La FDA autorise le premier antipsychotique connecté : assistant personnel ou mouchard ?

Aude Lecrubier

21 novembre 2017

Silver Spring, Etats-Unis– L’agence américaine du médicament, la FDA, a donné son feu vert à la commercialisation du premier médicament connecté. Il s’agit de l’antipsychotique aripiprazole (Abilify®) auquel a été ajouté un capteur de la taille d’un grain de sable « qui enregistre la prise effective du médicament » [1].  Aide ou mouchard ? Annoncé comme un outil du suivi du traitement par la FDA, le nouveau produit soulève, pour d’autres, des questions d’ordre éthique, notamment en termes de respect de la vie privée.

La première gélule connectée

Le nouveau traitement Abilify MyCite (Otsuka Pharmaceutical Co., Ltd.) est indiqué dans le traitement de la schizophrénie, dans la phase aiguë de la manie et des épisodes mixtes associés aux troubles bipolaires de type I (en monothérapie ou en association avec le lithium ou le valproate) et comme traitement complémentaire dans la dépression de l’adulte.

En pratique, lorsque le traceur biodégradable encapsulé dans le médicament est ingéré, le cuivre et le magnésium qu’il contient réagissent au contact des sucs gastriques ce qui envoie un signal Bluetooth en direction d’un patch placé sur la peau du patient. Le patch transcutané transmet alors l’heure de la prise à une application mobile consultable par le patient. En parallèle, il transfert aussi des données biologiques comme la fréquence cardiaque.

Si le patient l’autorise, le ou les aidant(s) et le médecin peuvent consulter les informations délivrées par le patch via un portail internet.

Il peut aussi décider d’arrêter de partager certaines informations ou sortir du programme à tout moment.

Concernant les données d’efficacité associées à ce nouveau produit, la FDA précise que selon la notice du médicament « la capacité du produit à améliorer l’observance des patients n’a pas été démontrée ».

 
La capacité du produit à améliorer l’observance des patients n’a pas été démontrée.
 

Avertissements et précautions d’emploi

En termes de précautions d’emploi, la FDA indique « qu’Abilify MyCite ne devrait pas être utilisé pour traquer l’ingestion en « temps réel » ou en situation d’urgence parce que la détection pourrait être retardée ou même ne pas survenir ».

En parallèle, la notice du médicament mentionne plusieurs contre-indications.  Un encadré d’avertissement stipule notamment que les patients âgés atteints d’une psychose liée à un état démentiel qui sont traités par antipsychotiques sont à risque accru de décès. Abilify MyCite n’est donc pas indiqué chez ces patients.

Il est aussi rappelé que les enfants, les adolescents et les jeunes adultes recevant des antidépresseurs ont un risque accru de suicide et que la sécurité et l’efficacité d’Abilify MyCite n’a pas été établie dans la population pédiatrique.

Enfin, le laboratoire indique que les patients doivent être suivis afin de détecter l’apparition de pensées ou de comportements suicidaires et qu’un guide d’information patient sur l’utilisation et les risques associés au médicament doit être distribué au patient.

Big Brother ?

Si la FDA voit clairement en Abilify MyCite une aide au suivi du traitement pour des maladies psychiatriques où les problèmes d’observance sont particulièrement importants, l’arrivée sur le marché de ce médicament connecté suscite aussi des inquiétudes sur le plan du respect de la vie privée. Certains craignent des dérives vers une surveillance contrainte ou vers une pénalisation des patients en cas de mauvaise observance (remboursement conditionné à l’observance…). Enfin, il existe des doutes quant à l’adhérence des patients schizophrènes ou bipolaires à ce type de médicament connecté.

« Quand vous pensez que ce traitement est indiqué chez des personnes qui ont des symptômes psychotiques, comme des délires paranoïaques, on peut penser que se poseront des questions sur le caractère intrusif du dispositif, le contrôle par le gouvernement, ou l’incursion de Big Brother dans la vie privée », a commenté le Pr Jeffrey Lieberman (psychiatre, Columbia University, New York–Presbyterian Hospital, Etats-Unis) à la journaliste Megan Brooks, de Medscape édition internationale.

 

Dr Patrick Lemoine

Interrogé par Medscape édition française, le psychiatre français Patrick Lemoine appelle lui à relativiser certaines des craintes évoquées ci-dessus. «Je pense qu’il faut rester vigilant. Toutefois, la polémique sur l’aspect de surveillance et de privation de liberté n’a pour moi pas beaucoup de sens parce que les gens ont le choix de mettre ou de ne pas mettre le patch qui permet de relayer l’information de la gélule connectée. Aussi, d’un autre côté, on sait que l’arrêt de traitement chez un patient bipolaire ou un schizophrène peut avoir des conséquences graves », explique-t-il (voir l’entretien avec le Dr Lemoine).

 
Quand vous pensez que ce traitement est indiqué chez des personnes qui ont des symptômes psychotiques, comme des délires paranoïaques, on peut penser que se poseront des questions sur le caractère intrusif du dispositif Pr Jeffrey Lieberman
 

Le Dr Lemoine a déclaré les liens d'intérêts financiers suivants:

-a exercé les fonctions de conférencier ou membre d’un bureau de conférenciers pour le compte de PiLeJe ;

-a reçu un montant supérieur ou égal à 250$ de la part de PiLeJe et Sanofi.

 

 

 

 

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