Paris, France – « Madame la Ministre, nous avons perdu l’espoir d’être heureux dans notre rôle de soignant, cela est inacceptable ». Cette accroche désespérée, extraite de la lettre ouverte que les étudiants de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) ont adressé à Agnès Buzyn le 4 février dernier (publiée dans le magazine Elle) [1], témoigne du ras-le bol ressenti après un ultime suicide d’internes – pas moins d’une dizaine ces douze derniers mois. Celui de Marine, 26 ans, interne en dermatologie à l’hôpital Cochin et décrite par ses collègues comme « extrêmement investie et passionnée », a été la goutte de trop dans un vase qui en a déjà trop vu.
L’ISNI avait déjà interpellé les pouvoirs publics l’an dernier avec l’enquête sur le burn-out des étudiants en médecine et ses résultats édifiants (Voir Dépression : un quart des étudiants en médecine laissés en souffrance). Aujourd’hui, ils veulent des actes et « chaque jour compte ».

Jean-Baptiste Bonnet
Dans l’attente du rapport confié au Dr Donata Marra par le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, nous avons demandé à Jean-Baptiste Bonnet, interne en cinquième semestre d’endocrinologie à Montpellier et nouveau président de l’ISNI, quelles allaient être les retombées concrètes des actions lancées par son prédécesseur concernant les risques psycho-sociaux.
Nous avons aussi abordé le sexisme, la réforme des études médicales, la territorialité, le numérique…Autant de sujets sur lesquels les internes en médecine ont leur mot à dire et l’envie de faire bouger les choses.
Medscape édition française : Pourquoi cette lettre ouverte à Agnès Buzyn le mois dernier ?
Jean-Baptiste Bonnet : Cette démarche fait suite à l’électrochoc qu’a constitué le décès de Marine, une interne de 26 ans que l’on savait très investie dans son travail. On en a eu ras-le-bol des suicides, qui est la partie émergée, la plus visible, de l’iceberg du malaise des étudiants en médecine, même si l’on est conscient que ces décès sont multifactoriels.
Medscape édition française : L’enquête nationale que vous avez réalisée l’année dernière avec 3 autres structures représentatives des jeunes et futurs médecins sur la santé psychique des étudiants en médecine a montré une grande souffrance chez nombre d’entre eux. Quelles conséquences a-t-elle eu?
Jean-Baptiste Bonnet : Force est de constater que la plupart des institutions ont bougé leurs lignes sur le sujet, avec deux grandes conséquences, la première, c’est d’avoir fait prendre conscience du problème et d’avoir pu le mesurer, la deuxième, c’est la commande par deux ministères, celui des solidarités et de la santé et celui de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation d’un rapport sur les risques psychosociaux et la qualité de vie au travail des étudiants en médecine au Dr Donata Marra.
Medscape édition française : Tout le monde parle de ce fameux rapport et il semble qu’il soit aujourd’hui finalisé, pourquoi n’a-t-il pas encore été rendu public ?
Jean-Baptiste Bonnet : Il sera rendu public mais je crois que le gouvernement souhaite que le constat s’accompagne de solutions et de projets d’action, et ces derniers points sont encore en discussion, notamment avec nous. Les cabinets ministériels sont à l’écoute et nous avons été auditionnés. De ce point de vue, « the job is done » mais il faut désormais mettre en place des actions concrètes.
Medscape édition française : Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
Jean-Baptiste Bonnet : Nous souhaitons que, dans un délai de 5 à 10 ans, c’est-à-dire raisonnable par rapport à des études de médecine, les statistiques sur les taux de dépression et d’idées suicidaires des étudiants en médecine, quelle que soit leur année d’étude reviennent dans les moyennes nationales de leur tranche d’âge. Et pour y arriver, on a désormais une logique de moyens : il faut tester de nouvelles options, les évaluer, les publier pour, au final, être capable de mettre à disposition de tous l’ensemble des solutions dont on dispose.
Medscape édition française : Après l’enquête sur le burn-out, vous en avez lancé une sur le sexisme (avant l’affaire Weinstein). Y-a-t-il un lien entre les deux ?
Jean-Baptiste Bonnet : Le lien principal, de mon point de vue, se trouve dans les raisons qui poussent à faire médecine et le sens de notre métier. Si 60% d’une promotion ne se sent pas totalement inclus dans tous les aspects de la profession, ce n’est juste pas possible. De plus, se pose la question du management. Si l’on parle à une femme comme à un être inférieur, c’est évident qu’elle ne va pas se sentir à l’aise dans son métier. Donc nécessairement, il y a un lien entre les deux. En revanche, compte-tenu à la fois des considérations sociétales plus générales (affaire Weinstein) et du mode de fonctionnement patriarcale que l’on retrouve à l’hôpital, les actions à apporter sont différentes.
Medscape édition française : Justement, quels types de solution peut-on proposer ?
Jean-Baptiste Bonnet : Nous travaillons en ce moment avec la Fédération Hospitalière de France (FHF) sur un projet où il sera beaucoup question du respect entre professionnels, qui évoque toutes les discriminations (orientation sexuelle, origine ethnique…) et démontre que l’on peut agir ponctuellement sur cette thématique. C’est un sujet d’une grande complexité, et nous nous donnons le temps de la réflexion pour apporter la réponse la plus pertinente possible.
Medscape édition française : Comment se positionnent aujourd’hui les étudiants en médecine face à la révolution du numérique ?
Jean-Baptiste Bonnet : Quelles que soient les révolutions que l’on veut faire sur le territoire, tant que l’on n’aura pas une accessibilité à l’information où que l’on soit, il n’y aura ni travail en réseau, ni filières de soin. La communication entre les différents systèmes d’information des hôpitaux, le dossier médical partagé, tout cela doit être effectif et fonctionnel, notre génération y est prête.
En revanche, l’étudiant, de par ses études de médecine, n’est pas encore au point sur l’utilisation des big data, la gestion de masse d’informations et la façon dont cela va changer la prévention. Quant à savoir comment faire de la médecine sans avoir le patient en face de soi, alors que la médecine s’est construite dans le colloque singulier, il va falloir l’apprendre, et de ce point de vue, on en est au tout début de la révolution numérique.
Medscape édition française : Quid de la réforme des études du second cycle ?
Jean-Baptiste Bonnet : Les choses sont en train de bouger. Que ce soit sur la fin des ECN, la PACES, le CHU hors les murs… on a la chance que l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) prenne des initiatives. Et s’il n’est pas sûr que toutes soient pertinentes, au moins ils avancent.
Medscape édition française : L’aide à l’installation des jeunes médecins tout en assurant l’accès au soin partout pour tous et dans les meilleures conditions est-elle dans vos préoccupations ?
Jean-Baptiste Bonnet : La question de la territorialité (travail en réseau, filière de soin, maison de santé, mode de travail non exclusif, internat rural…) est effectivement un grand sujet d’intérêt pour nous. C’est aussi au cœur de la politique actuelle sur l’organisation de la santé et nous sentons des dispositions bien meilleures, c’est-à-dire moins dogmatiques, de la part d’Agnès Buzyn que les années passées. Nous préparons à l’ISNI un livre blanc, qui se veut un tout cohérent, de la formation jusqu’à l’installation. Mais, là encore, nous avons l’impression que cela avance.
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Citer cet article: Risques psycho-sociaux, sexisme, territorialité… Interview du président de l'ISNI - Medscape - 16 mars 2018.
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