Washington, Etats-Unis — Le bénéfice potentiel des statines en prévention de la maladie d’Alzheimer est remis en question dans une nouvelle étude canadienne, portant sur plus de 450 000 patients. Les résultats rapportent même un léger sur-risque avec les statines liposolubles, en particulier avec la simvastatine [1.]
Les différences constatées d’une molécule à l’autre ne semblent pas pour autant suffisantes pour justifier un changement de pratique. « Les répercussions sur le risque de maladie d’Alzheimer ne devraient pas être prises en compte au moment de choisir une statine », estiment les auteurs.
Des études contradictoires
Plusieurs études ont souligné l’effet protecteur des statines contre la maladie d’Alzheimer, dont le développement est aussi lié à des facteurs de risque d’origine vasculaire. L’une d’entre elles a rapporté une baisse du risque de 12 à 15% chez les patients traités pendant au moins deux ans par ces médicaments anticholestérol [2], parmi lesquels figure la simvastatine.
Une méta-analyse a également inclus les statines dans la liste des facteurs protecteurs contre la maladie d’Alzheimer, avec les oestrogènes, les antihypertenseurs ou les AINS [3]. En agissant sur le niveau de cholestérol, ces médicaments auraient un effet limitant sur la formation des plaques beta-amyloïdes responsables de la maladie.
Les résultats concernant ce potentiel bénéfice s’avèrent toutefois contradictoires. « Les données proviennent généralement d’études observationnelles, qui comportent des problèmes de méthodologie », commentent les auteurs. Au final, « on ne sait pas vraiment si ces molécules ont un effet positif ou négatif sur la mémoire et la maladie d’Alzheimer ».
Dans cette nouvelle étude, le Dr Paul Brassard (Université de McGill, Montréal, Canada) et ses collègues n’ont pas cherché à évaluer l’effet global des statines sur le risque de développer la maladie, mais plutôt à déterminer si le risque associé est variable d’une molécule à l’autre.
D’origine naturelle ou synthétique
Parmi les statines, on distingue celles développées à partir de composés naturels produits par des champignons. Il s’agit de la mevastatine et de la lovastatine (non commercialisées en France). Viennent ensuite les dérivés de la lovastatine (simvastatine et pravastatine) et ceux, totalement synthétiques, de la mévastatine (atorvastatine, fluvastatine, pitavastatine, rosuvastatine).
Les chercheurs ont établi plusieurs catégories, selon l’origine, le caractère liposoluble et la dose utilisée. Ils ont notamment distingué les statines les plus proches des composés naturels des champignons de celles dites synthétiques, qui en sont dérivées.
En ce qui concerne les propriétés pharmacocinétiques, la pravastatine et la rosuvastatine sont hydrosolubles, tandis que l’atorvastatine et la fluvastatine sont en partie liposolubles. Les statines les plus liposolubles sont la lovastatine et la simvastatine.
Plus les statines sont liposolubles plus elles sont susceptibles de traverser la barrière hémato-encéphalique et de s’accumuler dans le système nerveux. Ce qui expliquerait l’effet neuroprotecteur que certaines études ont associé à cette catégorie de statines.
18% de risque en plus
L’analyse porte sur des données cliniques extraites de la UK Clinical Practice Research Datalink. Au total, elles concernent 465 085 patients âgés de 60 ans, ayant eu une prescription de statine entre 1994 et 2012 et suivis jusqu’en 2015.
Les statines prescrites étaient la simvastatine (75% des patients), l’atorvastatine (23%), la pravastatine (2%), la rosuvastatine (2%) et la fluvastatine (1%).
En 18 ans, 7 669 patients ont développé une maladie d’Alzheimer, soit un taux d’incidence de 2,65 cas pour 1 000 personnes-années.
Les résultats montrent que les statines les plus liposolubles (atorvastatine, fluvastatine et simvastatine) sont, contrairement à ce qui était attendu, associées à un sur-risque de 18% de développer la maladie (HR=1,18, IC à 95%, [1.09–1.27]), comparativement aux autres statines hydrosolubles (pravastatine et rosuvastatine).
En prenant en compte l’origine des molécules, les statines les moins synthétiques (simvastatine et pravastatine) sont les plus à risque, mais la hausse est très légère (HR=1,09, IC à 95%, [1,03-1,15]). Par contre, il n’y a pas de différence significative en considérant uniquement la dose utilisée.
La simvastatine seule en cause ?
En se focalisant sur chacune des statines, la simvastatine se démarque et apparait comme la molécule associée au risque le plus élevé de développer la maladie (HR=1.12, IC à 95%, 1.06–1.18). Les auteurs précisent toutefois que ce sur-risque est variable selon la durée d’exposition.
« Les légères variations de risque de maladie d’Alzheimer associés aux différentes caractéristiques des statines devraient faire l’objet d’une évaluation dans les prochaines études visant à explorer leur potentiel effet neuroprotecteur », ont-ils conclu.
Dans un éditorial accompagnant la publication, le Dr Sevil Yasar (Johns Hopkins School of Medicine, Baltimore, Etats-Unis) et le Pr Rachel Whitmer (Université de Californie, San Francisco, Etats-Unis) ont à leur tour souligné les contradictions soulevées par les diverses études [4].
Si la Food and Drug Administration (FDA) a demandé, en 2012, à ce que soit mentionné dans les boites de statines le risque potentiel d’effets indésirables sur les fonctions cognitifs, ils rappellent qu’une méta-analyse plus récente n’a trouvé aucune répercussion des hypolipémiants sur la fonction cognitive.
Selon eux, « les résultats de cette étude s’expliquent probablement par l’effet de la simvastatine », la seule à augmenter réellement le risque. La capacité de cette molécule à passer aisément la barrière hémato-encéphalique serait l’une des raisons principales, avancent-ils.
De nombreuses questions restent toutefois en suspend et il convient de poursuivre les recherches, en comparant idéalement avec d’autres types d’hypolipémiants, ajoutent-ils. Quoi qu’il en soit, « les données ne sont pas suffisantes pour sélectionner les statines en se basant sur le risque associé de maladie d’Alzheimer ».
Le Dr Paul Brassard n’a pas déclaré de liens d’intérêt. |
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Citer cet article: Certaines statines associées à un léger sur-risque de maladie d’Alzheimer - Medscape - 8 janv 2018.
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