POINT DE VUE

Maladie cardiaque chez la femme : comment améliorer le dépistage et la prise en charge ?

Pr Claire Mounier-Véhier, Dr Catherine Szymanski

Auteurs et déclarations

6 février 2018

Enregistré le 18 janvier 2018, à Paris

En France, 1 femme sur 3 décède d’une maladie cardio-cérébrovasculaire. Comment mieux dépister et traiter les patientes à risque ? Entretien avec les cardiologues Claire Mounier-Véhier et Catherine Szymanski.

TRANSCRIPTION

Catherine Szymanski —  Bonjour, je suis Catherine Szymanski, cardiologue à l’hôpital d’Amiens, et j’ai le plaisir d’interroger aujourd’hui le Pr Claire Mounier-Véhier, qui est cardiologue au CHRU de Lille. Au cours de ces Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC), beaucoup de séances ont été consacrées à la santé cardiovasculaire de la femme. Claire, pourquoi y a-t-il un regain d’intérêt ces dernières années ? Pourquoi est-ce que, subitement, ces cinq dernières années, on s’intéresse à la santé de la femme, comme si elle n’existait pas il y a 10 ou 15 ans ?

Claire Mounier-Véhier — Ce n’est absolument pas un effet de mode. C’est un constat épidémiologique. Une femme sur trois en France va décéder d’une maladie cardiocérébrovasculaire (une femme sur deux en Europe). C’est sept fois plus que le cancer du sein. On a toutes peur de faire un cancer du sein et d’en mourir ; on est bien dépisté et, heureusement, on est bien soigné… par contre la maladie cardiovasculaire ne fait pas encore l’objet d’un dépistage systématique et j’aimerais qu’on puisse tendre vers cette proposition de dépistage pour améliorer la santé de ces femmes.

Des facteurs de risques spécifiques

Catherine Szymanski —  En quoi est-ce que les femmes ont un risque cardiovasculaire particulier ? En quoi est-il différent de celui des hommes ? Est-ce que les œstrogènes, la progestérone et la grossesse influent par rapport aux hommes qui n’ont pas toutes ces particularités ? Pourquoi est-ce que, justement, la femme est différente, d’un point de vue cardiovasculaire, de l’homme ?

Claire Mounier-Véhier —  Ces femmes sont en effet exposées à une succession de pertes de chance — c’est ce que je dis en conférence grand public.

  • D’abord, on a des facteurs de risque traditionnels qu’on connaît tous : l’hypertension, le tabac, le stress, la précarité — ces facteurs de risque sont plus toxiques sur une artère de femme que sur une artère d’homme.

  • Puis on a des facteurs de risque émergents mieux connus, comme la précarité, le stress psychosocial, la migraine — la migraine est liée à un spasme et cela veut dire aussi plus de spasmes coronaires chez ces femmes — la maladie inflammatoire.

  • Et effectivement les facteurs de risque hormonaux : la contraception avec éthinylœstradiol devrait faire partie de notre interrogatoire de cardiologue devant les femmes en âge de procréer. Et puis ces femmes qui ont eu un problème de placentation, donc qui ont fait de l’hypertension, un diabète gestationnel… Et pour terminer, ce qu’on connaît un petit peu mieux quand même, cette transition vasculaire et métabolique de la ménopause qui fait que ces femmes, au bout de cinq ans de ménopause, vont rattraper le risque des hommes.

Comment améliorer l’interrogatoire en consultation cardiologique ?

Catherine Szymanski —  Comment penses-tu que le cardiologue de base que je suis doit mener l’interrogatoire ? Comment dois-je mener mon interrogatoire quand je suis en face d’une jeune femme ou même d’une femme de 80-85 ans (parce que c’est une femme qui a été imprégnée d’œstrogènes, elle est passée certainement par toutes les étapes de la vie, la puberté, la grossesse, la ménopause, elle a vécu jusqu’à 85 ans…) ? Parce que moi, je n’ai pas l’impression de faire la différence ; quand je vois un patient, que ce soit un homme ou une femme, je l’interroge la même façon — j’ai très certainement tort. Et je pense ne pas être la seule, malheureusement…

