Enregistré le 18 janvier 2018, à Paris
Claire Mounier-Véhier explique les points clés du livre blanc de la SFHTA pour l’amélioration du dépistage et de la prise en charge de l’HTA en France.
TRANSCRIPTION
Catherine Szymanski — Bonjour, je suis Catherine Szymanski, cardiologue au CHU d’Amiens. J’ai le plaisir d’interroger aujourd’hui Claire Mounier-Véhier, cardiologue au CHRU de Lille. Beaucoup de sessions au cours de ces Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC) sont consacrées à l’hypertension artérielle au sens large et nous allons discuter des nouveautés.
Nouvelles recommandations américaines : non-adhésion de la SFTHA
Catherine Szymanski — La première question porte sur les nouvelles recommandations américaines qui ont fait couler beaucoup d’encre en 2017 au congrès de American Heart Association (AHA), et qui ont revu les chiffres de l’hypertension artérielle à la baisse. En France, les chiffres de l’hypertension artérielle sont définis par une pression artérielle à 140/90 mm Hg, les Américains essaient de faire plus royaliste que le roi… Qu’est-ce qu’on en pense, nous, en France, et au sens large en Europe ?
Claire Mounier-Véhier — Nous, en France, on s’est clairement positionné avec la Société Française d’Hypertension Artérielle sur une non-adhésion à ces chiffres-là, car on a un constat avec les enquêtes FLASH, qui sont faites très régulièrement, que les hypertendus en France ne sont pas contrôlés correctement. On a n’a qu’un hypertendu sur deux qui est à la cible du 140/90 et que déjà si on arrivait à 75-80 % d’hypertendus contrôlés à cette cible de consultation — elle est un petit peu plus basse en automesure, 135/85 — eh bien, on serait déjà très bons. Le 120/80, c’est bien pour des gens très, très jeunes qui sont au tout début de l’hypertension artérielle et qui ont 30, 40, 50, 60 ans d’espérance de vie. Mais c’est totalement utopique, cela peut même être dangereux sur les populations fragilisées — je pense aux sujets âgés. Un sujet âgé à 120/80, il a un fort risque d’hypotension debout, donc de chute, donc de fracture. Donc ce n’est pas quelque chose auquel on adhère, en tout cas aujourd’hui, en France.
Le livre blanc de la SHTA
Catherine Szymanski — Oui. C’est sûr qu’avant de ramener les patients à 120/80, essayons de les amener à 140/90, on aura déjà fait un grand pas en avant. Alors, comment est-ce qu’on peut, aujourd’hui, être meilleur ? Pour arriver à ce chiffre des 140/90 — mettons la barre française à 140/90 tel qu’elle est explicitée dans les recommandations françaises —, comment peut-on aujourd’hui améliorer le dépistage, le diagnostic ? Est-ce qu’on a de meilleures méthodes ou d’outils diagnostiques en France aujourd’hui ?
Claire Mounier-Véhier — On a travaillé pendant presque quatre mois et demi sur la rédaction d’un livre blanc qui est téléchargeable sur le site de la Société Française d’Hypertension, qui reprend justement en plusieurs chapitres toutes les questions que tu viens de me poser. Et l’objectif de ce livre blanc est justement d’améliorer ce contrôle des hypertendus dépistés, d’améliorer le dépistage des hypertendus qui ne se savent pas hypertendus et également de favoriser les parcours de soins coordonnés pour lutter contre l’inertie médicale qui caractérise cette maladie hypertensive. Donc le dépistage effectivement, par le professionnel de santé — mais ce n’est pas forcément un docteur : cela peut être un pharmacien, une infirmière scolaire, à la médecine du travail — c’est un geste clé : mesurer la pression artérielle en consultation aux deux bras, debout chez la personne âgée. Et puis, si ce chiffre est élevé, 140/90, on va vouloir s’affranchir d’une éventuelle réaction d’alarme. Là on recommande fortement une mesure ambulatoire avec l’automesure tensionnelle avec la règle des 3 — trois mesures le matin, trois mesures le soir, trois jours de suite — ou bien, et en complément, une mesure ambulatoire sur 24 heures quand on a besoin d’avoir des renseignements en activité ou la nuit — quand on suspecte par exemple un syndrome d’apnée du sommeil. Donc c’est très important. Mais aujourd’hui, le grand frein au développement de ces deux techniques de dépistage ambulatoire, c’est le remboursement.
Catherine Szymanski — Oui. Et l’Affection de Longue Durée (ALD) qui a été perdue… puisque l’hypertension artérielle n’est plus une affection longue durée...
