POINT DE VUE

Microbiote et maladies cardiovasculaires : quel niveau de preuve ?

Dr Boris Hansel, Pr Harry Sokol

Auteurs et déclarations

30 janvier 2018

Enregistré le 18 janvier 2018, à Paris

TRANSCRIPTION

Boris Hansel — Bonjour. On se retrouve pour une émission consacrée aux bactéries que nous portons en nous et plus particulièrement au niveau du tube digestif, ce fameux microbiote intestinal, qui semble prometteur quand on parle de santé.

Pour en parler, je suis en compagnie du Pr Harry Sokol : vous êtes gastroentérologue à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, spécialisé notamment dans les maladies inflammatoires de l’intestin. Vous venez nous parler suite à une intervention que vous avez faite dans le cadre des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC). Il y a eu toute une session consacrée aux relations entre le microbiote et les pathologies cardiovasculaires et cardiométaboliques. Nous allons va voir ensemble si le microbiote est aujourd’hui une piste sérieuse pour expliquer les maladies cardiovasculaires et si cela peut, aujourd’hui ou demain, déboucher sur des traitements. Avant, je voudrais qu’on revienne sur cette notion de microbiote intestinal. Peut-on dire que ce microbiote ce sont les bactéries qui sont en nous naturellement ?

Harry Sokol — En fait, le microbiote, c’est l’ensemble des microorganismes qui sont dans notre intestin et que l’on rencontre à partir de la naissance et avec lesquels on va vivre jusqu’à notre mort. Ces microorganismes sont essentiellement des bactéries — il y en a d’autres, il y a aussi des champignons, certains virus, et on sait aujourd’hui que tous ces microorganismes jouent un rôle très important dans la physiologie générale de notre corps et potentiellement dans certaines maladies.

Boris Hansel — Alors justement, certaines de ces maladies… on en a parlé aux JESFC. Quelles ont été les thématiques ? Quelles sont les questions qui se posent quand on parle microbiote intestinal et maladies cardiovasculaires ?

Harry Sokol — Tout d’abord ce qui a été présenté, c’est l’état des connaissances sur le rôle potentiel du microbiote intestinal dans la survenue de maladies cardiométaboliques, avec essentiellement des études chez la souris. Également, des données humaines montrant que le microbiote des patients atteints de pathologies cardiométaboliques est différent de celui de sujets sains, avec des altérations en termes de composition et parfois de fonction. Et puis, enfin, on a abordé les thérapeutiques qui sont potentiellement à utiliser dans ces pathologies ciblant le microbiote intestinal avec, essentiellement la transplantation de microbiote fécal et l’utilisation de probiotiques — que ce soient des probiotiques conventionnels ou dits de « nouvelle génération ».

Le microbiote : un effet mode ?

Boris Hansel — Quand on vous entend parler, on entend potentiellement que le microbiote est responsable des maladies cardiovasculaires et de certaines pathologies, comme le diabète ou l’obésité probablement. On imagine qu’il puisse y avoir des thérapeutiques… Moi, j’ai l’impression que c’est une mode. Enfin, on peut avoir l’impression que c’est une mode, comme on a eu la mode du stress oxydant : on a tout expliqué par le stress oxydant, disons — le cancer, c’est le stress oxydant, les maladies cardiovasculaires, c’est le stress oxydant, et donc on s’était dit, quand on regarde la littérature scientifique d’il y a 20 ans, que si on traite avec des antioxydants, on va régler ces problèmes. 20 ans plus tard, on se rend compte que finalement, la piste des antioxydants n’est plus là et que malgré les relations qui existent entre le stress oxydant et les maladies, quand on veut traiter avec des antioxydants on ne soigne, ou en tout cas on ne guérit pas, ces maladies. Est-ce qu’on n’est pas dans la même configuration avec le microbiote, aujourd’hui ? C’est-à-dire une mode, une manière de voir la pathologie, et finalement demain on pensera d’une autre manière ?

