Paris, France — « C’est une première », comme nous l’a confirmé le Dr Jacques Lucas, du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) : le CNOM a décidé de porter plainte contre une mutuelle, Eovi-MCD Mutuelle, qui a lancé une vaste campagne de publicité pour promouvoir l’un de ses services de téléconsultation.
Dans le communiqué qui annonce cette plainte, l’Ordre rappelle que « le développement de la télémédecine doit nécessairement s’inscrire dans les règles d’exercice de la profession médicale et dans le cadre du parcours de soins » [1]. S’il y a bien trouble à l’ordre public, ce trouble n’est pas causé par l’offre de téléconsultation en tant que telle, mais bel et bien par la publicité qui lui est faite. Cette campagne « tend d’une part à créer une sélection des patients puisqu’elle conditionne le service aux seuls bénéficiaires de cette mutuelle. Par ailleurs, elle provoque une distorsion concurrentielle avec les médecins pour lesquels toute publicité est interdite, le code de la santé publique affirmant en effet que « la médecine ne doit pas être exercée comme un commerce. Sont interdit tous procédés directs ou indirects de publicité » Contacté par Medscape, le Dr Lucas détaille les raisons de cette action judiciaire.
Medscape édition française : Pouvez-vous nous rappeler ce qui est à l’origine de la plainte déposée ?
Dr Jacques Lucas : « Il s’agit d’une campagne publicitaire radiophonique lancée par une mutuelle qui s’appelle Eovi-MCD. Ces spots m’ont été signalés il y’a une quinzaine de jours par un collègue du Conseil national de l’ordre. Nous avons un enregistrement audio de la campagne diffusée et nous avons décidé qu’il n’était pas possible de laisser passer cela. Nous avions en février 2016 publié un premier communiqué sur l’ubérisation de la santé. Ce document avait été adressé au ministère. À l’époque, le ministère de la santé avait décidé d’organiser des groupes de travail autour de cette question, qui se sont rapidement enlisés. Quoi qu’il en soit, nous indiquions dans ce document que la télémédecine est une forme de pratique médicale et qu’elle doit correspondre aux pratiques professionnelles. À ce titre, elle doit être inscrite dans le parcours de soins. Lorsque Axa a proposé un service de téléconsultation à ces adhérents nous nous étions interrogés sur l’évitement du parcours de soins par cet assureur. A l’époque, le gouvernement précédent ne nous avait pas donné de réponse sur la « double entrée » dans le système de soins. Nous sommes restés dans le flou sur cette question. Axa, néanmoins ne s’adressait qu’à ses adhérents. Pour ce qui est de Eovi-MCD à l’origine de l’actuelle campagne publicitaire, ce n’est plus du tout le cas. Les spots radiophoniques affirment que la mutuelle propose au grand public une consultation qui donne lieu à une ordonnance, sans avoir à payer une consultation, en adhérant à cette mutuelle. Il y a donc une publicité pour un acte médical, et le code de la santé publique interdit de faire de la publicité pour un acte médical. Qui plus est, cet acte n’est pas dans le parcours de soins. Nous considérons aussi que cette publicité est une distorsion de concurrence par rapport au médecin qui ne peut pas faire de publicité. C’est réprimé par l’article 19 du code de santé publique. Notre avocat est saisi, et a déposé sa plainte.
Est-ce la première fois que le conseil de l’Ordre dépose plainte pour de la publicité au sujet de téléconsultation ?
Dr Jacques Lucas : Oui, c’est la première fois. Nous avions déjà déposé plainte pour de la publicité sur des soins, mais jamais au sujet de téléconsultation. Nous souhaitons que ce sujet, sur la base du document que nous avons publié en 2016, donne lieu à la reprise de la concertation que nous avions initiée, afin de définir ce qui relève de la télémédecine. La plateforme medecindirect qui offre ce service de téléconsultation à la mutuelle, est, il faut le rappeler, en parfaite conformité avec la législation. Son activité est conforme à la réglementation en vigueur et le contrat qui lie les médecins à la plate-forme a été visé par la commission nationale des contrats. C’est la mutuelle qui a fait de la publicité qui est attaquée.
Avez-vous reçu une marque d’intérêt des pouvoirs publics au sujet de cette affaire ?
Dr Jacques Lucas : Non, le ministère de la santé a ses priorités, il y a d’autres sujets à traiter en ce moment. Bien entendu, il a été informé de notre action, et un courrier lui a été adressé avant le communiqué et, pour le moment, nous n’avons pas de réactions mais nous ne lui faisons pas le reproche. Le PLFSS a accaparé le ministère, et dans ce texte, il doit y avoir l’introduction dans le droit commun des téléconsultations et la télé-expertise, qui va donner lieu à des négociations sur la tarification des actes de télémédecine. C’est une bonne chose.
Télémédecine : déjà en 2016, le CNOM alertait
Dans un document publié en 2016, le CNOM s’inquiétait déjà de la multiplication des offres de téléconsultation proposées par des assureurs et des mutuelles. Il s’effrayait « que des offres de prestations médicales électroniques moyennant rétribution fleurissent sur Internet, en lien avec le secteur marchand, alors même que le code de la santé publique indique que la médecine ne peut pas être pratiquée comme un commerce et que toute forme de publicité directe ou indirecte pour un médecin est interdite ». Il préconisait alors une simplification de la réglementation de la télémédecine pour l’intégrer dans les parcours de soins des patients, et l’instauration d’une régulation des offres numériques de santé.
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Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Publicité pour une offre de téléconsultation d’une mutuelle : le CNOM porte plainte - Medscape - 22 nov 2017.
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