Claire Mounier-Véhier — Oui, en juin 2011, elle a perdu son ALD…
Catherine Szymanski — Donc « ce n’est pas grave… »
Claire Mounier-Véhier — Disons qu’on s’est posé la question : « faut-il militer, faire un livre blanc pour l’ALD, ou est-ce que l’ALD fait partie des objectifs dans les cas d’hypertension compliquée ? » … On s’est rendu compte avec une enquête que beaucoup de patients étaient aussi diabétiques, obèses, avec des autres pathologies…
Catherine Szymanski — Oui, ils rentraient dans le cadre de l’ALD via d’autres pathologies.
Claire Mounier-Véhier — Voilà, donc ils étaient pris en charge. Alors maintenant c’est vrai que l’appareil d’automesure, tout le monde ne peut pas se le payer. Je pense aux gens précaires, qui justement sont mal traités, peu observants et qu’il faut accompagner. Cet appareil d’automesure va également aider l’observance thérapeutique, donc c’est très important de promouvoir le remboursement de l’appareil. On a proposé une prescription médicale à remboursement tous les cinq ans dans le livre blanc pour ces appareils d’automesure et aussi refaire mettre l’acte « mesure ambulatoire de 24 heures » comme un acte classant remboursé dans la nomenclature.
Parce que qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Le patient vient, pose son Holter tensionnel — cela prend du temps au cardiologue, puis il explique au patient, le patient revient le lendemain, il ramène sa machine, puis il y a le temps d’interprétation. Et aujourd’hui, c’est un acte non classé. Donc, du coup, cela n’incite pas non plus les cardiologues à faire des mesures ambulatoires.
Ce sont donc deux éléments forts de ces préconisations dont on a parlé aux JESFC cette année : militer pour faire rembourser ces deux outils comme on fait un Holter ECG — l’Holter ECG est remboursé…
Catherine Szymanski — Absolument. Alors que l’Holter tensionnel ne l’est pas.
Claire Mounier-Véhier — Alors pourquoi on ne rembourse pas l’Holter tensionnel ? C’est combattre les inégalités de prise en charge sur cette maladie hypertensive et dire que l’hypertension ce n’est pas qu’un facteur de risque, c’est une vraie maladie. Il faut aussi marteler ce message-là.
Comment optimiser les stratégies thérapeutiques
Catherine Szymanski — Et en termes de traitement, comment peut-on optimiser les stratégies thérapeutiques, justement pour mieux, à la fois — eh bien, les dépister on a parlé du dépistage —, mais pour mieux traiter ces patients et arriver aux objectifs tensionnels ? En termes de traitement, le rôle du patient, le rôle du médecin… Chacun a sa part de responsabilité…
Claire Mounier-Véhier — Il y a un binôme, un couple infernal : le non-observant et l’inerte cliniquement.
Catherine Szymanski — Donc, la faute du patient et la faute du médecin.
Claire Mounier-Véhier — Voilà. Ce sont deux malfaiteurs, donc il faut trouver des clés pour améliorer ces deux points-là.
Déjà, prescrire les médicaments en DCI — dénomination commune internationale —, utiliser les médicaments de plus longue durée d’action pour éviter d’avoir des effets creux des médicaments et bien couvrir le patient sur les 24 heures, aller rapidement à la bithérapie fixe, parce que finalement on sait qu’on a une année pour… atteindre les objectifs et puis surtout pour motiver son patient. Si on fait des arrêts retours, des changements itératifs de traitement, le patient peut se lasser et finalement devenir un non-observant chronique.
Aussi, on essaie d’agir pour le remboursement des trithérapies fixes, puisqu’aujourd’hui elles ne sont pas remboursées pour les hypertendus complexes qui ont trois, quatre, cinq médicaments, qui sont diabétiques, donc qui ont une ordonnance à neuf, dix comprimés. On essaie de militer pour avoir ce remboursement de la trithérapie dans des cas bien déterminés.
Et puis la clé, aussi, c’est de revoir son patient tous les mois. Alors, le médecin traitant, il peut se faire aider du pharmacien, revoir son patient pour titrer les médicaments jusqu’à ce qu’il soit à la cible thérapeutique. Et se dire que si au bout de six mois avec une trithérapie il n’est pas bien contrôlé, on doit se poser la question d’une cause aggravante sous-jacente d’hypertension artérielle.
