Washington, Etats-Unis — L’American College of Cardiology (ACC) a publié un consensus d’experts sur la prise en charge d’un saignement majeur survenant chez des patients traités par anticoagulants oraux directs (AOD). Six algorithmes ont été générés pour aider les cliniciens à décider de la marche à suivre.
Ce consensus a été publié dans le Journal of the American College of Cardiology[1]. Il vient compléter celui émis en début d’année, consacré à la gestion péri-procédurale des anticoagulants chez les patients avec fibrillation atriale (FA) non valvulaire [2].
« L’objectif est d’apporter un cadre simple d’application et clairement référencé pour guider les praticiens dans la prise en charge des complications hémorragiques sous thérapie anticoagulante », souligne le responsable du comité d’écriture, le Dr Gordon Tomaselli (Johns Hopkins School of Medicine, Baltimore, Etats-Unis).
« Approche plus structurée »
« Le document aide à évaluer le niveau de gravité des saignements, à comprendre les modalités d’usage des antidotes et permet de savoir quand et comment reprendre les anticoagulants », a précisé le Dr Roxana Mehran (Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, Etats-Unis), membre du comité d’écriture, auprès de l’édition internationale de Medscape.
Il aborde également la question de l’évaluation de l’activité des anticoagulants en situation d’urgence. « Nous avons longuement discuté des conditions d’analyse en laboratoire, selon la disponibilité des tests, pour savoir ce qu’il est possible de faire ou non », a ajouté le Dr Mehran.
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Pierre Albaladejo (CHU de Grenoble), président du Groupe d’intérêt en hémostase préopératoire (GIHP), a souligné l’intérêt de ces nouvelles recommandations, qui marquent « une tendance vers une approche plus structurée de la prise en charge des saignements ».
Le consensus porte sur la prise en charge des saignements survenant sous dabigagatran (Pradaxa®), rivaroxaban (Xarelto®), apixaban (Eliquis®) ou edoxaban (Savaysa®) et également sous l’anti-vitamine K warfarine, quelle que soit l’indication justifiant la prise d’anticoagulant, y compris en cas de FA sans prothèse valvulaire ou de maladie veineuse thrombo-embolique.
Classification des saignements simplifiée
La classification des saignements y est simplifiée. Une hémorragie est considérée comme majeure lorsque « le saignement est associé à une conséquence hémodynamique, survient sur un site anatomique critique, nécessite une transfusion (>2 unités de concentrés de globules rouges) ou induit une chute de l’hémoglobine ≥2 g/dL ».
Les hémorragies ne rentrant pas dans ces critères sont considérées comme « non majeures », ce qui n’exclut pas pour autant une intervention spécifique. « L’évaluation du degré de sévérité de l’hémorragie est fondamentale au moment de décider du traitement nécessaire au maintien de l’hémostase et de la fonction des organes », précisent les auteurs.
Selon le Pr Albaladejo, « il est intéressant de souligner que les hémorragies digestives ne sont pas considérées comme survenant sur un site critique. En les classant comme potentiellement non majeures, on limite ainsi les arrêts intempestifs de traitement et le recours systématique aux antidotes ».
« C’est un aspect important car les hémorragies digestives sont majoritaires sous AOD et une réversion de l’effet anticoagulant peut s’avérer inutile ». Selon l’observatoire français GIHP-NACO, qui s’est donné pour mission de colliger les cas d’hospitalisation pour saignement majeur chez les patients traités par AOD, les hémorragies sont digestives dans 37% des saignements spontanés sous AOD colligés.
Mesure de l’activité anticoagulante
Le groupe d’experts de l’ACC s’est également prononcé sur les différents tests permettant de mesurer au mieux l’activité anticoagulante des médicaments, « une étape clé dans l’évaluation de l’état clinique des patients sous anticoagulant présentant une hémorragie significative ».
Tout d’abord, « le temps de prothrombine (TP) et/ou le temps partiel de tromboplastine (aPTT) doivent être demandés pour tous les patients ». Chez ceux sous anti-vitamine K, il est recommandé d’exprimer les résultats de la vitesse de coagulation en INR (International Normalised Ratio), utilisé comme référence dans la prise en charge.
Dans le cas des AOD, l’évaluation de la coagulation est « plus complexe », la fiabilité des tests de routine, comme le TP ou l’aPTT, étant altérée sous l’effet de ces anticoagulants. Pour mesurer l’activité du dabigatran, les « meilleurs tests » sont le temps de thrombine dilué, le temps d’écarine (ECT) et le dosage de l’écarine par la méthode chromogène.
