POINT DE VUE

Prise en charge des douleurs aiguës et chroniques par l’hypnose

Dr Jean-Marc Benhaiem

Auteurs et déclarations

28 février 2018

Le Dr Jean-Marc Benhaiem explique le processus du traitement hypnotique des douleurs aigües et chroniques.

TRANSCRIPTION

Bonjour, je m’appelle Jean-Marc Benhaiem, je suis médecin et je me suis spécialisé dans la pratique de l’hypnose médicale. On a créé il y a 20 ans avec toute une équipe, une formation, à l’hypnose médicale pour les professionnels de santé. Et puis, il y a 16-17 ans, on a créé le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale à la Pitié-Salpêtrière. On utilise l’hypnose essentiellement dans les douleurs, les addictions, qui sont les thèmes, dont je vais vous parler aujourd’hui.

L’hypnose est très demandée et on a beaucoup de professionnels de santé — médecins, anesthésistes, urgentistes — qui voudraient utiliser l’hypnose pour calmer, d’abord la douleur aiguë dans les cas de soins douloureux, ou bien sur un patient qu’on va bientôt opérer, ou bien un patient qui va bénéficier d’une anesthésie locorégionale, c’est-à-dire où il n’y a pas besoin d’anesthésie générale.

Quel est l’intérêt, l’apport de l’hypnose ? Dans l’hypnose, on peut comprendre facilement son action si l’on prend en compte son processus. C’est-à-dire les deux étapes :

  1. À la première étape, on provoque une induction : « Monsieur ou Madame, est-ce que pouvez regarder/fixer ce point et ressentir la voix un peu monotone ? Ou pouvez-vous vous laisser absorber par une image, par une rêverie ? » C’est une étape où l’on met un peu de confusion et où on cherche à ce que la personne soit comme dans une distraction. D’une certaine manière, elle s’absente, elle est présente physiquement, mais elle va s’éloigner, par exemple d’une partie de son corps que l’on va piquer, infiltrer, ponctionner. Et cette distance fait qu’elle ressent moins la douleur. On va ainsi pouvoir faire des ponctions lombaires, pouvoir faire un accouchement ou bien mettre une sédation ou faire simplement un soin, un pansement, une suture, ou pour les chirurgiens-dentistes, une extraction dentaire. Parce que la personne s’éloigne de son corps progressivement dans un contexte bienveillant. Elle produit plus d’hormones d’antalgie, plus de morphine et elle dit « Tiens, le soin ne m’a pas inquiétée, je n’ai même rien ressenti, je me suis même absentée. » C’est la première étape où l’on crée un phénomène dissociatif corporel où la personne est un peu à distance d’elle-même.

  2. Il existe une deuxième étape : cette fois-ci, ce n’est pas un soin douloureux qui nous intéresse, c’est plutôt un problème de douleur chronique, d’une souffrance ou d’une addiction. Alors que la première étape est plutôt passive, où la personne se laisse faire, s’absente, devient très influençable et malléable — ce qui est tout à fait bénéfique … sa peur s’en va, c’est donc une étape qu’on va utiliser aussi dans le traitement des phobies — la deuxième étape est toute différente. La personne avait un mauvais souvenir, par exemple d’une chirurgie antérieure ou un syndrome post-traumatique, donc des douleurs chroniques, elle ne supporte pas ce qui lui est arrivé — un accident, une amputation, un drame — ou comme nous verrons tout à l’heure, elle est dans une addiction, c’est-à-dire, elle pense à une substance de manière obsessionnelle. Cette deuxième étape est celle où on reconfigure. D’ailleurs, la personne étant devenue malléable, elle va pouvoir modifier la relation qu’elle a à son corps ou à un drame, à un souvenir. Cela est tout à fait nécessaire pour se défaire, pour réduire des douleurs chroniques, c’est-à-dire qui sont essentiellement des souffrances : « Je ne supporte pas ce diagnostic, qui est un peu terrifiant, je ne supporte pas d’avoir perdu une partie du corps, je ne supporte pas qu’on ne m’ait pas parlé comme j’aurais voulu qu’on me parle etc. » Il y a une souffrance qu’il faut apaiser pour que la personne revienne bien dans la vie et qu’elle soit de nouveau à l’aise avec son corps.

