France -- Une fois n’est pas coutume, directeurs et personnel font grève ensemble : ce 30 janvier, sept syndicats de personnel (CFDT, CGT, FO, UNSA, CFTC, CFE-CGC, et Sud) encouragés par l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) ont arrêté de travailler dans les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes
Baisses de dotations, suppression massive de postes
Du jamais vu. Atteignant l'ensemble des départements, les débrayages et manifestations devant les conseils départementaux et les ARS ont été complétés par une grande manifestation devant le ministère de la Santé hier à 14 heures. Dans leur communiqué commun, les syndicats, pour justifier de ce mouvement social exceptionnel, soulignent l'insuffisance des effectifs et des moyens dans les EHPAD, aggravée par la réforme de la tarification introduite par la loi Vieillissement « qui va se traduire par des suppressions massives de postes ». Leurs réclamations sont univoques :
- Application d’un agent ou un salarié par résident, tel que prévu par la Plan Solidarité Grand Age ;
- Abrogation des dispositions législatives relatives à la réforme de la tarification des EHPAD, contenues dans la loi du 28 décembre 2015 ainsi que le retrait des décrets d’application ;
- Arrêt des baisses de dotations induites par la convergence tarifaire et, par conséquent, le maintien de tous les effectifs des EHPAD y compris les contrats aidés, qui doivent être intégrés et sécurisés ;
- Amélioration des rémunérations, des perspectives professionnelles et de carrières, dans le cadre du Statut et des conventions collectives nationales.
« EHPAD bashing » ?
Ils réclament également d'être reçus par le président Emmanuel Macron, qui jusqu'à présent n'a pas daigné dialoguer avec eux. Si le préavis de grève a été déposé en décembre 2017, c'est dans la dernière ligne droite que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a commencé par avancer des solutions. La semaine dernière, lors d'une visite dans un établissement des Yvelines, elle a dénoncé un « EHPAD bashing », qui pointe des dysfonctionnements qui ne « sont pas des généralités », a-t-elle rappelé. Elle s'est par ailleurs engagée à ne pas supprimer, du fait de la réforme du financement, de postes dans les EHPAD. Elle a enfin rappelé que le budget dévolu aux EHPAD dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) en 2018 avait été augmenté de 100 millions d'euros, dont 72 millions d'euros pour créer des postes de soignants, et 28 millions pour les établissements en difficulté. Par ailleurs, une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros a été annoncée ces derniers jours. Enfin, lors des questions orales à l'Assemblée nationale le 23 janvier dernier, la ministre a annoncé la mise en place d'un plan d'action pour les EHPAD, dont le détail est attendu prochainement.
Pansements sur une jambe de bois
Ces annonces n'ont pas eu l'heur de convaincre les syndicats, puisque la mobilisation a été maintenue. Lors d'une conférence de presse conjointe entre syndicats de directeurs et de personnels, le 25 janvier dernier, les représentants des salariés ont qualifié ces mesures de « pansement sur une jambe de bois ». « 50 millions d'euros, c'est 5000 euros par EHPAD », a tonné Bruno Lamy, secrétaire national pour la CFDT santé sociaux. Les syndicalistes ont réitéré leurs revendications, en particulier l'arrêt de la convergence tarifaire entre EHPAD publics et privés – un acte réalisé au sein d'un établissement public devrait obligatoirement être financé au même montant dans tous les établissements de même type, sans distinction de nature (publique ou privé).
#BalanceTonEhpad
Les personnels soignants, les médecins, ont aussi exprimé aussi leur ras-le-bol sur le web. A l'instar des mouvements féministes, ou encore du récent #BalanceTonHosto, ils ont lancé sur le réseau social Twitter un hashtag, #BalanceTonEhpad, pour exprimer leur désarroi. Extraits : « Étant infirmière, si je veux respecter ma fiche de poste, j'ai 1h30 le matin et 35 minutes le midi/soir pour vérifier et distribuer les médicaments à 70 résidents. Des erreurs ? Non, jamais… » ; « Et ça me brise le cœur d'avoir des choses à raconter... douche 1 fois par mois, résidents levés 1 jour sur 2, repas donnés en moins de 10 min, toilettes express... j'aimerais que les dirigeants subissent ça une fois dans leur vie... » ; « Premiers repas servis à 17h30. On mélange la vache qui rit dans le plat mixé, ça va plus vite ». Le reste est à l’avenant...
Pas mieux du côté des médecins coordonnateurs
Du côté des médecins coordonnateurs, la situation est, là aussi, critique. Selon le rapport de la députée Dominique Iborra, présenté en septembre 2017, « Mission flash sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes », « le médecin coordonnateur, dont la présence est rendue obligatoire dans les EHPAD, est de plus en plus difficile à recruter et à fidéliser. Un tiers des établissements en seraient dépourvus, ne respectant pas ainsi la réglementation en vigueur ». Son statut est peu clair, ajoute-t-elle, sa présence souvent à temps partiel, et il n'a le droit à prescription qu'en situation d'urgence. Ce sont les médecins généralistes qui assurent les prescriptions. Autre écueil : la formation en gériatrie souffre d'un déficit de notoriété, et ce n'est que cet automne que la gériatrie va devenir une spécialité sanctionnée par un diplôme d'études spécialisées (DES).
La fédération française des médecins coordonnateurs (FFAMCO) soutient d'ailleurs le mouvement de grève. « Il est plus que nécessaire, pour les aide-soignants, que le ministère donne un coup de pouce. Nous constatons, depuis un an et demi, une recrudescence des accidents de travail chez les soignants : par exemple, ils chutent de plus en plus souvent car ils doivent soulever seuls des patients, ou on les retrouve avec des minerves », explique le Dr Nathalie Maubourguet, présidente de la FFAMCO, interrogée par Medscape édition française. « Pour nous médecins, la pression est différente, elle tient beaucoup plus à la charge mentale. On nous demande de faire toujours de la qualité avec de moins en moins de moyens. D'autant que nous rentrons dans la superdépendance ». La FFAMCO, tout comme les syndicats grévistes, a sollicité un entretien avec Agnès Buzyn.
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Citer cet article: Les EHPAD au bout du rouleau - Medscape - 31 janv 2018.
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