Psychiatrie au bord de la crise de nerf

Jean-Bernard Gervais

19 janvier 2018

France -- Crise financière, managériale et identitaire : tout se conjugue pour rendre la situation dramatique et la psychiatrie part en lambeaux. Le 18 décembre dernier, le syndicat de psychiatres des hôpitaux (SPH) était reçu par la ministre de la santé Agnès Buzyn, pour lui faire part de la situation préoccupante « de la psychiatrie qui multiplie les alertes ». La ministre « s'est engagée parmi les mesures à prendre d'urgence, à demander une sanctuarisation des budgets de la psychiatrie ». Un premier pas, qui semble bien insuffisant, au regard du contexte actuel. Comme en témoignent les récits et les initiatives de plusieurs hommes et femmes politiques qui ont abondé ces derniers mois pour une augmentation des moyens accordés au secteur psychiatrique.

Des témoignages glaçants, un constat inquiétant

Après une visite effectuée à l'hôpital psychiatrique Pinel à Amiens dans la Somme, courant août dernier, le député de la France Insoumise, François Ruffin, affligé par ce qu’il a vu, a déposé une proposition de loi visant à augmenter de 2% le budget des établissements de santé mentale, à l'instar des autres établissements de santé. En effet, « les hôpitaux psychiatriques […] sont financés par une dotation annuelle de financement (DAF), décidée et délivrée par les Agences Régionales de Santé (ARS). Or, cette DAF ne suit pas du tout, elle, les + 2 % annuels. Au contraire, l’enveloppe tend plutôt à diminuer. Tout fonctionne comme si, discrètement, sans le crier, les ARS procédaient à des économies sur le dos de la psychiatrie et des patients », lit-on dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi.

La députée LREM, Barbara Pompili, a, elle aussi, inspecté début novembre le même hôpital. Elle en rapporte un témoignage glaçant : « Je suis allée dans plusieurs unités, regroupant des patients plus ou moins gravement atteints. Une unité, c’est normalement 20 patients. Certaines montent jusque 24. Là évidemment on doit rajouter des lits [...] Ce qui ne passe pas, c’est que dans chacune de ces unités il n’y a pour ainsi dire personne pour soigner les patients. Et donc les patients ne sont pas soignés. La faiblesse hallucinante des effectifs transforme cet hôpital en gigantesque garderie ».

Dans un communiqué, le SPH, fin novembre, ne dressait pas d'autre constat : « la situation de la psychiatrie en France, c'est une augmentation des files actives de patients (plus de 60% de croissance en dix ans) mais une réduction du nombre de soignants (de 8% à 47% de réduction selon les catégories de professionnels en quinze ans) [...], une augmentation des mesures de soins sans consentement (1200 mesures de plus entre 2012 et 2015 selon l'Irdes), une réduction en nombre de lits des capacités d'hospitalisation et des durées moyennes de séjour à l'hôpital divisées par 3,7 en 30 ans ».

 
La faiblesse hallucinante des effectifs transforme cet hôpital en gigantesque garderie  Barbara Pompili
 

Conflits sociaux et grèves à gogo

Résultat, un peu partout en France, des conflits sociaux explosent dans les établissements psychiatriques. Au centre hospitalier Guillaume Régnier à Rennes, un mouvement de grève, débuté le 7 novembre dernier, entre dans son troisième mois, malgré le déblocage, par l'agence régionale de santé, d'un budget exceptionnel de 1 648 000 euros. Car les grévistes ne se battent pas pour des augmentations de salaires... mais pour l'ouverture de lits supplémentaires : « le ministère n'a pas répondu à la demande d'ouverture de 20 lits supplémentaires et la création de 15 emplois sur le pool de remplacement », écrit le syndicat Sud Santé de l'hôpital Guillaume Régnier.

Le 10 octobre dernier, le SPH avait appelé à une grève nationale dans les hôpitaux psychiatriques pour lutter contre la pénurie de moyens. Et en avril dernier déjà, des praticiens hospitaliers du centre hospitalier de Montfavet, près d'Avignon, s’étaient associés à des collègues exerçant à Rennes, à Lyon, dans la Somme, le Cher et la Gironde pour déclencher une grève.

Des conflits sociaux qui permettent d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la catastrophe annoncée de la psychiatrie. Et parfois, de remédier à une situation sans espoir. Il en va ainsi des grévistes du service de pédopsychiatrie du CHU de Toulouse. Au bout de seize jours de grève totale, le service a obtenu cinq postes de plus, l'assurance que chaque poste sera remplacé, et que le service ne pourra comporter moins de 21 ETP (équivalent temps plein).

Crise identitaire, dérive sécuritaire

Si la psychiatrie ne connaissait guère qu'une crise financière et managériale... Mais celle-ci se double d'une crise identitaire. Car si l’épisode de la chasse aux étrangers sans-papiers dans les établissements psychiatriques a trouvé une fin heureuse, il n’en reste pas moins que la psychiatrie fait face à une approche sécuritaire. Pour rappel, l’ARS Paca avait demandé, via une circulaire publiée début janvier, que l’on organise, dans les hôpitaux psychiatriques de cette région, un repérage des étrangers sans-papiers hospitalisés sous contrainte, pour leur signifier leur reconduite à la frontière, après leur hospitalisation. Il a fallu l’intervention de la ministre de la Santé pour mettre un terme à cette initiative. « Sans l’intervention de la ministre de la santé, nous aurions pu assister à une multiplication de ce genre d’initiatives », témoigne le Dr Michel David, vice-président du syndicat des psychiatres des hôpitaux, président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). Cette confusion entretenue par le pouvoir entre psychiatrie et mesures sécuritaires remonte, selon le syndicat des psychiatres des hôpitaux à la loi de 2011 : « De telles instructions mettent fin à l'illusion que la loi de 2011 serait bien la loi sanitaire équilibrée comme l'ont vanté les réformateurs, ce que dément l'intervention des préfets dans les décisions de sortie des patients ». Entre temps, la vague d'attentats qui a secoué la France, notamment à Paris en 2015 et Nice en 2016, a incité le tout nouveau ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, à proposer aux psychiatres de repérer, parmi leurs patients, des terroristes en devenir... Lesquels psychiatres lui avaient opposé une fin de non-recevoir.

Perte de sens

Quand la psychiatrie est en crise, tout le monde est perdant. Tant les patients, qui ne bénéficient plus de l’attention et de la subtilité de l’approche qu’ils mériteraient d’avoir que les professionnels de santé qui n’ont plus le sentiment d’aider les patients comme ils le devraient…Dans ces conditions, une perte de sens - de ce que devrait être leur métier - est à craindre.

En réponse à ce profond désarroi, Agnès Buzyn a débloqué fin 2017 une enveloppe exceptionnelle de 44 millions d'euros à l'échelle nationale et travaille sur une feuille de route pour cette spécialité en danger...Cela sera-t-il suffisant ?

 

 

 

 

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