Londres, Royaume-Uni – En donnant une personnalité virtuelle, sous la forme d’un avatar, aux “voix” entendues par les patients souffrant de schizophrènie, une équipe de chercheurs londoniens obtient une réduction de la sévérité des hallucinations auditives à 12 semaines de traitement versus intervention psycho-sociale (type counseling, de soutien) plus classique [1]. Après un premier essai pilote prometteur paru en 2013 [2], Tom Graig (King’s College, Londres) et ses collègues confirment l’intérêt de cette approche novatrice dans un essai contrôlé et randomisé de 150 patients.
« Une très belle étude, commente le Pr Delphine Capdevielle, psychiatre (Hôpital La Colombière et Inserm U1061, Montpellier) et chercheur impliqué dans le projet AlterEgo (voir l’article Schizophrénie : quand les avatars deviennent co-thérapeutes). L’idée d’utiliser les avatars pour personnaliser l’hallucination auditive afin de mieux la contrôler, la rendre moins effrayante, est très pertinente et montre bien tous ce que ces outils vont pouvoir nous apporter de novateur dans la prise en charge des patients. » Les résultats viennent d’être publiés dans le Lancet Psychiatry [1].

Mettre le patient face à la « voix »
Les nouvelles technologies s’emparent du champ de la psychiatrie. Après le psy virtuel et les objets connectés (voire même, l’antipsychotique connecté), voici l’interaction face-face avec la représentation digitalisée (avatar) d’une hallucination. L’idée a émergé il y a une petite dizaine d’années chez des chercheurs anglais. En partant du principe que les patients qui souffrent de schizophrénie ont l’habitude de personnifier les « voix » qu’ils entendent au point de leur donner un visage, un caractère, une tonalité et un genre, les chercheurs ont élaboré pour chacun un avatar qui soit la représentation virtuelle de la voix (ou d’une des voix quand il y en a plusieurs) occupant leur esprit. S’en suit un dialogue où le psychiatre s’entretient avec le patient soit directement en tant que thérapeute, soit au travers de l’avatar. L’idée étant que le patient qui souvent dénonce l’omniprésence ou l’omnipotence des hallucinations auditives reprenne peu à peu le pouvoir et le contrôle des voix qui le persécutent, au point, dans le meilleur des cas, de les faire taire. Pour mieux se rendre compte, voir ici la vidéo (en anglais) de l’équipe de chercheurs du King’s College qui illustre ce protocole et donne des exemples visuels d’avatars et d’interactions.
1 séance/semaine pendant 6 semaines
Dans un précédent travail, l’équipe de Tom Graig avait testé avec un certain succès cette approche sur 26 patients. Elle vient de renouveler ses travaux à une échelle beaucoup plus grande dans le cadre d’un essai randomisé en simple-aveugle ayant inclus 150 patients souffrant d’hallucinations auditives. Tous étaient sous antipsychotiques – et ont continué à les prendre pendant toute la durée de l’étude – mais ceux-ci n’étaient que peu ou pas efficaces sur les « voix ».
Les participants ont été répartis en deux groupes : l’un suivait la thérapie par avatar (n = 75), l’autre bénéficiait d’un counseling de soutien (n = 75). La thérapie par avatar a été donnée en un lieu unique, par des professionnels parfaitement formés, au rythme d’une séance de 50 minutes par semaine, durant lesquelles 10-15 minutes étaient consacrées à un face à face avec l’avatar (le thérapeute étant dans une pièce séparée mais relié au patient par vidéo pour suivre les échanges). Et ce, pendant 6 semaines. Les progrès d’une session à l’autre ont été évalués à chaque fois en demandant au patient de rapporter le niveau de malveillance et la fréquence des « voix ».
Dialogue évolutif où l’avatar perd peu à peu du terrain
Toutes les séances ont été enregistrées et une copie de l’enregistrement était remise au patient à la fin de chacune d’entre elles pour qu’il puisse l’écouter via un lecteur MP3, en particulier quand les voix revenaient. Pour décrire brièvement l’évolution du contenu des séances, les auteurs expliquent qu’au cours des premières, l’avatar (via le thérapeute) réutilisait les propos habituels (verbatim) de la « voix », et le thérapeute incitait alors le patient à y faire face en répondant qu’il n’est plus disposé à subir insultes et menaces de « sa » part. Dans un deuxième temps, le dialogue évoluait graduellement : l’avatar perdait peu à peu du terrain et reconnaissait les forces et les qualités du patient. Le dialogue faisant intervenir « un focus sur l’estime de soi et la reconnaissance des capacités et des atouts du patient » précisent les chercheurs.
Le groupe contrôle bénéficiait, lui, d’une thérapie de support délivrée par des psychologues diplômés entrainés à travailler dans un contexte de psychose, comprenant des jeux, l’écoute de musique mais aussi des conseils sur la qualité de vie, les problèmes d’identité et sur les traumatismes du passé.
Le rythme des séances était semblable dans les deux groupes d’intervention. Et pour une meilleure correspondance entre les protocoles des deux groupes, les patients repartaient avec un enregistrement MP3 comportant des messages positifs à écouter pendant la semaine.