S’il n’est pas possible d’y accéder, il est suggéré d’utiliser le temps de thrombine (TT) et l’aPTT pour une évaluation qualitative. « Le TT présente une grande sensibilité au dabigatran, même en cas de très faible concentration. Ainsi, pour un TT normal, un effet anticoagulant cliniquement relevant du dabigatran peut être exclu. »
En ce qui concerne le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, les experts préconisent l’utilisation de tests chromogéniques anti-Xa. Ceux-ci n’étant pas toujours disponibles dans les centres, ils proposent une démarche à suivre et des interprétations de résultats, sous forme de tableau, en tenant compte des possibilités d’accès à ces techniques de dosage.
Conditions d’usage des antidotes
Les auteurs poursuivent en expliquant dans le détail les mesures à suivre pour prendre en charge une hémorragie, qu’elle soit majeure ou non, avant d’évoquer la question des antidotes. Il convient, selon eux, d’y avoir recours « lorsque le saignement met en jeu le pronostic vital, survient dans une zone critique, ou ne peut pas être contrôlé ».
Parmi les différentes stratégies citées pour inhiber l’effet des anticoagulants, on retrouve celles utilisant du concentré de complexe prothrombotique (CCP), du plasma, de la vitamine K ou encore de l’idarucizumab (Plaxbind®, BI), un fragment d’anticorps humanisé visant le dabigatran, et des inhibiteurs de facteurs Xa.
Pour le Pr Albaladejo, les recommandations sur les antidotes révèlent quelques incohérences, par rapport à la pratique française. « Des doses de PPSB à 25 à 50 unités/ kg pour stopper l’effet des antivitamines K me paraissent très élevées et le plasma n’est plus utilisé en France dans cette indication ».
Mieux vaut, selon lui, se reporter vers les recommandations de 2008 de la Haute autorité de santé (HAS) pour la prise en charge des surdosages en antivitamine K. En revanche, en ce qui concerne celles sur les antidotes des AOD, elles se rapprochent des recommandations du GIHP.
Impliquer le patient
Une fois que l’état du patient est stabilisé, la reprise du traitement par anticoagulant peut être envisagée. L’un des algorithmes pose ainsi plusieurs conditions pour savoir s’il est recommandé de reprendre ou de retarder la mise sous anticoagulant. « Dans la plupart des cas, il reste bénéfique de relancer le traitement par AOD après une hémorragie », précisent les experts.
Toutefois, ils insistent sur la nécessité d’impliquer le patient dans la prise de décision, en listant les sujets à aborder. « Les échanges doivent intégrer le risque de saignement lié à une reprise des anticoagulants (…), ainsi que l’impact sur les événements thrombotiques et le risque de décès en l’absence de traitement ».
Le groupe de travail évoque également les médicaments qui interagissent avec les anticoagulants, entrainant une majoration du risque hémorragique. Sont notamment cités les antiplaquettaires (aspirine, clopidogrel, prasugrel, ticagrelor, cangrelor) et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
« Dans l’ensemble, ces recommandations restent assez classiques et essentiellement portées sur la prévention du risque cardiovasculaire. La partie concernant les conditions de maintien ou de reprise du traitement par anticoagulant est la plus originale », estime le Pr Albaladejo.
« Si elles sont convergentes et cohérentes par rapport aux recommandations françaises, elles représentent une vision très américaine, pas toujours adaptée à notre pratique », ajoute-t-il. Elles ont au moins le mérite d’éveiller l’intérêt vis-à-vis des saignements sous antithrombotiques ».
« Pour améliorer les recommandations, il faudrait davantage d’études cliniques afin de renforcer une littérature encore limitée sur le sujet. On pourrait, par exemple, affiner la prise en charge des hémorragies digestives, en tenant compte du profil des patients ».
Le Dr Gordon Tomaselli n’a pas déclaré de liens d’intérêt.
Le Dr Roxana Mehran a été consultante pour Janssen Pharmaceuticals et a reçu des fonds de recherche d'AstraZeneca, Bristol Myers Squibb et CSL Behring. Le Pr Pierre Albaladejo a déclaré des liens avec Bayer, Pfizer, SANOFI, Boehringer Ingelheim et Portola Les liens des autres auteurs sont listés dans le document. |
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Citer cet article: Nouveau consensus américain sur la gestion des hémorragies sous AOD - Medscape - 25 déc 2017.
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