Hémorragies sous AOD: les antidotes associés à un sur-risque thromboembolique

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

25 janvier 2018

Paris, France   Pour inhiber l’effet des anticoagulants oraux directs (AOD), les antidotes spécifiques, comme l’idarucizumab (Praxbind®, BI), ou non spécifiques (PPSB activé, FEIBA…) sont efficaces, mais au prix d’une hausse du risque thromboembolique, a rappelé le Pr Pierre Sié (CHU de Toulouse), lors d’une intervention aux  Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie [] 1 ].

« Il ne faut pas perdre de vue que ces patients sont, par définition, à risque thromboembolique », a souligné l’hématologue. Une fois que l’hémostase est restaurée, « la reprise de l’anticoagulant doit donc à nouveau être envisagée », en tenant compte du type d’hémorragie et en reconsidérant les doses à administrer.

Pour stopper une hémorragie sous antithrombotique, les antidotes sont préconisés « lorsque le saignement met en jeu le pronostic vital, survient dans une zone critique ou ne peut pas être contrôlé », rappellent de récentes recommandations de consensus de l’American College of Cardiology (ACC) portant sur la gestion des hémorragies sous AOD. Celles-ci exposent les conditions de reprise des anticoagulants.

Effet rebond des évènements

On dispose actuellement d’antidotes non spécifiques, comme le concentré de complexe prothrombinique (PPSB) activé ou non, et d’un seul antidote spécifique pour le moment, l’anticorps l’idarucizumab ciblant l’AOD dabigatran. L’andexanet (spécifique des anti-Xa) et le ciraparantag (PER 997), censé être un antidote universel, sont encore à l’essai.

Si les agents spécifiques ont un effet rapide et se montrent très efficaces pour restaurer l’hémostase, il restait un doute sur les éventuelles répercussions sur les événements thrombotiques, par effet rebond. Le risque est bien réel chez ces patients qui peuvent être soumis à un effet combiné de l’antidote et de la perte d’action des anticoagulants.

Dans le cas de l’idarucizumab, « le mécanisme d’action n’est pas censé être prothrombotique »,  précise le Pr Sié. L’anticorps n’a, en lui-même, aucun effet procoagulant, rappelle-t-il. « Il n’induit pas de hausse des marqueurs d’activation de la coagulation, tels que les D-dimères ou les facteurs de clivage de la prothrombine. »

Toutefois, l’utilisation de l’anticorps est associée à une hausse du risque thromboembolique, selon de récents résultats de l’essai REVERSE-AD [2]. Cette étude prospective de phase 3 portait sur l’évaluation de l’idarucizumab chez des patients sous dabigatran, hospitalisés pour des saignements majeurs (groupe A) ou pour une opération en urgence (groupe B).

Idarucizumab : 5 à 7% de risque

L’étude rapporte un arrêt des saignements dans deux-tiers des cas chez les patients du groupe A. Du côté de patients opérés, ils ont quasiment tous retrouvé une capacité d’hémostase normalisée après traitement. A 30 jours, le taux de mortalité était respectivement de 13,5% (groupe A) et 12,6% (groupe B).

En ce qui concerne le risque d’événements thromboemboliques, il est de 4,8% à 30 jours pour l’ensemble des patients et de 6,8% à 90 jours. « La plupart des événements thromboemboliques surviennent au-delà de cinq jours, dans la majorité des cas avant la reprise du traitement anticoagulant », précise le Pr Sié.

Au final, ce risque se rapproche de celui observé avec l’usage des agents non spécifiques, souligne l’hématologue. Une analyse portant sur deux études randomisées évaluant le complexe prothrombinique non activé (CCP) dans le traitement des hémorragies sous antivitamine K (AVK) ont, en effet, rapporté un risque thrombotique moyen de 5,2% [3].

Dans l’étude rétrospective UPRATE, encore plus récente, le CCP a été, cette fois, évalué dans la gestion de saignements majeurs chez des patients sous AOD (apixaban ou rivaroxaban) [4]. A 30 jours, les événements thromboemboliques sont survenus chez 2,4% des patients. La majorité d’entre eux n’avait pas repris le traitement anticoagulant.

 

 
La plupart des événements thromboemboliques surviennent au-delà de cinq jours Pr Pierre Sié
 

Andexanet : jusqu’à 18% de risque

En ce qui concerne l’agent andexanet (andexXa), les études in vitro n’ont montré « aucun effet prothrombique associé à son mécanisme d’action ». Pour rappel, cet agent spécifique des inhibiteurs de facteurs Xa, qui n’est pas encore disponible, est particulièrement recommandé dans la prise en charge des hémorragies intracérébrales, en raison de sa rapidité d’action.

L’étude de phase 2 qui a évalué son intérêt dans la gestion d’une hémorragie majeure chez des patients sous AOD (apixaban ou rivaroxaban) a toutefois rapporté une hausse dose-dépendante des biomarqueurs de la coagulation après administration d’andexanet (D-dimère et facteurs de clivage) [5]. Contrairement à l’idarucizumab, « il y a là un signal prothrombotique », souligne le Pr Sié.

 
Contrairement à l’idarucizumab, il y a là un signal prothrombotique avec l’andexanet Pr Sié
 

Dans l’essai de phase 3, ANNEXA-4, les résultats préliminaires ont rapporté des événements thrombotiques chez 6% des patients dans les trois jours qui ont suivi l’administration d’andexanet. A 30 jours, ces événements ont été observés chez 18% des patients encore une fois majoritairement chez ceux n’ayant pas repris d’anticoagulant.

Enfin, dans le cas du ciraparantag, présenté comme étant capable de neutraliser les AOD tout comme les héparines, « les essais in vivo chez des sujets en bonne santé montrent une absence de hausse des marqueurs de la coagulation ».

Même si le médicament n’est encore qu’au début du développement clinique, il semble relativement sûr en termes de risque thromboembolique », selon le spécialiste.

 

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