. Le tout en relation étroite avec leur médecin traitant.

Les résultats, présentés en late breaking trial lors du congrès de l’ACC 2018 et publiés simultanément dans le NEJM, sont impressionants[1,2]. Une pression artérielle de moins de 130/80 mm Hg a été obtenue chez 63,6 % des hommes qui ont bénéficié de cette approche. Alors qu’en parallèle, ceux qui étaient juste encouragés par les coiffeurs à consulter leur médecin généraliste et à changer de mode de vie ont atteint ces objectifs tensionnels dans 11,6 % des cas (RR=5,7, IC 95%, de 2,5 à 12,8, p<0,001).

 « Je pense qu’il s’agit d’un nouveau mode de prise en charge des maladies chroniques. Agir où les gens vivent, travaillent, et pratiquent leurs loisirs va devenir essentiel dans la prise en charge des maladies chroniques », a commenté le Dr Karol E Watson (université de Californie Los Angeles, Etats-Unis) lors de la discussion des résultats.

 
Agir où les gens vivent, travaillent, et pratiquent leurs loisirs va devenir essentiel dans la prise en charge des maladies chroniques  Dr Karol E Watson
 

Changement de lieu donc mais aussi d’acteur, comme le propose aussi le récent livre blanc de la SFHTA dont l’objectif est d’améliorer le dépistage, le contrôle des hypertendus et les parcours de soins.

Le dépistage doit être réalisée par un professionnel de santé mais pas forcément par un médecin, expliquait à Medscape le Pr Claire Mounier Véhier (Cardiologue, Institut Cœur- Poumon, CHRU de Lille) lors d’un récent entretien sur ce nouveau livre blanc. « Cela peut être un pharmacien, une infirmière scolaire, à la médecine du travail […] », soulignait-elle.

« Un des gros problèmes en médecine est qu’il y a un bel enthousiasme à chercher de nouveaux médicaments mais qu’il n’y a pas le même enthousiasme à chercher comment faire pour que les gens prennent les médicaments qui, nous le savons, sont efficaces », a commenté le Dr John A Jarcho, co-président de la session et rédacteur en chef adjoint au NEJM, à nos confrères de theheart.org | Medscape Cardiology.

 
Un des gros problèmes en médecine est qu’il y a un bel enthousiasme à chercher de nouveaux médicaments mais qu’il n’y a pas le même enthousiasme à chercher comment faire pour que les gens prennent les médicaments  Dr John A Jarcho
 

Un petit essai randomisé qui change la donne

Dans cette étude, le Dr Ronald G Victor (Centre de l’hypertension, Centre médical Cedars-Sinai, Los Angeles, Etats-Unis) et coll. ont inclus 319 afro-américains âgés de 39 à 79 ans avec au moins deux mesures de pression artérielle ≥ 140 mm Hg dans 52 salons de coiffure afro à Los Angeles.

Les participants, des habitués, se rendaient toutes les deux semaines chez le même coiffeur depuis plus de 10 ans, ce qui « montre vraiment que le salon de coiffure est un lieu de convivialité (hub social) pour beaucoup d’hommes afro-américains et un bon endroit pour traiter des maladies chroniques comme l’hypertension », a souligné le Dr Victor.

Les participants ont été randomisés pour bénéficier d’une prise en charge active de l’HTA par le pharmacien, en lien avec le médecin traitant (bras intervention), ou pour être encouragés par les coiffeurs à consulter leur médecin généraliste et à changer de mode de vie.

Les objectifs tensionnels à atteindre étaient de 130/80 mm Hg (recommandations ACC/AHA 2017).

Dans le bras « intervention », le protocole thérapeutique consistait à prescrire deux antihypertenseurs : un antagoniste calcique (préférentiellement l’amlodipine) et soit un ARAII, soit un IEC. Si besoin, un troisième antihypertenseur, préférentiellement le diurétique thiazidique indapamide, pouvait être ajouté. Les substitutions de classes thérapeutiques étaient permises lorsqu’elles étaient médicalement indiquées.

Une baisse de 27 mm Hg en moyenne dans le bras « intervention »

A six mois, les hommes du bras intervention ont vu leur pression artérielle systolique (PAS critère principal) baisser de 27 mm Hg en moyenne, de 152,8 mm Hg à 125,8 mm Hg versus 9,3 mm Hg en moyenne, de 154,6 à 145,4 mm Hg dans le bras « contrôle ».

L’écart moyen de PAS entre les deux bras était de -21,6 mm Hg (IC 95 %, de -14 ;7 à -28,4, p<0,001) et l’écart moyen de PAD était de -14,9 mm Hg (IC 95 %, -10,3 à -19,6 ; p<0,001).

Aucun effet secondaire sévère n’est survenu dans le bras « intervention », selon le Dr Victor bien que 3 cas d’insuffisances rénales aiguës réversibles aient été rapportés, tous associés à l’insapamide (Lozol®, Sanofi-Aventis).

« Même cette amélioration de 9 mm Hg observée dans le groupe contrôle est quelque chose dont on rêve dans les essais cliniques sur la pression artérielle », a commenté le Pr Eileen Handberg (directrice du programme des essais cliniques cardiovasculaires à l’université de Floride, Gainesville) lors d’une conférence de presse.

 
Cette amélioration de 9 mm Hg observée dans le groupe contrôle est quelque chose dont on rêve dans les essais cliniques Pr Eileen Handberg
 

Ce type d’intervention « exploite le potentiel du relationnel. Il s’agit d’une médecine de proximité, dont nous nous sommes éloignés depuis l’EMR [electronic medical record] et depuis que nous devons voir les gens en 10 minutes », précise-t-elle.

Concernant la question du coût d’une telle intervention pour la société, le Dr Victor a indiqué qu’une analyse des coûts sur 12 mois de suivi était en cours. Il a, par ailleurs, précisé, qu’aux Etats-Unis, 45 états disposaient déjà de lois permettant aux pharmaciens de dispenser des médicaments avec l’accord des médecins.

 

L’essai a été financé par les National Institutes of Health (NIH), National Heart, Lung, and Blood Institute, NIH National Center for Advancing Translational Sciences UCLA Clinical and Translational Science Institute, California Endowment, Lincy Foundation, Harriet and Steven Nichols Foundation, Burns and Allen Chair in Cardiology Research/Smidt Heart Institute, et le Cedars–Sinai Medical Center.

Le Dr Victor et le Dr Jarcho n’ont pas rapporté de liens d’intérêt en rapport avec le sujet. Le Dr Watson a rapporté des liens d’intérêt avec Amgen, Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Daiichi Sankyo, GlaxoSmithKline et Merck. Le Dr Handberg a rapporté de nombreux liens d’intérêt et notamment des financements du NIH.

Pr Claire Mounier-Véhier a déclaré les liens financiers suivants:

• Exerce (a excercé) les fonctions de conférencier ou de membre d’un bureau de conférenciers pour : Astra Zeneca ; Bayer Pharma ; Daiichi Sankyo, Inc ; Leo Pharma ; Merck Sharp & Dohme Corp.; Novartis ; Novo Nordisk.

 

 

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....