POINT DE VUE

Chirurgie bariatrique : pourquoi tant de patients reprennent-ils du poids ?

Dr Boris Hansel, Dr Konstantinos Arapis

Auteurs et déclarations

1er décembre 2017

Enregistré le 20 novembre 2017, à Paris

10 ans après une chirurgie bariatrique, environ 20-50% des patients auront repris du poids. Comment expliquer ces échecs ? Boris Hansel (endocrinologue, diabétologue et nutritionniste) et Konstantinos Arapis (chirurgien) font le point sur les causes hormonales, métaboliques, anatomiques, chirurgicales et psychiatriques.

TRANSCRIPTION

Boris Hansel —  Bonjour et bienvenue dans cette émission consacrée à la chirurgie bariatrique et plus particulièrement à ses échecs. Vous le savez, la chirurgie bariatrique est le traitement de choix pour le traitement de l’obésité sévère ou de l’obésité massive quand les mesures hygiénodiététiques ne sont pas suffisantes. On opère chaque année plusieurs dizaines de milliers de patients en France par différentes techniques que sont la sleeve, le bypass ou, plus rarement maintenant, l’anneau gastrique. On sait que ces traitements sont efficaces, mais on sait également que dans un certain nombre de cas, plusieurs années après, les patients sont en échec. Alors, pour ce qui est des chiffres, on nous dit qu’entre 20 et 50 % des patients sont en échec 10 ans après l’intervention. Tout dépend des définitions. On va parler de ce problème des échecs, de leurs causes et de leur traitement avec le Dr Konstantinos Arapis. On se connaît bien, on travaille régulièrement ensemble. Tu es praticien hospitalier à l’hôpital Bichat, ce célèbre hôpital connu pour la chirurgie bariatrique — on vous rappelle qu’il y avait le Pr Jean-Pierre Marmuse qui est un des pionniers de la chirurgie bariatrique en France, pour ne pas dire LE pionnier…

Konstantinos Arapis — Oui. Et j’ai eu l’honneur d’être son élève pendant plus de 10 ans.

Boris Hansel —  On va donc parler des échecs de la chirurgie bariatrique. Ce qui interpelle quand on s’intéresse à ce sujet et quand on lit les publications scientifiques, c’est qu’il y a d’importantes variations dans la définition de ces échecs, et évidemment si on ne définit pas de la même manière ce qui est un échec, c’est difficile de comparer les chiffres que l’on a sur la fréquence de ces échecs d’une publication à l’autre.

Konstantinos Arapis — Oui, il y a deux groupes de malades : d’abord le groupe qui n’est jamais arrivé à perdre autant de poids qu’il fallait — c.-à-d. qui n’a pas atteint une perte de poids de plus de 50 % de l’excès pondéral.

Boris Hansel —  Donc d’emblée « ceux pour qui la chirurgie n’a pas été suffisamment efficace. »

Konstantinos Arapis — Exactement. Et l’autre groupe, ce sont les patients qui arrivent à avoir une perte de poids suffisante selon la bibliographie, mais qui, à la fin, avec le temps, reprennent tout ce poids qu’ils ont perdu.

Boris Hansel —  Même quand on regarde cette population de reprise de poids, on voit qu’il y a des définitions très différentes. On ne va pas entrer dans les détails parce qu’il y a presque autant de définitions que d’articles. On va se concentrer sur des cas concrets, pratiques, ceux des patients qu’on voit arriver et qui ont repris les kilos et qui redéveloppent des comorbidités. On va mettre de côté la situation de la perte de poids insuffisante, parce que quand on est face à ces patients, on se rend compte que dans la majorité des cas c’est la prise en charge médicale qui n’a pas été optimale avant l’opération ou qu’il y a eu un problème chirurgical, ou que l’indication opératoire n’était pas forcément la bonne.

Boris Hansel —  On va donc mettre de côté ces patients-là et on va parler davantage des patients qui ont été opérés dans des bonnes conditions, qui ont perdu du poids et qui en ont repris. Pourquoi peut-on reprendre du poids un an, deux ans, cinq ans après une chirurgie bariatrique ?

Konstantinos Arapis — Effectivement, dans la bibliographie l’étiologie de cette reprise de poids, on peut distinguer trois/quatre causes :

  1. un problème hormonal ou métabolique

  2. un problème de complications anatomiques ou chirurgicales

  3. une pathologie psychique qui soit n’était pas si claire avant, soit est apparue après l’opération.

