Eskétamine intranasale : un premier essai positif dans la dépression résistante

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

9 janvier 2018

Titusville, Etats-Unis -- Alors que près d’un tiers des patients souffrant de dépression sont résistants aux antidépresseurs, la recherche de nouveaux traitements est une priorité. La kétamine, un antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA), administrée par voie intraveineuse fait partie des pistes thérapeutiques intéressantes de par son effet antidépresseur important et rapide. Toutefois, son mode d’administration ne permet pas une utilisation directe par les patients.

Dans un nouvel essai, le Dr Ella Daly et coll. (Janssen Research & Development, Titusville, Etats-Unis) ont évalué, pour la première fois, le rapport bénéfice-risque d’un énantiomère de la kétamine, l’eskétamine, administré, cette fois, par voie intranasale chez 67 patients résistants aux antidépresseurs classiques.

Les résultats publiés dans le JAMA Psychiatry[1], sont encourageants : l’effet antidépresseur est rapide, persistant et la tolérance acceptable.

« Cette étude a un intérêt considérable principalement pour deux raisons. La première est que les résultats montrent que l’eskétamine a un effet significatif sur les symptômes dépressifs après seulement une semaine de traitement (deux administrations par semaine), ce qui est substantiellement plus rapide qu’avec les autres traitements […] Le second aspect nouveau de l’étude est l’utilisation de la délivrance intranasale, qui est de plus en plus étudiée en psychiatrie », ont commenté les Prs Daniel Quitana, Nils Eiel Steen et Ole Andreassen (hôpital universitaire d’Oslo & institut de médecine clinique, Université d’Oslo, Norvège) dans un éditorial accompagnant l’article [2].

Ils ajoutent, toutefois, « qu’étant donné le stade précoce des recherches sur l’eskétamine comme traitement de la dépression, il faut rester prudent ».

 
Etant donné le stade précoce des recherches sur l’eskétamine comme traitement de la dépression, il faut rester prudent.
 

Un petit essai sur 67 patients triés sur le volet

Dans cet essai de phase 2, multicentrique et réalisé en double aveugle, 67 patients dépressifs résistants aux traitements ont été randomisés pour recevoir soit de l’eskétamine aux doses de 28, 56 ou 84 mg deux fois par semaine, soit un placebo en plus de leurs antidépresseurs habituels.

L’essai s’est déroulé en 4 phases :

-la sélection des patients (au final, 67 patients inclus sur 126) ;

-le traitement en double aveugle ;

-une phase en ouvert du 15ème au 74ème jours (2,5 mois) ou la fréquence des traitements a été abaissée à une fois par semaine puis une fois toutes les deux semaines ;

-une phase de suivi de près de 2 mois.

Lors de la phase de sélection des patients, plusieurs critères d’exclusion ont été pris en compte, notamment : les tentatives de suicide, idées et comportements suicidaires, les troubles bipolaires, le déficit intellectuel, les troubles psychotiques, les troubles dépressifs avec psychose, les syndromes post-traumatiques, les TOC, les problèmes d’alcool ou de drogues au cours de la dernière année et l’utilisation récente de cannabis.

Des résultats rapides et persistants

Parmi les 67 participants inclus dans l’analyse (38 femmes, âge moyen 44,7 ans), l’amélioration des symptômes dépressifs selon l’échelle de Montgomery-Asberg était plus importante pour les 3 groupes recevant de l’eskétamine versus le placebo (eskétamine 28 mg : -4,2 [2,09], p=0,02 : 56 mg : -6,3 [2,07], p=0,001 ; 84 mg : -9,0 [2,13], p<0,001), avec une relation dose-réponse significative (p<0,001). La réponse était rapide (dès la première semaine de traitement) et augmentait avec la répétition des doses.

En outre, les effets antidépresseurs étaient maintenus (-7,2 [1,84]) en dépit de l’espacement des doses pendant la phase ouverte de l’étude et pendant la phase de suivi.

Des symptômes dissociatifs transitoires fréquents

Pour ce qui est de la tolérance au traitement, les chercheurs indiquent que 3 des 56 patients qui ont reçu l’eskétamine pendant la phase de double aveugle (5%) et 1 des 57 patients qui ont reçu l’eskétamine pendant la phase en ouvert (2%) ont eu des effets secondaires qui les ont conduits à arrêter l’essai (un événement chacun : syncope, maux de tête, syndrome dissociatif, et grossesse ectopique).

Aussi, une élévation transitoire de la pression artérielle après l’administration de l’eskétamine a pu être observée, confirmant les observations d’autres travaux.

Pendant la phase de traitement en double aveugle, les trois effets secondaires les plus fréquents chez les patients recevant l’eskétamine étaient : les vertiges, les maux de tête et les symptômes dissociatifs. Ils étaient deux fois plus fréquents que dans le groupe placebo.

Pendant la phase en ouvert, les mêmes EI ont été observés et 25 % des patients qui ont reçu l’eskétamine ont eu des symptômes dissociatifs transitoires.

Concernant le risque de psychoses, les résultats semblent rassurants chez ce petit nombre de patients sans facteurs de risque. Sachant que l’eskétamine est un modèle expérimental de schizophrénie. A des doses sub-anesthésiques, elle reproduit non seulement les symptômes positifs, mais aussi cognitifs et négatifs de la schizophrénie.

Pour les éditorialistes, « il est rassurant de voir qu’il n’y a pas de symptômes psychotiques observés dans l’essai ». Toutefois, ils rappellent que les patients souffrant de troubles psychotiques ou de dépressions accompagnées de psychoses ont été exclus de l’étude. Et, ils soulignent que « les symptômes dissociatifs sont fréquents et qu’ils devront faire l’objet d’une évaluation particulière avant d’envisager une utilisation dans la pratique quotidienne ».

En parallèle, les Drs Quintana, Eiel Steen et Andreassen précisent que les effets secondaires sur le long terme et les risques d’addiction devront être évalués dans de prochains travaux.

Pour Daly et coll., ces premiers résultats sur l’eskétamine intranasale dans la dépression résistante encouragent à poursuivre les recherches. Ils indiquent d’ailleurs, qu’une étude de phase 3 évaluant la fréquence nécessaire des administrations et la durée de l’efficacité est en cours.

 

 
Les symptômes dissociatifs sont fréquents et devront faire l’objet d’une évaluation particulière avant d’envisager une utilisation – Les éditorialistes
 

 

L’étude a été financée par Janssen Research & Development. Le Dr Andreassen a reçu des honoraires de Lundbeck.

Les Drs Quintana and Andreassen sont coinventeurs d’un brevet d’application pour un dispositif de délivrance d’oxytocine intranasale (application No. US 14/946,389).

 

 

 

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