Hershey, Etats-Unis – Des chercheurs de l’Université de Penn State ont découvert que les patients atteints de mélanome métastatique sous immunothérapie mais prenant en parallèle, pour une autre pathologie, une certaine classe de bêtabloquants (en particulier un bêtabloquant non sélectif comme le propranolol) avaient une meilleure survie que les patients sous immunothérapie seule. Ils ont confirmé leurs observations dans un protocole expérimental chez la souris. Les résultats viennent d’être publiés dans le journal OncoImmunology [1].
Les bêtabloquants étant largement répandus, peu chers, et approuvés depuis longtemps par les autorités de santé, ce pourrait être, selon Dr Todd Schell, professeur de microbiologie et d'immunologie à Penn State College of Medicine et dernier auteur de l’étude, « un moyen simple pour les oncologues de mieux prendre en charge leurs patients » [2].
Rôle des récepteurs bêta-adrénergiques sur la réponse immunitaire
On a coutume de s’inquiéter, à juste titre, du prix des nouveaux traitements du cancer. Cependant, des recherches récentes indiquent qu’aux côtés de très couteuses immunothérapies ou autres thérapies ciblées, des moyens plus « simples », et même très bons marchés sont susceptibles de booster l’action anticancéreuse de ces nouveaux médicaments : c’est le cas du microbiote ou encore de molécules connues, sûres et génériquées comme les bêtabloquants non sélectifs. Dans ce dernier cas, l’influence du stress médié par les récepteurs bêta-adrénergiques sur la réponse immunitaire est un phénomène connu depuis quelques années, de même que le rôle suppresseur du stress sur la réponse immunitaire anti-tumorale, écrivent les auteurs. « Les bêtabloquants ralentissent votre rythme cardiaque, mais ils peuvent également affecter les cellules immunitaires et améliorer la fonction immunitaire » confirme le Dr Schell [2].
Améliorer l’efficacité de l’immunothérapie
Ce qui est beaucoup moins connu, ce sont les mécanismes précis qui sous-tendent cette régulation. Sachant que les combinaisons thérapeutiques sont une stratégie intéressante pour contrecarrer la résistance liée à une thérapie unique, les auteurs ont émis l’hypothèse qu’un blocage des récepteurs β-adrénergiques en parallèle d’une immunothérapie pourrait améliorer l’efficacité de l’approche immunothérapeutique dans le mélanome et impacter la survie globale. « Nous voulions voir s'il y aurait une corrélation entre les bêtabloquants que les patients prenaient pour une autre pathologie et leur réponse à l'immunothérapie. Dans le mélanome métastatique, il existe actuellement trois types différents d'immunothérapie approuvée, et nous avons donc spécifiquement examiné cette population » explique le chercheur [2].
195 patients avec un mélanome métastatique
Pour ce faire, les auteurs ont réalisé une étude rétrospective dans laquelle ils ont inclus 195 patients avec un mélanome métastatique traités par immunothérapie (interleukine-2, agents ciblant les voies de signalisation CTL-4 et/ou PD-L1) entre 2000 et 2015. Chez ces patients, ils ont trouvé que 32% prenaient un β-bloquant (N = 62), dont 45 recevaient des bêtabloquants sélectifs des récepteurs β1 et 17 des bêtabloquants non-sélectifs.
Au final, l’analyse n’a montré aucune différence de survie globale entre les patients qui prenaient des bêtabloquants sélectifs des récepteurs β1 et ceux qui n’avaient pas de bêtabloquants. En revanche, 5 ans après l'immunothérapie, environ 70% des patients recevant bêtabloquants non-sélectifs étaient toujours en vie, contre environ 25% de ceux qui prenaient des bêtabloquants sélectifs β1 (n=45) ou aucun bêtabloquant (n=133).
Expérience en parallèle chez la souris
Pour mieux comprendre ces résultats, l'équipe de Kathleen Kokolus a effectué une expérience parallèle chez des souris présentant un modèle agressif de mélanome. Les chercheurs ont traité les souris avec une immunothérapie (IL-2, αPD-1 ou la combinaison des 2) avec ou sans dose quotidienne de propranolol (bêtabloquant non sélectif). Les chercheurs ont découvert que le propranolol retardait significativement la croissance tumorale et augmentait la survie lorsqu'il était associé à l'immunothérapie, avec un allongement de la survie plus substantiel avec une immunothérapie αPD-1 plutôt qu’IL-2. La survie était encore meilleure quand le propranolol était administré en même temps que la combinaison des 2 immunothérapies.