1-Les causes métaboliques ou hormonales

Konstantinos Arapis — On sait très bien que les interventions bariatriques agissent sur l’équilibre hormonal. C’est le cas de la sleeve gastrectomie où avec l’ablation de tout le fundus, on diminue le taux de la ghréline dans le sang…

Boris Hansel —  La ghréline, c’est l’hormone orexigène (qui donne de l’appétit). Donc, quand on coupe les deux tiers de l’estomac avec la sleeve gastrectomie, on enlève la sécrétion de cette ghréline.

Konstantinos Arapis — On diminue en fait la plupart des cellules qui sécrètent cette hormone.

Boris Hansel —  Deux ou trois ans après, des patients nous demandent souvent « on m’a enlevé l’estomac, on m’a enlevé la ghréline, pourquoi est-ce que la ghréline réapparaît ? »

Konstantinos Arapis — On sait très bien que la nature, à la fin, s’adapte et qu’il arrive de retourner dans les conditions antérieures de conservation de l’énergie. Dans le cas du bypass par exemple (l’autre opération qui est assez souvent utilisée), on a une augmentation du peptide [PYY] ou de GLP-1, qui sont des hormones qui arrêtent l’appétit et qui peuvent, après deux ans, réapparaître.

Boris Hansel —  Donc là encore, il s’agit d’une adaptation de l’organisme — soit une hyperplasie de certaines cellules qui se mettent à re-sécréter des hormones, soit au contraire une sécrétion qui était augmentée puis qui a diminué au cours du temps pour des raisons qu’on ne comprend pas encore aujourd’hui…

Konstantinos Arapis — Effectivement.

Boris Hansel — Et il y a aussi un phénomène important dont on s’est rendu compte chez certains patients : c’est le problème des hypoglycémies. Parce qu’on sait que la chirurgie bariatrique, le bypass mais aussi parfois la sleeve gastrectomie, favorisent les hypoglycémies tardives — qu’on appelle parfois les dumpings tardifs après ces chirurgies bariatriques – et qui amènent les patients à ce « re-sucrer », soit pour faire face à un malaise, soit à manger du sucre un peu toute la journée pour éviter d’avoir ces malaises. Il a été décrit que ces hypoglycémies pouvaient favoriser la reprise de poids.

Konstantinos Arapis — Effectivement, c’est un syndrome qui est assez connu, qui s’appelle « hypoglycémie postprandiale post-chirurgie bariatrique ». La plupart de ces patients, sont en fait des patients qui ne suivent pas exactement les conseils diététiques, ou qui ne s’adaptent pas comme il faut au programme que leur fait le nutritionniste responsable ou la diététicienne.

Boris Hansel —  Donc, en pratique, dans cette première situation, tout va être fondé sur la diététique s’il y a des hypoglycémies. Par contre, si l’appétit est revenu parce que les hormones de la faim qui avaient diminué sont réapparues, là il n’y a pas grand-chose à faire. Alors, peut-être une chose : il y a une étude qui est sortie récemment, qui a parlé de l’intérêt des médicaments de l’obésité et, notamment, des médicaments qui diminuent l’appétit chez le patient qui a eu une chirurgie bariatrique — on peut se demander si ça a encore un intérêt — et il y a un bénéfice, justement, chez ces patients qui reprennent du poids à prendre, éventuellement, des médicaments qui réduisent l’appétit. Alors, en France on n’a pas aujourd’hui de médicaments autorisés sur le marché, mais sur le plan conceptuel, c’est intéressant de voir que ces médicaments peuvent être efficaces contre une réintervention qui est potentiellement dangereuse et qui peut aussi d’ailleurs ne pas être efficace. Deuxième catégorie de causes : les complications chirurgicales ou anatomiques à long terme.

2-Les complications chirurgicales ou anatomiques

Konstantinos Arapis — Oui, anatomique. Par exemple, on peut prendre la sleeve gastrectomie, où on peut avoir des dilatations du tube gastrique qui peuvent être soit primaires soit secondaires, on peut prendre le cas du bypass gastrique, où on peut avoir des dilatations de la poche gastrique, on peut avoir un élargissement de l’anastomose gastro-jéjunale, ou on peut même, dans des cas qui sont assez rares, avoir des fistules gastro-gastriques ce qui veut dire qu’on a une connexion entre la petite poche gastrique qu’on a créée avec l’estomac exclu. En fait, on a un rétablissement du circuit d’avant – parfois, la nature, effectivement, nous dépasse — et qui peut être aussi une cause d’une reprise de kilos.