Harry Sokol — Effectivement, je comprends tout à fait cette perception, puisque finalement le domaine du microbiote intestinal — et surtout son exploration dans les maladies — date d’une quinzaine d’années et cette découverte, ces capacités d’exploration du microbiote étant très récentes, on est aujourd’hui submergé par un nombre de travaux scientifiques descriptifs ou mécanistiques sur le microbiote intestinal. C’est vrai que cela touche des pathologies extrêmement variées et on peut donc avoir un peu l’impression que ce microbiote est mis à toutes les sauces. D’ailleurs, c’est vrai que certains de mes collègues peuvent, même un petit peu, probablement, exagérer ce type de résultat.

Boris Hansel — Dans votre spécialité, à la différence du stress oxydant, on a des domaines dans lesquels oui, aujourd’hui ça fonctionne, et on a des applications pratiques dans le domaine du microbiote et des traitements efficaces.

Utilisation du microbiote dans les infections à C. Difficile et les maladies inflammatoires de l’intestin

Harry Sokol — Oui. Contrairement au stress oxydant, on sait effectivement aujourd’hui que lorsqu’on modifie le microbiote dans un certain nombre de maladies, on a un effet sur la santé. Le premier exemple, qui est le plus clair, c’est celui les infections à Clostridium difficile, notamment les formes récidivantes. Aujourd’hui, on sait que la transplantation de microbiote fécale est un traitement de référence pour le traitement de ces infections récidivantes à Clostridium difficile. D’ailleurs les guidelines nord-américaines et européennes ont placé ces thérapeutiques en tête de liste dans cette option.

Boris Hansel — Vous soignez donc régulièrement dans votre service des patients qui ont ces formes récidivantes d’infection à Clostridium difficile avec la transplantation ?

Harry Sokol — Tout à fait. Dans notre service, qui est un des plus importants en France pour ce type d’activité, on fait approximativement une transplantation fécale par semaine pour traiter les infections récidivantes à Clostridium difficile.

Boris Hansel — Il y a une autre application qui semble réelle et efficace :

la maladie de Crohn.

Harry Sokol — Dans les maladies inflammatoires de l’intestin, c’est vrai qu’on sait depuis longtemps que le microbiote est anormal. Aujourd’hui, on a des essais randomisés dans la rectocolite hémorragique… avec trois essais qui sont publiés.[1,2,3]Les trois montrent un effet positif de la transplantation fécale, deux sur trois montrent un effet statistique tout à fait net — le troisième ne montre qu’une tendance —, mais on peut clairement dire que lorsqu’on va modifier le microbiote intestinal chez ces patients avec la transplantation fécale, on a une certaine forme d’efficacité. Attention par contre, on n’a pas le même niveau d’efficacité que celui avec le traitement d’une infection à Clostridium difficile puisque ce type d’infection est quasiment exclusivement un problème d’écologie intestinale, alors que la rectocolite hémorragique, la maladie de Crohn ou probablement aussi les maladies métaboliques, sont beaucoup plus des maladies liées à un problème de dialogue entre les bactéries de l’intestin et le reste de notre organisme, ce qui suggère qu’il va falloir traiter peut-être les deux à la fois.

Boris Hansel — Alors parlons-en justement, parce qu’apparemment les mécanismes d’action de la transplantation fécale ne sont pas les mêmes dans le cadre de l’infection à Clostridium difficile et dans le cadre de la rectocolite hémorragique. Est-ce qu’on peut comprendre en quelques mots comment cela fonctionne? Dans le cadre de Clostridium difficile, je crois que c’est une maladie qui est liée à une bactérie, mais qui peut se multiplier, se développer dans un certain contexte bactérien… Donc, on modifie ce contexte bactérien avec la transplantation fécale, ce qui fait que la bactérie ne peut plus se développer…

Harry Sokol — C’est exactement ça. La condition pour développer une infection à Clostridium difficile est d’avoir un microbiote qui est altéré — le plus souvent, c’est une prise d’antibiotique, tout simplement…

Boris Hansel — Qui a favorisé cette altération du microbiote.

Harry Sokol — Exactement. Puisqu’un antibiotique que l’on prend, par exemple, pour une infection ORL va certes taper sur la bactérie pathogène, mais va aussi le plus souvent impacter notre microbiote intestinal, donc changer la composition du microbiote, déranger, finalement, cet écosystème. Une bactérie comme le Clostridium difficile que l’on va rencontrer à cette occasion, en même temps, va finalement avoir un terreau favorable pour se développer, va « avoir de la place » pour se développer et donc possiblement faire une infection.

