Paris, France -- Les nouvelles recommandations américaines sur l’hypertension (HTA) [1], annoncées à grand effet de manche et assorties d'un nombre inhabituel de documents à l'intention des média, ont fait l'effet d'une bombe dans le monde des hypertensiologues (voir notre article). D'autant que les bases scientifiques avancées par les auteurs sont assez "discutables" comme nous l'a expliqué le Pr Xavier Girerd (voir notre interview).

Pr Jacques Blacher
Néanmoins, si l'on se place du point de vue de la santé publique, elles peuvent avoir un réel effet bénéfique sur le fléau que constituent les maladies cardiovasculaires aux Etats-Unis. Elles témoignent donc « d'une vision pragmatique – bien américaine – et tout à fait pertinente du problème » pour le Pr Jacques Blacher, hypertensiologue (CHU de l'Hôtel Dieu, Paris) que nous avons interrogé. Ses explications.
Epidémiologie, opportunisme et pragmatisme: on est en Amérique
Pour l'OMS, l'HTA est le premier "tueur" au monde. En outre, pour rappel, c'est un assassin embusqué. Nul signe clinique ne vient révéler une élévation tensionnelle sauf cas extrêmes. C'est pourquoi réduire le seuil de définition de l'HTA et, partant de là, la cible du traitement, semble, de prime abord, assez logique. C'est ce qui est déjà arrivé pour les autres facteurs de risque cardiovasculaires modifiables. Seuls les seuils tensionnels n'avaient pas été modifiés. Et ceci depuis les années 1980...
S’y ajoute le fait qu'une réduction de la pression artérielle (PA), au niveau populationnel, réduit plus le risque cardiovasculaire qu'un effort supplémentaire sur le sevrage tabagique, la normalisation des glycémies ou la réduction des taux de LDLc. Mais aussi qu’outre-Atlantique la lutte contre le tabagisme est en bonne voie, et qu'il en est de même de celle contre le cholestérol. Quand en revanche la bataille contre l'obésité et le diabète n'avance pas, pour ne pas dire qu'elle recule.
Résultat, vu l'épidémiologie des divers facteurs de risque d'HTA aux Etats-Unis, passer de 140/90 à 130/80 mm Hg pour définir l'HTA témoigne tout simplement d'une vision très pragmatique de la situation. Une vision qui devrait être tout à fait payante en termes de santé publique aux Etats-Unis. D'autant qu'il y a toujours, quel que soit le seuil, un important retard au diagnostic et à la prise en charge de l'HTA, aux Etats-Unis comme en France. Abaisser ce seuil permettra au moins de gagner quelques années. Enfin, pour rappel en terme de pression artérielle systolique (PAS) – cible tensionnelle dans la majorité des cas – dès les valeurs de 11,5 de PAS le risque cardiovasculaire croît. Le passage de 11,5 à 13,5 de PAS double le risque d'accidents cardiovasculaires et multiplie par ailleurs le risque rénal.
Plus d’Américains sous antihypertenseurs, vraiment ?
La nouvelle définition américaine de l'HTA distingue les HTA de grade 1 – PA entre 130/80 et 140/90 mm Hg – des HTA de grade 2 – au-delà de 140/90 mm Hg. Ce grade d'HTA conditionne les stratégies de prise en charge résumées dans un algorithme.
HTA de grade 1: prise en charge hygiéno-diététique sauf ATCD ou haut risque cardiovasculaire risque supérieur à 10 % dans l'algorithme ASVD-RE [2];
HTA de grade 2 : traitement médicamenteux systématique avec préférence à une bithérapie fixe dès que la monothérapie est insuffisante.
Cibles du traitement :
-130/80 mm Hg pour tous les moins de 60 ans y compris les diabétiques;
- < 150 mm Hg après 80 ans.
Reste à préciser combien d'Américains hypertendus de grade 1 sont à haut risque et combien d'entre eux indépendamment de leur niveau de risque vont en sus des mesures hygiéno-diététiques devoir être mis sous antihypertenseur pour atteindre la cible. Sachant que par ailleurs chez nombre d'hypertendus de grade 2 déjà pris en charge, une intensification thérapeutique sera nécessaire.
Au prix, incontournable, d'une nette majoration des effets secondaires rapportés au traitement.
En France, aucune raison de modifier les recommandations
En France notre situation épidémiologique – tabagisme, cholestérol, obésité, diabète – est bien différente. Nous n'avons donc aucune raison, même pragmatique, d'amender les dernières recommandations (HAS/SFHTA 2016).
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Citer cet article: Pascale Solère. Hypertendu au-delà de 130/80 aux Etats-Unis: les commentaires du Pr Jacques Blacher - Medscape - 29 nov 2017.
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