POINT DE VUE

Points marquants de l’AHA : 1re partie

Pr Gilles Montalescot, Pr André Lamy, Dr Romain Chopard, Pr Johanne Silvain

Auteurs et déclarations

17 novembre 2017

Enregistré le 14 novembre 2017, à Anaheim, CA, É.-U.

Dans cette 1re partie, Gilles Montalescot, André Lamy, Romain Chopard et Johanne Silvain commentent les études marquantes du congrès de l’American Heart Association 2017 : DACAB, PRESERVE, CANTOS, FOURIER et plus...

Voir la 2 partie : focus sur la thérapie antithrombotique

TRANSCRIPTION

Gilles Montalescot — Bonjour à tous et bienvenue à l’American Heart Association 2017. On va vous présenter à quatre nos coups de cœur, en tout cas des choses qui nous ont marqués plus que d’autres à ce congrès. Je m’appelle Gilles Montalescot, je suis professeur de cardiologie à Paris, à la Pitié-Salpêtrière, et j’ai avec moi le professeur André Lamy de McMaster, le docteur Romain Chopard de Besançon, et le professeur Silvain de la Pitié-Salpêtrière. On va commencer par les coups de cœur du chirurgien cardiaque : que doit-on retenir de ce congrès ?

Pontages : études DACAB et COMPASS-CABG

André Lamy — Pour moi, c’est l’étude DACAB [Efficacy of Different Antiplatelet Therapy Strategy after Coronary Artery Bypass Grafting].[1]C’est une étude chinoise randomisée de 500 patients. Un 1er groupe recevait de l’aspirine, un 2e groupe avait aspirine et ticagrelor, et un 3e groupe seulement le ticagrelor. Je connais ces investigateurs, j’ai eu l’occasion de travailler avec eux, ce sont des gens très sérieux. Ils ont fait un « CT angiogram » (angiographie par scanner) à un an pour regarder la perméabilité des pontages, et les pontages avaient une meilleure perméabilité dans le groupe aspirine + ticagrelor…

Gilles Montalescot — Par rapport à l’aspirine…

André Lamy — Par rapport à l’aspirine ou par rapport au ticagrelor seul. C’est intéressant, on voit très peu de telles études — c’est quand même une petite étude qui est limitée du point de vue méthodologique, mais c’est une des premières où il semble y avoir un bénéfice pour la perméabilité des pontages, et pour cela c’est intéressant. Ça m’a beaucoup étonné.

Gilles Montalescot — Mais moi, ce qui m’ennuie un tout petit peu, c’est que ce sont des pontages saphènes exclusivement… À mon institution, cela n’existe plus les pontages saphènes, et les chirurgiens cardiaques, depuis au moins 10 ans, ne font que de l’artériel et du tout artériel et dans un certain nombre d’autres centres français aussi. Alors, est-ce qu’on doit appliquer ce message au tout artériel ?

André Lamy — Il n’y a pas de preuve que les pontages tout artériels soient meilleurs. L’étude du docteur Taggart, à date, a tout simplement démontré que c’était mauvais, avec plus d’infections du sternum. La perméabilité des veines est quand même assez élevée — je vais parler brièvement de l’étude COMPASS CABAG, que j’ai eu la chance de présenter… Mais la perméabilité des artères mammaires gauches était de 95 %, mais la mammaire droite est beaucoup plus basse. Donc, on ne sait pas si c’est un problème de technique ou un si c’est un problème de distribution de territoire vasculaire, mais la perméabilité était seulement à 85 % pour les mammaires droites et 95 % pour les mammaires gauches…

Gilles Montalescot — Mais maintenant, ils font des « Y » nos chirurgiens…

André Lamy — Ils font « Y »… Je me suis amusé à regarder les résultats – est-ce que c’est une question de technique ou quoi ? Je ne pense pas qu’on soit vendus sur les pontages artériels. L’artère radiale a une perméabilité de 90 %, égale aux veines. Bon, les résultats sont [à venir]…

Gilles Montalescot — Oui. Dans l’étude chinoise, on a quand même 17 ou 18 % d’occlusion dans le bras contrôle à un an, ce qui est élevé…

André Lamy — Ce qui est élevé. C’est quand même un petit groupe — on parle d’environ 135-140 patients. C’est un peu la limitation méthodologique de cette étude-là. Dans COMPASS CABG, on parle d’environ 1400 patients — il y a un peu plus de veines là-dedans…

Gilles Montalescot — De COMPASS CABG, on retient quoi comme message final ?

André Lamy — Bon, COMPASS CABG, [2]c’était du rivaroxaban à 2,5 mg versus aspirine seulement. Aucune différence, les résultats sont tout à fait identiques, ce qui est un peu surprenant — et qui me fait pleurer un peu. Mais ce qu’on voit, par exemple, c’est qu’à long terme les patients qui sont sous rivaroxaban ont la même réduction de mortalité et de d’AVC à long terme à la fin de l’étude, similaire à l’étude principale. Pour ça, c’est encourageant. Donc, le bénéfice est lié à autre chose qu’à la perméabilité des pontages. Est-ce qu’il y a un mécanisme qui est différent ? Est-ce qu’on doit traiter des pontages d’une certaine façon peut-être avec ticagrelor, et traiter nos patients d’une autre façon avec rivaroxaban ? C’est à voir. On ne sait pas encore la réponse finale.