Boris Hansel —  Donc, dans ces cas-là, l’attitude c’est quoi ? C’est de faire des examens d’imagerie… assez poussés, pour voir vraiment qu’il y a cette complication anatomique. Et il y a des gestes chirurgicaux spécifiques qui peuvent le régler ?

Konstantinos Arapis — Après on peut très facilement réintervenir. Effectivement, il faut que les patients soient bien préparés avant par une équipe multidisciplinaire, pour que la nouvelle intervention soit efficace.

Boris Hansel —  Et qui ne sera pas forcément un bypass ou une dérivation biliopancréatique, qui serait une opération compliquée… Là on agirait directement sur la cause de la reprise de poids ?

3-Les pathologies psychiques

Boris Hansel —  Dans les autres facteurs, il y a des pathologies psychiques. Alors là c’est important de le rappeler : bien sûr, les problèmes psychiatriques, dans certains cas, mais pas toujours, sont une contre-indication à la chirurgie bariatrique, d’où l’importance d’avoir une évaluation spécialisée psychiatrique qui parfois va nous dire « on peut opérer » (alors on pensait qu’on ne pourrait pas, mais on peut) et puis dans d’autres cas où on pense que c’était possible, le psychiatre va nous dire « non, tel petit trouble de l’humeur ou telle petite particularité de la personnalité fait qu’il ne faut pas opérer ». Donc on a une information en préopératoire. Mais parfois, tout allait bien en préopératoire et on déclenche des troubles de comportement alimentaire en postopératoire.

Konstantinos Arapis — Oui, exactement, après les interventions. Dans ces cas-là, il faut les remettre dans un traitement et un suivi psychiatrique, et parfois on peut réintervenir s’ils sont bien suivis et s’ils sont vraiment dans un endroit où tous ces problèmes peuvent être gérés.

Boris Hansel —  D’accord. Donc, ce qu’il faut bien retenir : il y a le déroulement classique qui est « anneau gastrique -> échec -> sleeve gastrectomie -> échec -> bypass -> échec -> dérivation biliopancréatique… » ; on commence à voir ce genre d’histoire assez fréquemment, comme si c’était un peu mécanique, un peu automatique de passer dans différentes phases d’interventions chirurgicales. Ce que tu nous dis, c’est qu’il ne faut pas de manière automatique découler ces différentes interventions.

Konstantinos Arapis — Exactement. Il faut chercher la cause de cette reprise de poids et adapter le traitement, de façon soit médicale, soit chirurgicale.

Boris Hansel —  Et est-ce qu’on peut dire dans quelle proportion des cas tu trouves, avec une analyse médico-chirurgicale poussée, une cause sur laquelle on va pouvoir agir d’une manière spécifique ?

Konstantinos Arapis — On observe à 10 ans des échecs dans 20 à 30 % des bypass et à 8 ans dans à peu près 30 % des sleeves. Sans 60 à 70 %, on peut vraiment avoir une cause qu’on peut traiter ou pour laquelle on peut intervenir chirurgicalement, sous réserve qu’il y a toujours autour une équipe multidisciplinaire qui peut vraiment les accompagner et gérer cette souffrance…

Boris Hansel —  Et en particulier qui analyse bien les facteurs de la reprise de poids.

Konstantinos Arapis — Effectivement.

Boris Hansel —  Merci beaucoup Konstantinos d’avoir été avec nous. Bien sûr, le but c’est d’éviter d’avoir ces échecs, donc appliquons les recommandations de la HAS pour tout ce qui est de la prise en charge médicale avant toute opération. Il faut toujours le rappeler — encore beaucoup de patients sont opérés un peu trop rapidement et pas forcément dans des conditions optimales. Mais comme on l’a vu, dans certains cas, même si tout est fait dans les règles de l’art, il y a reprise de poids. Et s’il y a reprise de poids, surtout ne pas aller trop facilement à la chirurgie suivante (comme je disais : anneau – sleeve – bypass), mais faire une bonne analyse de la situation pour faire le traitement spécifique, pour éviter d’avoir encore un second échec après une éventuelle réintervention. Merci beaucoup et à très bientôt sur Medscape.

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