Caractéristiques des patients
L’étude a inclus 150 patients dont une majorité d’hommes. La moyenne d’âge était de 42,7 ans (SD 10,7) et environ 40% des participants de chaque groupe appartenait à un groupe ethnique minoritaire. La pathologie était présente depuis 20,1 ans en moyenne. La plupart des patients (78%) ont dit entendre plusieurs voix différentes [3,6 en moyenne (SD 3,5), de 1 à >20], généralement d’origine humaine même si seul un tiers d’entre eux pensait connaitre la personne responsable.
Une amélioration significative dans le groupe avatar à 12 semaines
Les résultats montrent qu’à 12 semaines, une réduction des hallucinations auditives significativement plus importante a été observée avec la thérapie utilisant l’avatar par rapport au groupe counseling, comme l’a évalué le score PSYRATS-AH (différence moyenne -3,82, SE 1,47, [IC95% : -6,70 à -0,94], p= 0,009). Avec aussi une moindre fréquence des voix et moins de détresse. Neuf participants ont même rapporté l’absence d’hallucinations auditives pendant la semaine ayant précédée l’évaluation (7 du groupe avatar contre 2 dans le groupe conseil) et 14 ont mentionné leur disparition (8 du groupe avatar et 6 du groupe counseling) à la 24ème semaine.
A 12 semaines, la perception de l’omnipotence des voix – critère secondaire – était elle aussi réduite dans le groupe avatar.
A 24 semaines, un certain nombre d’améliorations était maintenu dans le groupe avatar. Mais le groupe « counseling » s’est lui aussi amélioré au point qu’il n’y avait plus de différence entre les deux groupes à ce moment-là de l’évaluation.
Enfin, si certains patients (3) se sont aggravés, ont été hospitalisés (12) ou ont connu des épisodes de violence (5), aucune auto-mutilation ou tentative de suicide n’a été enregistrée. Et aucun effet secondaire n’a été considéré comme étant lié à l’une ou l’autre des thérapies dans aucun des deux groupes par le comité d’experts indépendants qui a monitoré les données.
En conclusion, les auteurs confirment la faisabilité et l’acceptabilité de la méthode par avatar dont les résultats corroborent leurs hypothèses de départ, à savoir une efficacité clinique de la méthode et un effet maintenu à 12 semaines plus élevé que dans le groupe contrôle, et meilleur qu’attendu en termes d’effet taille. Ils notent aussi que leur thérapie fait mieux que ce que l’on retrouve dans une méta-analyse des interventions cognitivo-comportementales dans les psychoses [3]. De plus, cet effet a été positif sur l’omnipotence des voix et s’est maintenu à 24 semaines, même si, précisent-ils, la thérapie n’a pas eu d’impact sur le contenu malveillant de ces voix.
Penser les voix comme des entités ou des personnages
Dans un éditorial accompagnant l’article, Ben Alderson-Day (Durham) et Nev Jones (Tampa) reconnaissent l’intérêt de la méthode qui, « compte-tenu de l’ancienneté de l’existence des voix (plus de 20 ans en moyenne), ne doit pas être sous-estimée ». Ils considèrent même qu’utiliser un « avatar semble fournir une méthode puissante de personnification et d’externalisation d’un phénomène interne et intrusif ». Ils vont plus loin en essayant de comprendre en quoi cette thérapie est différente : le fait de « penser les voix comme des entités ou des personnages auxquels on peut s’intéresser – un concept qui a été découragé voire ignoré pendant des années dans les grands courants de pensée en psychiatrie – soulève une question-clé : qu’est-ce qui change avec cette méthode ? » Encourager le patient à dialoguer avec la voix, laquelle devient moins péremptoire et dominatrice avec le temps, diffère de la stratégie consistant à reconnaitre et à accepter les voix comme une réaction fonctionnelle à la détresse émotionnelle de l’individu, remarquent-ils. De plus, la visualisation de l’avatar peut transformer la voix en un objet plus facile à contrôler, remarquent-ils.
Un paradigme totalement différent
Et effectivement, « pendant longtemps on a lutté contre pour faire disparaitre et non pas accepter et faire en sorte qu’on puisse les contrôler, confirme le Pr Delphine Capdevielle. C’est donc un paradigme de prise en charge totalement différent d’arriver à penser qu’on ne va pas faire disparaitre les voix mais les prendre en charge pour qu’elles n’aient plus cette tonalité émotionnelle et anxiogène qui les rend si difficiles à supporter pour le patient. C’est le principe des thérapies cognitivo-comportementales. On ne recherche pas forcément la cause du trouble pour le soigner et qu’il disparaisse mais on se sert des forces du sujet pour contourner ce trouble et arriver à diminuer l’impact. Une stratégie qui montre aujourd’hui son efficacité et qui est rendue possible par la mise à disposition de nouveaux outils. »
Crédit photos : capture écran de la vidéo Avatar therapy for schizophrenia du kingscollegelondon |
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Citer cet article: Schizophrénie : créer un avatar pour mieux faire taire les « voix » - Medscape - 7 déc 2017.
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