Régime sans gluten : moins de gluten mais plus de métaux lourds dans le sang

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

20 février 2018

Minnesota, Etats-Unis – Le régime sans gluten est devenu une réalité qui concerne bien plus de personnes que celles pour lesquelles il est nécessaire, c'est-à-dire celles qui sont atteintes d'une maladie cœliaque. Médecins et scientifiques commencent à s'interroger sur les bienfaits et les dangers d'une éviction du gluten pour les individus exempts de maladie cœliaque. Joseph A. Murray et ses collègues de la Mayo Clinic (Minnoseta, Etats-Unis) viennent de montrer une augmentation de la bio-accumulation de métaux lourds chez les individus qui ne mangent pas de gluten[1].

Plus de mercure, de plomb, de cadmium et d’arsenic

Joseph A. Murray s'est appuyé sur les données de la grande étude américaine NHANES (The National Health and Nutrition Examination Survey), collectées entre 2009 et 2012. Parmi les 11 354 participants, 55 étaient atteints d'une maladie cœliaque dont le diagnostic a été vérifié ou réalisé par l'équipe de la Mayo Clinic et 115 suivaient un régime sans gluten. Les analyses sanguines des participants incluaient entre autres les concentrations sanguines en mercure, plomb et cadmium. Les concentrations urinaires en arsenic étaient disponibles pour 3901 personnes qui ne suivaient pas un régime sans gluten et pour 32 qui en suivaient un (voir tableau).

Concentrations en métaux lourds chez les participants de l'étude NHANES

 

 

 

Participants avec régime comprenant du gluten (IC 95 %)

Partipants avec un régime sans gluten

(IC 95 %)

 

   Mercure sanguin

        en mcg/L

0,93  [0, 86-1,00]

1,37 [1,02-1,85]

P = 0,008

Plomb sanguin

en mcg/dL

1,13 [1,12-1,15]

1,42 [1,20-1,68]

 

P=0,007

Cadmium sanguin

en mcg/L

0,34 [0,34-0,35]

0,42 [0,35-0,50]

P=0,03

    Arsenic urinaire

     en mgL/L

 

 

8,38 [7,92-8,74]

 

15,15 [10,81-21,21]

 

P=0,003

 

Aucune de ces valeurs n'atteint les concentrations critiques fixées par l’agence gouvernementale fédérale Occupational Safety and Health Administration (OSHA). Mais, les métaux lourds ne sont pas éliminés avec le temps et s'accumulent dans l'organisme, d’où des doutes sur les effets biologiques sur le long terme. Des études complémentaires sont nécessaires, écrivent Joseph A. Murray et ses collègues.

« Depuis les études sur la baie polluée de Minamata au Japon et la riche littérature scientifique sur les maladies professionnelles, on sait que l'exposition aux métaux lourds, neurotoxiques, peut être à l'origine de maladies neurodégénératives et de cancers » précise le Dr Laurent Chevallier (médecin nutritionniste, Montpellier).

D'après les auteurs de l'étude, cette sur-exposition aux métaux lourds s'expliquerait par un changement dans les préférences alimentaires. Ceux qui suivent un régime sans gluten consomment plus de produits connus pour être « contaminés » comme le riz, le poisson et les coquillages et crustacés.

« Cette étude est un argument supplémentaire pour affirmer que le régime sans gluten, considéré comme plus sain, ne l'est, en fait, pas plus qu'un régime alimentaire normal », considère le Pr Christophe Cellier, chef de Service d'Hépato-gastro-entérologie et Endoscopie Digestive à l'Hôpital Européen Georges Pompidou (Paris).

« Il faut réserver et conseiller le régime sans gluten à ceux qui en ont vraiment besoin : ceux qui sont atteints d'une maladie cœliaque ou qui ont une hypersensibilité démontrée au gluten », ajoute-t-il.

 
Ceux qui suivent un régime sans gluten consomment plus de produits connus pour être « contaminés » comme le riz, le poisson et les coquillages et crustacés.
 

Un engouement sans grande preuve scientifique

En France, il n'y a pas de données précises concernant la mode des régimes sans gluten. Il semble qu'on assiste à une expansion du phénomène avec un temps de retard par rapport aux Etats-Unis.

« Parmi les patients que je vois en consultation, ceux qui ont vu un naturopathe ont toujours reçu comme recommandation d'arrêter le lactose et le gluten, et ce, quelle que soit leur pathologie. Dans l'inconscient collectif, le « sans gluten » a acquis un statut de santé », indique Laurent Chevallier.

Les sportifs internationaux de haut niveau ont contribué à l'engouement pour le « sans gluten », qui, d'après eux, serait à l'origine de leur réussite. Pourtant, « une étude australienne en double aveugle sur les coureurs cyclistes de haut niveau a montré que le régime sans gluten n'améliorait pas la performance sportive », rappelle le Pr Cellier [2] .

Autres conséquences d'un régime sans gluten :  le gluten est souvent apporté par des céréales complètes riches en fibres et en micronutriments dont l'éviction, potentiellement à l'origine de carences nutritionnelles, est dommageable pour la santé. En 2017 un article du British Medical Journal concluait à une absence de bénéfice cardiovasculaire, voire à un risque coronaire en raison d'une baisse de la consommation de céréales complètes (facteur protecteur), des régimes pauvres en gluten [3].

Quant aux produits industriels sans gluten, ils sont souvent riches en graisses saturées et présentent un index glycémique élevé.

 
Il faut réserver et conseiller le régime sans gluten à ceux qui en ont vraiment besoin  Pr Christophe Cellier
 

 

 

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