Boris Hansel — Donc, là, c’est un effet très local. On modifie, comme vous disiez, le terreau dans lequel se développe le Clostridium difficile. Dans d’autres cas, le microbiote intervient à distance sur d’autres organes, par des messagers, par des intermédiaires…

Harry Sokol — Oui. Alors, dans d’autres pathologies, notamment dans les maladies inflammatoires de l’intestin, les choses sont quand même beaucoup plus complexes. On sait qu’il y a des effets qui sont, certes, au niveau de l’écosystème intestinal lui-même, mais il y a aussi des effets sur les cellules immunitaires, sur les cellules épithéliales probablement, même des effets à distance…

Boris Hansel — À distance — par exemple ?

Harry Sokol — Dans les maladies inflammatoires de l’intestin, on voit des modifications au niveau du sang puisque – c’est d’ailleurs quelque chose d’assez étonnant – dans notre sang périphérique, 10 % à 30 % des molécules présentes sont soient d’origine microbienne, soit au moins ont été transformées par les microbes. Donc en fait, on est complètement imbibé par ce monde microbien…

Boris Hansel — Ces microbes soit envoient des substances qu’ils ont produites ou transformées, soit eux-mêmes envoient certains de leurs constituants dans le sang et cela peut influer au niveau de différents organes, y compris au niveau du cerveau…

Harry Sokol — Absolument. Ces bactéries au niveau de l’intestin qui sont en très grand nombre et qui sont aussi très diversifiées vont produire énormément de molécules différentes. Ces molécules, elles sont produites dans un organe qui est fait pour absorber (l’intestin), elles vont passer dans le sang, passer par le système porte, passer dans le foie, parfois être transformées dans le foie et ensuite atteindre notre circulation périphérique où elles vont pouvoir toucher n’importe quels organes. Et certaines de ces molécules peuvent même passer la barrière hématoencéphalique et donc être retrouvées dans le cerveau.

Microbiote et maladies cardiométaboliques : quel niveau de preuve ?

Boris Hansel — On comprend donc que cela puisse intervenir dans différents appareils, notamment, le cardiovasculaire. Revenons sur cette thématique : aujourd’hui où en est-on? Est-ce que le microbiote, quand il est altéré, fait grossir? Est-ce que le microbiote, quand il est altéré, favorise le diabète? Et est-ce que le microbiote, quand il est altéré, favorise les maladies cardiovasculaires? Quel est le niveau de preuve de ces hypothèses?

Harry Sokol — Ce qui est très clair, c’est que le microbiote des patients ayant des pathologies cardiométaboliques est altéré par rapport à des sujets sains — ce sont des données humaines.

Boris Hansel — Que ce soit le diabète, la maladie cardiovasculaire ou l’obésité...

Harry Sokol — On a des données dans l’obésité, le diabète, même des pathologies type insuffisance cardiaque, pathologie coronarienne, hypertension artérielle…

Boris Hansel — Donc c’est altéré.

Harry Sokol — C’est altéré. C’est clair et ce n’est plus discuté aujourd’hui. Ensuite, la question suivante est : est-ce que ces altérations jouent un rôle dans la maladie elle-même ou est-ce que, finalement, elles sont juste des témoins de la maladie? Pour cela, on a des données pour l’instant chez la souris qui nous montrent très clairement que lorsqu’on modifie le microbiote intestinal on a un effet sur ces pathologies, et plus récemment, on a également des données humaines, notamment deux transplantations de microbiote fécale — deux études [4,5]qui ont été réalisées par des collègues hollandais — qui montrent qu’en transplantant le microbiote intestinal de sujets minces à des patients ayant un syndrome métabolique, on va améliorer l’insulinorésistance à 6 semaines. Malheureusement, l’effet n’est que transitoire – et, d’ailleurs il n’est pas non plus très important en termes d’intensité, mais il est tout à fait net et significatif. Ce qui veut dire que lorsque l’on va cibler ce microbiote intestinal, d’un point de vue théorique on peut avoir un impact sur la maladie.