Action synergique
« Nos données montrent que réduire le stress, notamment via la voie des récepteurs adrénergiques β2, est susceptible d’augmenter l’efficacité des thérapies basées sur une modulation du système immunitaire contre le mélanome et peut-être d’autres cancers, concluent les chercheurs. Ces résultats indiquent que les bêtabloquants et l’immunothérapie pourraient agir de façon synergique pour augmenter l’activité et/ou la fonction des cellules immunitaires à un niveau plus élevé qu’avec une seule approche. »
« Si ces résultats impliquent que la réponse anti-tumorale est améliorée par le blocage de la voie β adrénergique, des effets directs sur la croissance de la tumeur sont eux aussi possibles. Enfin, l’amélioration de l’efficacité obtenue par l’administration conjointe des deux immunothérapies associées au bêtabloquant suggère que ces 3 agents coopèrent entre eux pour augmenter la réponse individuelle à ces différents traitements. Le blocage des récepteurs β adrénergique associé au traitement αPD-1 pourraient sensibiliser certaines cellules immunitaires aux effets de l’IL-2 et inversement ».
Plusieurs mécanismes potentiels
Interrogé par Medscape édition française, le chercheur Eddy Pasquier (CNRS, Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille, Metronomics Global Health Initiative, Marseille) qui étudie l’effet du propranolol dans l’angiosarcome n’est pas surpris par ces résultats : « cela fait une dizaine d’années que l’on sait que les bêtabloquants ont un impact potentiel sur le système immunitaire, via notamment des études rétrospectives dans le cancer du sein » dit-il. En revanche, « c’est la première démonstration directe d’une possible synergie entre l’immunothérapie et les β-bloquants dans le mélanome métastatique».
Concernant les mécanismes impliqués, le chercheur marseillais note une constante entre les différentes études : « les effets semblent médiés par l’un des 3 récepteurs β-bloquants adrénergiques, en l’occurrence le récepteur β2 étant donné l’absence d’effet observé avec des bloqueurs du récepteur β1 ». « Cependant, ajoute-t-il, je suis convaincu que plusieurs mécanismes opèrent de concert et que le mécanisme d’action global est très dépendant du contexte. Par exemple, il est connu que les β-bloquants peuvent bloquer les pompes à efflux des cellules, qui permettent d’évacuer les produits de chimiothérapie. Les β-bloquants pourraient donc en désactivant les pompes à efflux augmenter l’efficacité de la chimiothérapie. Mais il est possible que les bêtabloquants agissent par d’autres mécanismes que nous sommes en train d’essayer de déterminer. »
Avoir un impact rapide sur la clinique
Autre point notable et souligné par Eddy Pasquier : « travailler sur des molécules abandonnées ou prescrites pour certaines indications thérapeutiques pour les développer et les utiliser dans d’autres indications – aussi appelé repositionnement de médicament – est conceptuellement très intéressant car avec ce genre d’approche, on peut avoir un impact très rapide sur la clinique. On peut déclencher un projet de recherche aujourd’hui pour des patients qui ont été diagnostiqués hier. »
Interrogé par nos collègues de l’édition internationale, le Dr Drabick, co-signataire de l’étude, affirme qu’il incite déjà certains patients souffrant de mélanome qui recevaient un β-bloquants à switcher pour du propranolol : « J’ai des patients qui étaient sous un β-bloquant pour différentes raisons (généralement pour hypertension ou fibrillation auriculaire) et qui ont préféré passer sous propranolol quand ils ont bénéficié d’une immunothérapie pour leur mélanome métastatique plutôt que rester avec leur autre β-bloquant » .
Et bien sûr, à l'avenir, au vu de ces résultats encourageants, les chercheurs de l’Université de Penn State vont mettre en place un essai clinique pour continuer à explorer et à comprendre le rôle des bêtabloquants dans le traitement du cancer.
Ce projet a été soutenu par le Pennsylvania Department of Health Cure et les National Institutes of Health. Les auteurs n’ont pas de liens d’intérêt. |
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Citer cet article: Propranolol : un effet synergique avec l’immunothérapie dans le mélanome métastatique - Medscape - 30 janv 2018.
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