Alzheimer et performance cognitive : à un stade précoce, le cerveau compense

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

2 mars 2018

Paris, France –  Une étude française portant sur 318 participants âgés de 70 à 85 ans, avec une plainte de mémoire subjective mais dont les performances cognitives et mnésiques sont normales, montre, à 30 mois de suivi, que la présence de lésions amyloïdes (marqueurs de la maladie d’Alzheimer) n’a pas d’impact sur la cognition et le comportement des sujets qui en sont porteurs. Elle sous-entend aussi la présence de mécanismes de compensation chez ces derniers. Les résultats ont été publiés dans Lancet Neurology[1].

318 patients volontaires âgés de 70 à 85 ans

Pr Bruno Dubois

Les facteurs de risque et les marqueurs de progression vers une maladie d’Alzheimer clinique à un stade précoce, c’est-à-dire chez des sujets à risque mais à un stade asymptomatique, sont peu connus. C’est là tout l’objectif de l’étude française INSIGHT-preAD (pour “INveStIGation of AlzHeimer’s PredicTors in subjective memory complainers - Pre Alzheimer’s disease”), pilotée par le Pr Bruno Dubois, directeur du centre des maladies cognitives et comportementales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et professeur de neurologie à Sorbonne Université.

L’étude prospective s’appuie sur le suivi longitudinal d’une cohorte active, lancée en mai 2013 à la Pitié-Salpêtrière AP-HP, auprès de 318 patients volontaires âgés de 70 à 85 ans, avec une plainte de mémoire subjective mais dont les performances cognitives (score MMSE> 27) et mnésiques (score de rappel total > 41) étaient normales. Les participants n’avaient ni maladies chroniques, ni pathologies systémiques. En revanche, tous avaient un niveau d’éducation élevé (8 sur une échelle de 1 à 8).

28% lésions de β -amyloïdes

Les participants ont accepté au départ que l’on détermine la présence ou non de lésions β-amyloïdes, dans leur cerveau par PET scan. L’imagerie a révélé que 28% d’entre eux étaient porteurs de lésions même s’ils n’en présentaient à ce stade aucun facteur et 62 participants (20%) étaient porteurs de l’allèle APOE Ɛ4. Les participants positifs pour la déposition de protéine β-amyloïde étaient plus âgés et plus à même d’être porteurs de l’allèle APOE Ɛ4 que ceux ne présentant pas de dépôts cérébraux (33 [38%] vs 29 [13%], p<0,0001). « Les données ayant été anonymisées, ni les patients, les équipes qui participaient à cette étude n’ont été informés de ce statut », précise le Pr Dubois, interrogé par Medscape édition française.

A l’entrée dans l’étude INSIGHT-preAD, aucune différence n’était observée entre les sujets amyloïdes positifs et amyloïdes négatifs dans les tests cognitifs (mémoire, langage, orientation), fonctionnels et comportementaux après ajustement pour l’âge, le sexe et le niveau d’éducation. Aucune différence n’a été observée non plus entre les sous-groupes en termes d’intensité de la plainte de mémoire, ni en neuro-imagerie structurelle (IRM) ou métabolique (PET-FDG). Par ailleurs, les deux groupes ne différaient significativement pas quant à l’évaluation par questionnaire de l’humeur, du comportement et de la qualité de vie.

Une batterie de tests

L’étude INSIGHT-preAD prévoyait ensuite un suivi avec bilan neuropsychologique, électroencéphalogramme et actigraphie tous les ans, ainsi que des prélèvements sanguins (pour la recherche de biomarqueurs β-amyloïde et protéine tau), de même que des examens de neuro-imagerie (IRM, PET-FDG et PET-amyloïde) tous les deux ans.

Les équipes ont analysé l’ensemble des données recueillies au démarrage de l’étude et à deux ans, en plus d’une évaluation clinique des sujets volontaires à 30 mois de suivi. 

A 12 mois et à 24 mois, les chercheurs n’ont pas noté de différences significatives entre les sujets amyloïdes positifs et ceux négatifs pour l’ensemble des marqueurs (comportementaux, cognitifs, fonctionnels) observés ainsi qu’en neuro-imagerie. En revanche, l’électroencéphalogramme montrait chez les patients porteurs de lésions une modification de l’activité électrique (ondes alpha) dans les régions antérieures cérébrales, notamment frontales.

4 sujets ont progressé vers la maladie d’Alzheimer

A deux ans et demi de suivi (30 mois), 274 sujets étaient encore présents dans l’étude, parmi lesquels l’évaluation cognitive était restée stable à 24 mois et similaires entre les sujets positifs et négatifs pour les dépôts β-amyloïde. A ce stade, seuls 4 sujets (2%) avaient progressé vers la maladie d’Alzheimer. Tous étaient positifs pour les dépôts β-amyloïde à l’inclusion. Comparés aux autres patients eux aussi positifs à leur entrée dans l’étude, ces patients présentaient des facteurs prédictifs, comme un âge plus avancé (en moyenne 80,2 ans [DS 4,1] vs 76,8 ans [DS 3,4]), la présence de l’allèle APOE Ɛ4 (3 [75%] sur 4 vs 33 [39%] sur 83), un score plus bas aux tests cognitifs, une concentration de lésions amyloïdes plus élevée et un volume hippocampique diminué.

Chez ces 4 patients, les scores de mémoire épisodiques ont chuté brutalement dans les 12 mois précédents le diagnostic de maladie d’Alzheimer. A 30 mois, 3 des patients diagnostiqués pour la maladie d’Alzheimer étaient en vie, et un était décédé.

Mécanismes de compensation

Cette étude permet de tirer au moins trois conclusions. D’abord, « ces résultats montrent ainsi que la présence de lésions amyloïdes cérébrales ne s’accompagne pas de modifications cognitives, morphologiques, métaboliques ou fonctionnelles chez les patients porteurs de ces lésions. Ce maintien des performances intellectuelles et mnésiques peut s’expliquer par l’existence de mécanismes de compensation confortés par les modifications électro-encéphalographiques observées » indiquent les auteurs.

Ensuite, la progression vers la maladie d’Alzheimer de ces patients âgés en moyenne de 76 ans est faible, ce qui témoigne d’une réserve cognitive importante pour ce type de population. Une observation qu’il est toutefois difficile donc de généraliser à l’ensemble de la population en raison du niveau d’éducation élevé des participants à l’étude. « C’est la limite que nous observons à ce stade, fait remarquer le Pr Dubois. Et il est probable que tous les sujets qui voudront dans l’avenir participer à ces recherches ou à des essais thérapeutiques seront dans le même cas ».

Enfin, les dépôts de protéines β-amyloïdes à eux seuls ne peuvent prédire la progression vers un stade prodromal dans les 30 mois qui suivent. « La plaque amyloïde est un marqueur sûr de la maladie d’Alzheimer jusqu’à un certain point, comme le montre cette étude » confirme le neurologue parisien.

Poursuivre ce suivi est donc nécessaire pour déterminer si ce constat se vérifie toujours après une plus longue période. « Cette cohorte sera suivie a minima sur 72 mois pour tous les patients. Des recherches de financement sont en cours pour la suite » précise le Pr Dubois.

 
La plaque amyloïde est un marqueur sûr de la maladie d’Alzheimer jusqu’à un certain point, comme le montre cette étude  Pr Bruno Dubois
 

 

L’étude a été financée par l’institut hospitalo-universitaire et l’institut du Cerveau et de la Moelle Epinière (IHU-A-ICM), le Ministère de la recherche, la Fondation Plan Alzheimer, Pfizer, et Avid.   

 

 

 

 

 

 

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