Boris Hansel — Mais un impact avec des transplantations régulières, donc cela serait plus un traitement à prendre au long cours qu’une correction définitive du microbiote intestinal.

Harry Sokol — Absolument. C’est vrai que dans ce sens-là, la transplantation n’est pas le bon terme. On a pris ce terme parce que c’est celui qui est utilisé aux États-Unis, mais ce n’est pas une transplantation comme une transplantation d’organe où lorsqu’on greffe un foie, le foie reste. Là non, cela va être très dynamique, donc on va perdre l’effet avec le temps.

Intérêt des probiotiques dans les maladies cardiovasculaires

Boris Hansel — C’est un traitement du microbiote en injectant des bactéries. On voit cette possibilité. Rapidement, il y a une autre possibilité évidente qui vient à l’esprit : c’est d’ingérer des probiotiques, c’est-à-dire des êtres vivants qui seraient ceux qui nous manquent ou qu’il faut faire se multiplier dans notre organisme. On en est où aujourd’hui sur l’intérêt des probiotiques dans les maladies cardiovasculaires?

Harry Sokol — Il y a les probiotiques classiques, qui viennent essentiellement des produits laitiers, et aujourd’hui dans les pathologies cardiovasculaires, on n’a pas de bons arguments pour suggérer un effet…

Boris Hansel — Vous parlez des petites bouteilles de produits laitiers qui contiennent certaines bactéries d’origine laitière…

Harry Sokol — Des lactobacilles…

Boris Hansel — Donc pas de preuves de l’intérêt…

Harry Sokol — On n’a pas de preuves, en tout cas suffisantes, chez l’homme. Il y a des données chez l’animal, mais chez l’homme, on n’a pas de preuves suffisantes pour les conseiller.

Boris Hansel — Et ensuite, on peut se poser la question des bactéries d’origine intestinale…

Harry Sokol — Exactement. C’est ce qu’on appelle le concept de probiotique de nouvelle génération, où on va prendre des bactéries issues de l’intestin qui ont des fonctions reconnues sur la santé humaine que l’on va faire pousser dans un laboratoire, ou plutôt dans une usine, et ensuite réadministrer à un patient. Il y a une recherche extrêmement dynamique sur ce sujet puisque cela pourrait permettre d’administrer le produit tout simplement dans des gélules comme un médicament classique. Et même si on a un effet que transitoire, rien ne nous empêche de prendre ce médicament comme un autre, tous les jours et d’avoir un effet sur une maladie chronique comme les maladies métaboliques.

Boris Hansel — Donc des espoirs de développement, mais aujourd’hui on ne peut pas recommander l’utilisation des probiotiques pour la prévention ou le traitement des maladies cardiométaboliques et la seule chose qu’on peut recommander, c’est l’alimentation – fruits, légumes, des produits céréaliers — car on sait qu’on modifie favorablement le microbiote.

Harry Sokol — Oui. Très clairement. Ce que l’on peut modifier, et avec des effets connus sur la santé, c’est-ce que l’on mange et notamment le fait de manger des fibres alimentaires diversifiées, des fruits, des légumes de différents types et en bonne quantité ; on va alors nourrir notre microbiote intestinal, favoriser l’émergence d’une grande diversité de bactéries dans l’intestin. On sait que c’est positif. On ne sait pas encore si l’effet bénéfique de ce type d’alimentation passe exclusivement par le microbiote intestinal, mais c’est aujourd’hui une piste vraiment très forte.

Boris Hansel — D’autant qu’on ne sait pas vraiment comment les fibres fonctionnent — on sait que ça marche, c’est consensuel de dire qu’il faut manger beaucoup de fibres pour prévenir les maladies chroniques. Une des pistes est donc par le biais du microbiote.

Harry Sokol — Tout à fait.

Boris Hansel — Des choses pratiques pour aujourd’hui, c’est de manger des fibres, et pour demain, peut-être on ira vers des techniques qui ciblent plus directement encore le microbiote intestinal. Pr Sokol, merci beaucoup.

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