Claire Mounier-Véhier —  Mais tu ne vas pas avoir tort longtemps, parce qu’effectivement on a la chance, à Lille, d’avoir monté avec une gynécologue, Brigitte Letombe, le premier parcours de soins « cœur, artères et femme ». On s’est mis autour de la table, les gynécos, les obstétriciens, les cardiologues, et on a construit un questionnaire spécifique aux femmes qui reprend les différentes étapes dont tu viens de parler. C’est-à-dire qu’on va interroger les femmes sur l’âge de leurs premières règles — elles nous regardent avec des yeux de bille quand elles ont 70 ans — mais des règles à 11 ans, c’est précoce et c’est corrélé au syndrome métabolique. On leur demande leur histoire de contraception, leurs antécédents obstétricaux — puisqu’une prééclampsie multiplie par deux à trois le risque d’hypertension, d’accident vasculaire cérébral, d’infarctus du myocarde — et puis, enfin, on va leur demander si elles ont un suivi gynécologique régulier, si elles ont fait une mammographie — cela peut sembler bizarre…

Catherine Szymanski —  Mais oui… Claire, dois-je te rappeler qu’on est cardiologues et là, tu es en train de mener un interrogatoire de gynécologue ? Mais peut-être est-ce ce qu’il convient de faire…

Claire Mounier-Véhier —  Nous sommes cardiologues mais on doit s’interroger de la santé globale de la femme. Moi je dépiste des cancers du sein alors que ce n’est pas mon métier de cardiologue. Mais les gynécologues, ils ne sont pas cardiologues et quand ils voient une femme à 50 ans, ils disent à la patiente « madame, avez-vous fait votre bilan lipidique, votre glycémie, votre mesure de pression ? » et ils se comportent comme des « gynécocardiologues ». Et nous, on peut être des « cardiogynécologues », toute raison gardée. Ensuite, on se renseigne pour écrire au gynécologue et finalement cela fait un peu boule de neige. C’est-à-dire que le gynéco voit ses courriers, il apprend, les correspondants voient les courriers, ils apprennent. Et c’est vrai que dans mon service, à Lille, on a une fiche « risque hormonal des femmes » et jusqu’à 76 ans, on renseigne ces antécédents gynéco-obstétricaux. Donc cela fait, pour répondre à ta question, en plus du classique interrogatoire « antécédents médico-chirurgicaux », les symptômes, vos facteurs de risque, votre histoire, on va rajouter… les antécédents gynéco-obstétricaux. Et c’est vrai que dans les cinq ans qui viennent, cela rend service aux femmes parce que, comme si on parlait des hommes, on pourrait leur poser la même question sur les antécédents prostatiques… Une femme qui a eu un cancer du sein par exemple, qui a eu une radiothérapie, une chimiothérapie mammaire, elle est à plus haut risque d’infarctus du myocarde. Donc cela doit nous inciter à être plus agressifs dans le dépistage.

Disparités dans la prise en charge : « L’effet genre »

Catherine Szymanski —  Alors on a vu comment mener son interrogatoire. L’examen clinique, je pense qu’il n’y a pas de gros changements, il n’y a pas d’effet genre, c’est le même. Qu’en est-il du traitement ? Est-ce que la femme, aujourd’hui, est traitée de la même façon qu’un homme malade du cœur ? Les ordonnances se ressemblent-elles ? Comment peut-on agir là-dessus ? Est-ce que vous avez des données d’études récentes concernant la prise en charge des facteurs de risque de la femme ?

Claire Mounier-Véhier —  Effectivement, c’est une bonne question. À la phase aiguë de l’infarctus du myocarde, il n’y a pas de différence homme-femme, par contre, l’ordonnance de sortie est incomplète.

Catherine Szymanski —  Pourquoi ?

Claire Mounier-Véhier —  Alors soit elles refusent le traitement, par exemple de statines en disant qu’elles ont de l’arthrose, elles ont vu l’émission à la télé, elles ont des myalgies, elles sont frileuses…

Catherine Szymanski —  Donc elles interrompent plus prématurément leur traitement.

Claire Mounier-Véhier —  Elles interrompent… Chez ces femmes-là, hormis l’infarctus du myocarde à la phase aiguë en post-infarctus on peut leur proposer des schémas séquentiels pour adapter le corps aux statines.

Quand on doit adapter le traitement, par exemple dans l’insuffisance cardiaque, parfois elles ne sont pas titrées au même rythme que les hommes. Ces résultats peuvent paraître surprenants, ce sont des enquêtes observationnelles, des registres épidémiologiques dont on dispose en France, mais aussi en Europe, où [on voit que] les femmes sont sous-traitées, à la fois sous les antiagrégants plaquettaires, les inhibiteurs d’enzymes de conversion, bêtabloquants et statines. Donc le traitement basique est insuffisant.

