Caen, France – Le cerveau de personnes de plus de 65 ans pratiquant la méditation de façon intense et depuis plus de 10 ans diffère de celui de sujets contrôle du même âge. Les différences affectent des zones spécifiques, sensibles aux effets de l’âge et impliquées dans la régulation des émotions. Ces différences de volume et de fonctionnement sont en faveur d’une meilleure résistance au vieillissement chez ces très grands « méditants », à l’instar du moine bouddhiste Matthieu Ricard, co-signataire de la publication [1]. Les auteurs font l’hypothèse qu’en permettant une réduction du stress, de l’anxiété, des émotions négatives et des problèmes de sommeil, la méditation aurait un effet positif sur le vieillissement. Publiée dans Scientific reports, cette étude en préfigure une de plus grande ampleur qui va tester et comparer les bienfaits de la méditation et de l’apprentissage d’une langue sur le bien-être et la santé mentale des seniors de la région de Caen.
Quid de l’effet de la méditation sur le vieillissement ?
Le vieillissement est associé à un certain nombre de modifications au niveau du cerveau, se traduisant notamment par une diminution des volumes cérébraux et du métabolisme dans certaines zones. Ces changements structuraux et de fonctionnement s’accompagnent d’un déclin des performances cognitives, et sont associés à une augmentation de la fréquence des démences. « Mais on sait que l’on peut réduire les risques » a affirmé Gaël Chételat, chercheuse Inserm et première auteur de la publication, lors d’une conférence de presse.
Certains facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer comme le diabète, l’hypertension, l'obésité, le manque d'activité physique, le tabac, la dépression et un faible niveau d'éducation sont, en effet, modifiables. D’ailleurs, faire travailler son cerveau et ses muscles sont deux moyens synergiques pour lutter contre la dégradation des capacités cognitives liées à l'âge. Alors quid de la méditation qui présente l’avantage d’agir positivement sur l’attention, la mémoire, mais réduit aussi le stress, l’anxiété, l’insomnie, le sentiment de solitude et d’exclusion, de même que le risque cardiovasculaire? La pratique serait-elle, de fait, susceptible d’influer le vieillissement cérébral en le retardant?
6 super-méditants
Pour le savoir, la chercheuse et son équipe ont mené une étude pilote où ils ont étudié le cerveau de 6 personnes pratiquant la méditation à « haute dose ». Ces « super-méditants » étaient âgés de plus de 65 ans et avaient entre 15 000 et 30 000 heures de méditation bouddhique (zen, tibétaine, vipassana) derrière eux. « Cela suppose plus de 10 années de pratique, notamment lors de retraites longues, avec des méditations quotidiennes » précise la chercheuse. « Nous avons comparé leurs cerveaux à celui de 67 témoins non-méditants eux aussi âgés en moyenne de 65 ans et avons aussi inclus un groupe de 186 personnes âgées de 20 à 87 ans pour évaluer à la fois les effets de la méditation et ceux du vieillissement ».
Des modifications dans les zones "sensibles"
L’ensemble des participants a été soumis à des examens neurologiques (IRM et TEP) au sein de la plateforme d’imagerie Cyceron à Caen. En bref, des différences significatives ont été mises en évidence à la fois du point de vue anatomique et fonctionnel, en termes de volume de matière grise et de métabolisme du glucose. Dans le détail, les experts en méditation ont montré des valeurs plus élevées pour ces deux paramètres que les contrôles âgés, et ce, même lorsque les différences de niveau d’éducation ou de style de vie étaient prises en compte. Ces différences ont été retrouvées dans certaines zones cérébrales en particulier, à savoir la jonction temporo-pariétale et le cortex préfrontal ventro-médian et cingulaire, de même que dans l’insula (surtout d’un point de vue fonctionnel pour cette dernière).
Fait intéressant, « les régions qui étaient le plus préservées chez les méditants sont celles qui ont tendance à décliner au cours du vieillissement chez les non-méditants ». Autre observation : « l’augmentation de volume et de métabolisme est aussi observée dans des régions cérébrales que l’on sait impliquées dans la conscience introspective, la conscience de son propre corps, la respiration, le rythme cardiaque, la perception de la douleur mais aussi dans la régulation des émotions, les processus attentionnels et de contrôle, de même que l’empathie ».
Autrement dit, « on retrouve des modifications dans les zones qui sont à la fois sensibles aux effets de l’âge et impliquées dans le contrôle émotionnel » résume Gaël Chételat.
Conférer une réserve cérébrale
Pour les auteurs, ces résultats indiquent que « la méditation pourrait préserver le cerveau des effets délétères de l’âge sur le volume cérébral et le métabolisme du glucose et conférer une réserve cérébrale permettant d’améliorer les performances cognitives et de réduire les risques de développer une maladie d’Alzheimer et/ou retarder son apparition ». A ce stade le mécanisme d’action reste méconnu bien que plusieurs pistes aient été évoquées (voir encadré). Les chercheurs avancent néanmoins l’hypothèse d’un effet possible de la méditation via la réduction du stress, de l’anxiété, des émotions négatives et des problèmes de sommeil qui ont tendance à s’accentuer avec l’âge.
Elargir les investigations sur le bien vieillir
Néanmoins nul besoin de devenir moine bouddhiste pour tenter d’échapper au déclin cognitif et/ou à la maladie d’Alzheimer. Car outre la méditation (y compris à faible dose), beaucoup d’autres occupations intellectuelles faisant appel à la créativité, à l’apprentissage, à l’entrainement cérébral et à l’écoute de la musique, de même que l’activité physique et l’alimentation (notamment le régime méditerranéen) ont montré leur impact bénéfique sur le vieillissement cérébral.
L’équipe de chercheurs de Caen compte d’ailleurs élargir ses investigations sur le bien vieillir en testant des interventions plus accessibles à l’ensemble de la population, comme par exemple l’apprentissage de l’anglais ou la pratique régulière (mais non intensive) de la méditation. Plusieurs études sont en cours à Caen sous la houlette de Gaël Chételat dans le cadre du projet européen Silver Study. Matthieu Ricard, super-méditant et biologiste de formation, est ambassadeur du projet (voir sa vidéo de présentation ici).
Etudes sur méditation et vieillissement : la liste ne cesse de s’allonger
Si, comme le font remarquer les auteurs, cette étude est la première à utiliser l’imagerie par TEP avec du glucose radiomarqué dans une étude sur la méditation, ce n’est toutefois pas la seule à s’intéresser aux liens entre méditation et avancée en âge, notamment en regardant le cerveau des pratiquants de longue date [2] .
Parmi les mécanismes du vieillissement possibles, les chercheurs ont regardé du côté des télomères qui connaitraient un moindre raccourcissement après une période de méditation intense (lors d’une retraite de 3 semaines, par exemple) [3]. L’effet bénéfique sur le stress et sur ses médiateurs hormonaux (notamment le cortisol) est aussi étudié [4]. Enfin, il y a 3 mois, l’American Heart Association a, pour la première fois, listé les études qui se sont penchées sur les effets de la méditation en regard du risque cardiaque. Sans aller jusqu’à émettre une recommandation en faveur de la pratique méditative, les experts ont souligné des résultats très encourageants [5]. Toutes ces options ne sont bien sûr pas exclusives l'une de l'autre.
Crédit photo : Matthieu Ricard par Jon Schmidt, sous licence CC BY-SA 4.0
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Citer cet article: La méditation à « haute dose » protège le cerveau du vieillissement - Medscape - 8 déc 2017.
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