Paris, France — Les femmes souffrant de dépression après un accouchement sont plus à risque de développer un trouble bipolaire, selon une récente étude. Au cours d’une présentation au congrès de l’Encéphale 2018[1], le Dr Sarah Tebeka (Hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Paris) est revenue sur les signes qui doivent alerter sur le risque de bipolarité.
La dépression post-partum est fréquente. On estime qu’elle affecte plus de 10% des femmes dans l’année qui suit l’accouchement. Cet état émotionnel, qui a tendance à se maintenir sur le long terme, est à distinguer du baby blues, non pathologique, qui normalement ne dure pas plus d’une semaine après l’accouchement.
« En cas de dépression post-partum, il faut s’interroger sur la présence d’un trouble bipolaire sous-jacent », a souligné le Dr Tebeka. Selon une récente étude danoise, portant sur plus de 120 000 femmes suivies à long terme après un premier épisode dépressif, le risque de trouble bipolaire serait, en effet, accru chez celles ayant eu cet épisode pendant le post-partum.
Une dépression plus sévère
Chez ces femmes, sans antécédents psychiatriques, prises en charge pour une dépression survenant après l’accouchement, les résultats montrent un taux de trouble bipolaire de 2,64% (IC 95%, [2,06-3,39]), après un suivi de 15 ans, contre 1,77% (IC à 95%, [1,28-2,44]) chez celles traitées pour une dépression commune.
Lorsque la dépression est associée à un trouble bipolaire, « elle est généralement plus sévère en post-partum » et se montre souvent résistante au traitement, précise la psychiatre. Il faut alors interroger la patiente sur d’éventuels épisodes dépressifs antérieurs, survenus de manière récurrente, et rechercher les antécédents familiaux de trouble bipolaire.
Autre facteur de risque majeur : la présence d’un trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), une forme sévère du syndrome prémenstruel qui se caractérise notamment par une humeur dépressive pendant la phase lutéale, en fin de cycle menstruel. « Les femmes bipolaires avec TDPM souffrent davantage de dépression pendant le post-partum ».
D’un point de vue clinique, les épisodes dépressifs présentent quelques particularités. Ils sont souvent associés à des douleurs physiques, des troubles du sommeil ou de l’asthénie. « Il faut être particulièrement vigilant vis-à-vis de ces symptômes physiques, considérés comme normaux après l’accouchement, alors qu’ils sont le signe d’un état dépressif. »
La phase critique du premier mois
En cas de trouble bipolaire, les épisodes de décompensation se déclarent plus fréquemment pendant le post-partum. « Plus de 50% des femmes bipolaires vont avoir un épisode maniaque, hypomaniaque ou dépressif après l’accouchement », surtout si elles n’étaient pas sous traitement pendant la grossesse.
Ces décompensations surviennent en général assez tôt après la naissance de l’enfant. Dans le cas d’un trouble bipolaire de type 1, « les épisodes apparaissent dans 80% des cas au cours du premier mois ». Avec un trouble de type 2, « ils surviennent tout au long de l’année qui suit l’accouchement », la moitié des cas étant tout de même recensés pendant le premier mois.
« Les femmes présentant un trouble bipolaire de type 1 sont plus à risque d’avoir des décompensations pendant le post-partum que celles souffrant d’un trouble bipolaire de type 2 ». De plus, « un antécédent thymique lors d’une précédente grossesse est un facteur de risque majeur ». Le risque de présenter à nouveau un épisode maniaque est alors multiplié par dix.
Risque très élevé de suicide
Dans les cas les plus graves, les troubles peuvent générer une psychose, dite puerpérale, qui « survient de façon très précoce, dans les trois premières semaines du post-partum ». Ces épisodes psychotiques peuvent nécessiter une hospitalisation d’urgence en psychiatrie, en raison du risque de suicide et d’infanticide.
« Le trouble bipolaire reste le principal motif d’hospitalisation pendant le post-partum », rappelle le Dr Tebeka. « Plus d’un quart des femmes bipolaires nécessitent une hospitalisation en psychiatrie au cours de l’année qui suit la naissance de l’enfant ». Un séjour à l’hôpital qui s’avère généralement plus long lorsqu’il est envisagé pendant cette période.
Le risque suicidaire reste, en effet, très élevé chez les femmes bipolaires. « On dénombre près de 12% de tentative de suicide dans l’année qui suit la naissance de l’enfant », ce qui représente la majorité des cas d’hospitalisation. « Chez ces femmes, il s’agit de la première cause de décès au cours de la première année du post-partum. »
L’impact de la grossesse sur l’évolution du trouble bipolaire a d’ailleurs fait l’objet d’une étude menée par le Dr Tebeka et son équipe de l’hôpital Louis-Mourier, à partir des données concernant plus de 34 000 femmes américaines, représentatives de la population générale [3]. Parmi elles, 1 190 sont atteintes de troubles bipolaires (de type 1 en majorité).
Pas d’impact majeur de la grossesse
Ces femmes bipolaires ont été diagnostiqués en moyenne à 23 ans. Parmi elles, 20% ont déjà effectué un séjour à l’hôpital et 17% ont fait au moins une tentative de suicide au cours de leur vie. Les comorbidités sont très fréquentes: 60% d’entre elles présentent des troubles addictifs liés à l’usage de substances et plus de la moitié ont un trouble anxieux.
Les résultats se révèlent rassurants. La comparaison entre les femmes bipolaires et celles ayant eu un enfant, deux enfants ou plus de deux enfants, ne montre pas de différence significative concernant l’apparition d’épisodes dépressif ou maniaque, le taux d’hospitalisation, le risque suicidaire ou les comorbidités associées.
Après un suivi de trois ans, « on retrouve seulement davantage d’hypomanie chez les femmes ayant eu au moins deux enfants ». S’agissant des épisodes dépressifs et maniaques, les épisodes les plus sévères du post-partum, on ne retrouve pas de corrélation. Il n’y a pas plus d’hospitalisation ou de tentative de suicide ».
Dans tous les cas, lorsqu’un trouble bipolaire est diagnostiqué chez une femme, « il est recommandé de planifier le projet de grossesse » et les femmes doivent être sensibilisées au plus tôt. « Il convient aussi d’évaluer la nécessité de maintenir le traitement au cours de la grossesse afin de réduire le risque de décompensation en post-partum ».
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Citer cet article: Dépression post-partum: s’interroger sur un trouble bipolaire sous-jacent - Medscape - 13 févr 2018.
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