Catherine Szymanski —  Chez la femme versus chez l’homme… Alors que les recommandations ne font pas de distinction de genre entre l’homme et la femme.

Claire Mounier-Véhier —  Oui. Il y a une étude anglo-suédoise toute récente qui vient de sortir sur le post-infarctus du myocarde, et on s’est rendu compte que les femmes avaient une surmortalité à 30 jours et à un an parce qu’elles étaient moins bien traitées, et que si on corrigeait l’effet traitement, on lisserait ces différences homme-femme quant à la surmortalité à 30 jours et à un an. Parce que les recommandations sont moins bien appliquées chez les femmes — on appelle cela « l’effet genre ».

Les campagnes grand public

Catherine Szymanski —  Comment lutter contre l’effet genre ? Par les campagnes grand public ? Les communications qui ont été très largement développées à votre initiative (la Fédération Française de Cardiologie a mené des campagnes formidables pour, justement, tenir au courant le grand public de la santé cardiovasculaire de la femme) ? Quel est l’effet attendu ? Quelles étaient les missions de cette campagne ? On se doute bien que c’était pour informer le grand public… quel a été l’impact de ces campagnes, puisqu’on arrive à six mois de ces campagnes ? Est-ce que vous avez vu venir davantage de femmes au cabinet se présenter spontanément, se dire « oui, j’ai vu telle émission, peut-être bien que c’est moi dans cette émission… » ?

Claire Mounier-Véhier —  On a fait plusieurs choses : deux campagnes – une qui s’appelait « Préjugés » il y a deux ans, mais qui est repassée récemment, où c’était un couple qui dansait et la femme tombait, et non pas l’homme qui était un peu pléthorique ; et une deuxième, sur les symptômes de l’infarctus, qui s’appelait « Casting », où on avait demandé à plusieurs artistes de mimer différentes scènes de la vie quotidienne, et elles bloquaient sur les symptômes, parce qu’elles mimaient l’infarctus de l’homme et, à la fin, le film se terminait par « appelez le 15. » Donc finalement, ces campagnes ont été beaucoup vues, elles sont passées au cinéma, à la télé et parallèlement on a fait des communiqués de presse qui sont référencés avec de la bibliographie scientifique. Les journalistes l’ont compris, elles vont chercher les communiqués de presse et pas forcément en faisant des interviews, elles font spontanément des publications que lisent les gens. Alors cela peut aller jusqu’au Monde, on a eu un cahier récent dans Le Monde, Le Figaro, mais cela peut être Voici, Gala, Nous Deux, Paris-Match

Catherine Szymanski —  Oui, eux que les femmes ont l’habitude de lire.

Claire Mounier-Véhier —  Voilà. Le Elle — on a fait aussi la « Elle Run » en octobre dernier, c’était une course au profit du cœur des femmes. Ces campagnes, les femmes les voient. Et ce qu’il y a d’intéressant, c’est que ce sont elles qui vont voir leur médecin traitant en leur disant : « Docteur, je veux avoir un bilan cardiovasculaire. » Et le médecin traitant dit : « mais vous n’en avez pas l’utilité. » Elles disent « si, si, j’ai les symptômes… je l’ai vu, j’ai compris, je veux faire mon check-up. » Finalement, on a des femmes qui viennent avec la lettre du médecin traitant, voire même sans lettre, donc qui s’affranchissent de la prise en charge complémentaire, parce qu’elles veulent être rassurées. Il faut rassurer aussi les femmes — toutes les femmes ne vont pas faire un infarctus : ce sont celles qui ont des facteurs de risque. Mais quand même, une grosse fumeuse… Sept infarctus sur 10 chez la femme de moins de 50 ans sont liés la cigarette…. La femme qui elle-même malheureusement a fait un accident cardiovasculaire, est sensibilisée, elle va en parler autour d’elle. Les femmes qui ont lu l’article, elles vont faire le bilan cardiovasculaire, elles vont en parler au travail, elles vont en parler avec leurs copines… la femme parle, elle en parle autour d’elle… c’est un super vecteur de prévention parce que c’est une mère, une épouse, une copine, une sœur etc… la prévention, elle passe aussi par le citoyen, ce qu’on appelle la « prévention citoyenne ».

Catherine Szymanski —  Absolument. Merci beaucoup Claire pour ces données sur la santé de la femme et le risque cardiovasculaire.

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....