Paris, France -- Dose maximale de 80 mg ou 300 mg ? Le Conseil d'État était appelé à statuer, en urgence, sur la posologie maximale du baclofène, suite à la décision de l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) de juillet dernier de la limiter (voir RTU baclofène : l’ANSM va limiter les doses à 75 ou 80 mg/j).
Le Conseil d’Etat botte en touche en attendant une révision de fond
Il a rendu son verdict le 28 février. Dans sa plaidoirie, le Collectif Baclohelp (voir encadré ci-dessous), via une plainte déposée par une patiente, madame B., demandait le retrait de la décision d'abaissement de la posologie du 24 juillet 2017, et de supprimer « de leurs sites internet toute mention de la décision litigieuse ». Le Collectif se fonde sur la condition d'urgence, arguant du fait que la plaignante ne peut poursuivre son traitement, exposant les patients alcoolo-dépendants sous baclofène à forte dose à des risques de rechute. Le Collectif, par le biais de ce recours déposé devant le Conseil d'État, soutient également que l'ANSM n'a pas consulté la Commission d'évaluation initiale du rapport entre les bénéfices et les risques, et n'a pas non plus saisi les titulaires d'autorisation de mise sur le marché (AMM) du baclofène.
Malgré ces arguments, le juge des référés du Conseil d'État a botté en touche. Non pas parce qu'il n'y a pas lieu de rétablir une posologie à 300 mg. Mais parce que le dossier devrait être traité sur le fond, dans les plus brefs délais : « La première chambre de la section du contentieux a prévu d'inscrire dans de brefs délais au rôle d'une séance de jugement la requête tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'ANSM ». Par conséquent la demande de suspension en urgence du Collectif Baclohelp a été rejetée, dans l'attente de l'audience de la section du contentieux. Loin de décourager Baclohelp, cette décision est perçue comme une avancée : « Le Conseil d’État a donc jugé la situation suffisamment préoccupante pour que soit renvoyé très rapidement au fond la question de la légalité des décisions de l’ANSM », écrivent-ils sur leur site.
Pas efficace sur tous les critères mais beaucoup de biais
Parallèlement à ces péripéties contentieuses, le baclofène vient de faire l'objet d'une étude, publiée dans la revue Addiction. Il s'agit en fait d'une méta-analyse, compilant les résultats de 12 études. La principale conclusion est paradoxale : « hormis sur les chances d'abstinence en fin de traitement, l'efficacité du baclofène ne serait pas supérieure au placebo... ». En effet, aucun autre avantage n'a été noté par rapport au placebo sur les autres critères : nombre de jours d'abstinence, nombre de jours de consommation excessive, taux d'envie d'alcool (craving), anxiété, dépression. Et il faut traiter 8 personnes avec du baclofène pour qu'une devienne abstinente. Mais les auteurs de cette méta-analyse précisent que les doses prescrites dans les 12 études étaient inférieures aux doses dites efficaces, pouvant aller jusqu'à 300 mg. Ainsi 9 études sur 12 utilisaient le baclofène à des doses allant de 30 à 60 mg par jour et les trois autres à des doses maximales de 180 mg par jour. Autre biais constaté : le faible nombre de patients. Pour neuf de ces études, le nombre de patients se situait en dessous de 100, alors que les premières études sur le baclofène dans l'alcoolodépendance (Bacloville et Alpadir) portaient sur 320 patients. Quoi qu'il en soit, en fin d'étude, les patients sous baclofène étaient 2,67 fois plus abstinents que ceux sous placebo, ce qui est quand même très positif.
Rappel des faits :
Le baclofène (un myorelaxant d'action centrale) bénéficie, depuis le 17 mars 2014, d'une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) dans le traitement de l'alcoolisme pour trois ans. Cette RTU a été renouvelée pour un an, mais modifiée le 24 juillet 2017 : l'ANSM a alors décidé d'abaisser la posologie maximale de 300 mg à 80 mg. Elle justifie sa position par la parution d’une nouvelle étude dont les résultats (publiés en juin 2017) montrent qu'« au-delà de 180 mg/jour, la hausse du risque d’hospitalisation et surtout de décès des patients traités par baclofène par rapport aux traitements de la dépendance à l’alcool apparaît particulièrement nette : la fréquence des hospitalisations est augmentée de 46% et le risque de décès est multiplié par 2,27 ».
Seulement de nombreux patients n'ont pas digéré cette décision. Ils ont créé une association, le Collectif Baclohelp, qui a, depuis, déposé plusieurs recours.
Cette mobilisation inédite a eu pour effet, dans un premier temps, de modérer la position de l'ANSM, laquelle a rappelé en aout 2017 que la prescription et la délivrance de baclofène hors AMM et hors RTU restaient possibles, sous la responsabilité des professionnels de santé.
Il n'empêche : la limitation en RTU de la posologie maximale à 80 mg a entrainé nombre de refus de prescriptions au-delà de cette limite.
Le Collectif de patients a donc déposé devant l'ANSM et le ministère de la Santé deux recours, qui ont tous deux été rejetés. Ils ont donc fait appel au Conseil d'État, dans une procédure en référé.
Demande d'AMM déposée : réponse en septembre
De son côté, le laboratoire Ethypharm a déposé une demande d'AMM, en avril 2017, pour le baclofène dans l'alcoolodépendance. A cette fin, l'ANSM a créé un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) « afin de disposer d'un avis externe sur le rapport bénéfice/risque du baclofène dans le traitement de l'alcoolodépendance ». Ce CSST est constitué d'experts européens, et s'est réuni une première fois le 2 février 2018. Par ailleurs, l'ANSM a créé une commission ad hoc, qui réunit des membres issus de trois commissions, la commission d'évaluation initiale du rapport bénéfice/risque, la commission de suivi du rapport bénéfice/risque, la commission des stupéfiants et psychotropes. Selon les différents avis, l'ANSM statuera sur cette demande d'AMM en septembre prochain.
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Citer cet article: Où en est-on avec le baclofène ? - Medscape - 2 mars 2018.
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