Puis parallèlement au traitement, il y a l’hygiène de vie — c’est aussi l’autre clé de voûte du traitement de l’hypertension. Les gens disent « non docteur, je ne resale pas, je ne mange pas salé ». OK, mais en fait, ils mangent du sel caché. Donc, c’est vraiment traquer le sel caché, leur expliquer que ce sel est une cause de résistance, s’intéresser aussi — alors, on est assez pudique là-dessus — « combien consommez-vous d’alcool par jour ? » Notamment, on n’ose pas poser la question aux femmes. Aussi le tabagisme : on ne le sait pas, mais ils métabolisent très vite les médicaments antihypertenseurs. Donc fumer diminue l’efficacité des traitements antihypertenseurs, parce qu’ils s’éliminent plus vite. Donc voilà, il faut traquer la mauvaise hygiène de vie. C’est aussi l’activité physique : un patient sédentaire, il grossit certes, mais surtout il a un endothélium plus rigide. Donc, c’est le combi « hygiène de vie, traitement optimisé et titrer rapidement et régulièrement. »
Catherine Szymanski — Et l’inertie : quand le médecin n’est pas très enthousiaste à l’idée de majorer le traitement, en se disant « on va attendre… », est-ce qu’il ne faut pas, dès le stade de l’internat, familiariser les internes et être d’emblée très incisif, très interventionniste en termes de thérapeutique pour justement optimiser ce contrôle tensionnel ?
Claire Mounier-Véhier — Oui, il faut être très interventionniste. En fait, quand on parle d’insuffisance cardiaque, cela ne viendrait même pas à l’idée du médecin de ne pas titrer …
Catherine Szymanski — Absolument.
Claire Mounier-Véhier — L’hypertension est quand même le premier facteur de risque de l’accident vasculaire cérébral et un des premiers facteurs de risque de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, il ne faut pas l’oublier… On oublie que les hypertendus isolés non compliqués légère à modérée sont une toute petite partie des hypertendus. La majorité sont des hypertensions maladie. Donc dès le troisième cycle, avec nos internes, le DES cardiovasculaire, le DES de médecine vasculaire ou le DES de médecine générale, on a des séminaires consacrés à l’hypertension artérielle. Après, on va s’aider du e-Learning, des formations « développement professionnel continu », des sessions de congrès comme aux JESFC où on va vraiment remettre, simplifier les messages. Parce qu’on parlait, tout à l’heure, des recommandations américaines, ou même les européennes — se sont des pavés de presque 200 pages, le message ne passe pas.
Catherine Szymanski — Exactement.
Claire Mounier-Véhier — Plus on est livresque, moins ça passe. Donc c’est : une idée = un message. Et puis il faut simplifier les prises en charge pour qu’à la fois le médecin, mais aussi le patient, se les approprient. C’est-à-dire que toutes les recommandations qu’on peut aller voir sur le site Internet de la Société d’hypertension ont été conçues pour être également compréhensibles du grand public. C’est leur grande force.
Catherine Szymanski — Absolument. Et félicitations pour votre travail parce que vraiment…
Claire Mounier-Véhier — Avec un bon président qui est Thierry Denolle.
Une approche multidisciplinaire
Catherine Szymanski — Dernière chose, pour essayer de faire la synthèse de ce qu’on vient de dire. Comment peut-on essayer d’améliorer le parcours de soins, la coordination, l’organisation ? Comment, dans votre région, vous avez mis en place le réseau bien ficelé qui marche très bien, Claire Mounier-Véhier et l’HTA, les réseaux se développent… Comment pouvez-vous témoigner de ce bon fonctionnement tel qu’il existe dans le Nord–Pas-de-Calais ou dans les Hauts-de-France aujourd’hui ?
Claire Mounier-Véhier — C’est un compagnonnage. C’est-à-dire qu’on va travailler tous ensemble autour d’une idée princeps. Mais déjà, nos recommandations de la Société sont multidisciplinaires. Ce ne sont pas que les hypertensiologues qui les ont écrites. On a mis autour de la table des gynécos, des cardios, des néphros, des internistes et finalement, en travaillant tous ensemble autour, par exemple, de l’idée de faire un parcours coordonné pour le patient hypertendu, toutes les personnes qui ont participé à ce travail, qui viennent d’un peu partout en France, vont aller semer la bonne parole. Avec ce fameux livre blanc, on est censé allé voir chacun nos ARS régionales pour promouvoir la mise en place de parcours coordonnés avec le médecin traitant — le chef d’orchestre, il ne faut pas l’oublier— mais il ne faut pas oublier les autres métiers comme le pharmacien ou les infirmières spécialisées, qui peuvent aussi être formées à l’automesure. On a maintenant des séniorisations d’infirmières qui peuvent être impliquées dans l’éducation thérapeutique. C’est très important et on se sent moins seul quand on est dans un parcours de soins. Le patient… il y en a toujours un qui va penser à une idée que n’aura pas évoquée l’autre et, finalement, plusieurs têtes valent mieux qu’une et, quand on est patient, on aime bien que tout le monde s’occupe de soi correctement…
Catherine Szymanski — Merci beaucoup, Claire, pour ces informations… Et encore bravo pour le livre blanc. N’hésitez pas à le télécharger via le site de la Société Française d’Hypertension Artérielle.
Medscape © 2018 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Hypertension artérielle : un livre blanc pour améliorer la prise en charge - Medscape - 15 févr 2018.
Commenter