Voilà donc les deux chemins : celui pour les douleurs aiguës ou induites par les soins — ce chemin est plutôt de l’ordre d’une distance que l’on prend, on s’absente dans un contexte bienveillant, ceci fait que la personne dit « non, finalement, je n’ai pas senti grand-chose, tout va bien. » Mais c’est quelque chose qui est assez bref et où l’on va pouvoir vite fermer la séance en disant « voilà, c’est fait, vous pouvez rentrer chez vous. » Alors que dans les douleurs dites chroniques, il y a un travail plus en profondeur à faire, puisque la personne a des contractures douloureuses depuis longtemps, comme dans la fibromyalgie, ou bien elle a des douleurs neuropathiques, des douleurs viscérales, des céphalées, ou bien elle a des douleurs fantômes. Dans ces cas-il, c’est la relation au corps. L’objectif est que la personne puisse accepter d’une certaine manière, ou être tranquille, avec quelque chose qui lui est arrivé — c’est-à-dire « oui, je ne suis plus aussi souple qu’avant etc.… » Ou peut-être elle va pouvoir lâcher quelque chose — chaque histoire clinique est différente. Peut-être qu’elle va dire « d’accord, j’accepte cette pathologie ou j’accepte d’avoir perdu une fonction… », en relâchant, en acceptant la situation comme elle est, la réalité. Le phénomène douloureux devient beaucoup moins intense, elle va mettre moins d’émotion dans la perception et cette suppression de l’émotion est extrêmement soulageante et thérapeutique.

Les composantes de la douleur

Pour bien analyser le phénomène de la douleur, elle a été divisée un peu artificiellement en plusieurs composantes. Ce qui est intéressant dans l’utilisation de l’hypnose, c’est qu’elle va agir sur ces différentes composantes. Par exemple la composante sensorielle quand on propose d’analgésier une partie du corps. Par exemple: « Laissez-vous imaginer que cette main est faite en coton, engourdie ». Le patient ou la patiente va pouvoir dire « ah ! Eh bien, oui, tiens, c’est vrai ! » Elle a libéré beaucoup d’endorphines qui font que cette main est un peu comme en coton, et quand on va la piquer, la pincer, elle va dire « eh bien, non. Là, je ne ressens pas grand-chose. »

On travaille aussi pour enlever la composante émotionnelle, ce qui réduit considérablement la perception douloureuse. La personne dit « oui, je ressens, mais ça ne m’inquiète plus », et de ce fait, cela devient tout à fait supportable. C’est-à-dire qu’on a enlevé la dramatisation, et ce qui est passionnant, c’est qu’il n’y a que l’hypnose qui arrive à faire ce travail-là, de modifier la perception de la personne vis-à-vis d’un soin, vis-à-vis de la peur, vis-à-vis du souvenir — « la dernière fois, on m’a fait très mal, donc j’ai maintenant très peur » — on a éteint l’émotion.

Et dans la douleur chronique, les sites sont différents. Certes, on peut enlever l’aspect émotionnel, mais il va falloir réorganiser quelque chose, la relation que la personne a à son corps. Elle n’accepte pas un handicap, elle n’accepte pas une souffrance, elle est en conflit avec un drame qu’elle a vécu, et là c’est une recherche d’adaptation. Au niveau de l’imagerie cérébrale, le neuropsychologue Pierre Rainville dit par exemple : « la communication entre les différentes aires cérébrales est fluide » — c’est-à-dire qu’avant c’était cloisonné et là, c’est décloisonné. Donc toutes les aires cérébrales circulent et changent de façon à trouver une autre adaptation à la réalité. Ce n’est donc pas une relaxation, c’est au contraire une hyperstimulation des processus attentionnels. Alors que dans l’autre cas, où il fallait juste une distraction, une diversion, on éloigne juste la personne qui oublie qu’elle a un bras, qu’elle a une jambe et ainsi, on peut faire la suture, la ligature, ou bien l’injection.

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