Gilles Montalescot — Bon, ce n’est pas simple.

Embolie pulmonaire : ultrasons et thrombolyse ?

Gilles Montalescot — Romain, qu’est-ce qu’on doit retenir de la cardiologie interventionnelle lorsqu’on s’attaque à l’embolie pulmonaire ?

Romain Chopard — C’est une question à laquelle on s’intéresse de plus en plus, notamment de ce côté-ci l’Atlantique, c’est-à-dire : est-ce qu’on doit réaliser des procédures de cardiologie interventionnelle endoluminale de reperfusion pulmonaire pour la prise en charge des embolies pulmonaires à haut risque avec instabilité hémodynamique ? Et également les embolies pulmonaires à risque intermédiaire haut, c’est-à-dire avec dysfonction ventriculaire droite sans retentissement hémodynamique ? De nombreuses sessions et controverses ont eu lieu lors de ce congrès et cela vient du fait qu’à l’heure actuelle on n’a pas encore défini de manière optimale la stratégie de reperfusion pulmonaire dans ces situations. La thrombolyse systémique réduit la mortalité précoce — notamment dans les embolies pulmonaires graves avec choc cardiogénique — ça, c’est bien démontré. Mais cela se fait au prix d’une [augmentation] des complications hémorragiques qui sont multipliées par un facteur 5 pour les hémorragies graves et par un facteur 10 pour les hémorragies intracrâniennes qui ont un retentissement direct pour le patient, que ce soit fonctionnel et même vital. C’est pour cela que la communauté qui s’intéresse à la pathologie thrombo-embolique veineuse s’oriente également vers le développement des procédures endovasculaires. Alors, il y a différents dispositifs qui ont été étudiés avec plus ou moins de succès : il y a un dispositif qui a actuellement l’autorisation d’utilisation sur le territoire américain dans cette indication particulière et c’est ce dispositif qui a été beaucoup discuté lors de ce congrès. [3] Il associe deux choses : une émission d’ondes ultrasonores au sein du thrombus, qui est censée délier les fibres de fibrine du thrombus afin de faciliter la diffusion, la pénétration du traitement thrombolytique qui, lui, est injecté de manière parallèle in situ, localement, au sein du thrombus…

Gilles Montalescot — À dose réduite ?

Romain Chopard — Ce qui permet effectivement de réduire les posologies utilisées par rapport aux injections systémiques — la posologie est réduite de quatre fois par rapport à la dose qui est approuvée par la FDA actuellement (100 mg de thrombolytique). Là ils utilisent 25 mg. Et il y a une étude qui montre que des posologies encore plus réduites et des durées d’infusion encore plus limitées auraient une efficacité. L’efficacité est jugée actuellement sur des critères intermédiaires. Cela montre qu’il y a une récupération rapide et assez importante de la perfusion pulmonaire associée à une diminution du taux de dysfonction ventriculaire droite, dont on sait que c’est un facteur pronostic important dans la suite d’une embolie pulmonaire. Mais ces études actuellement ont peu de patients — ces sont trois études avec environ un peu plus de 300 patients. Ce sont des études descriptives — on n’a pas de données randomisées versus le traitement de référence (la thrombolyse) dans les embolies pulmonaires graves, ou le traitement anticoagulant simple, qui est actuellement recommandé par l’ESC dans les EP avec stabilité hémodynamique, mais dysfonction ventriculaire droite.

Gilles Montalescot — C’est le retour des ultrasons et la thrombolyse dans la

thrombose…

Romain Chopard — À voir… des études randomisées sont en cours et on aura la réponse…

Gilles Montalescot — On a essayé ça dans les coronaires… Je suis assez vieux pour me souvenir qu’on mettait des guides pour faire des ultrasons dans les coronaires quand il y avait des thrombus — cela ne marchait pas très bien et c’est un peu iatrogène — et puis la thrombolyse locale, elle a disparu des coronaires, donc c’est une renaissance dans les artères pulmonaires.

Romain Chopard — À voir…

Vers une médecine personnalisée Maladie coronaire stable : FOURIER ET CANTOS

Gilles Montalescot — Johanne, il y a eu des nouvelles dans des analyses après le résultat principal dans FOURIER, et peut-être aussi un mot de CANTOS ?

Johanne Silvain — Oui, effectivement. Il a eu plusieurs présentations sur la maladie coronaire stable avec toujours cet objectif de réduire le risque résiduel. C’était les résultats principaux de FOURIER et donc on cherche à avoir une population cible. Il y a eu deux très belles sous études pré- spécifiées qui ont été présentées, une par Marc Sabatine [Clinical Benefit of Evolocumab in Patients With a History of MI: An Analysis From FOURIER] et une par Marc Bonaca [Evolocumab and Outcomes in Patients With Peripheral Artery Disease].

Une première [4]sur les gens avec une artériopathie oblitérante des membres inférieurs qui était la population de l’étude qui tirait le meilleur bénéfice. On peut voir qu’effectivement c’est une population à très haut risque. Ils ont donc sélectionné, sur les 27 000 patients, tous les patients qui avaient une artériopathie oblitérante, ils ont regardé quel était le risque relatif et surtout la diminution de risque absolu. On arrive à diminuer le NNT, le nombre de patients qu’il faut traiter pour avoir un objectif en sélectionnant ces patients à très haut risque. Donc, l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs est une population à très haut risque — seule. Quand c’est associé à un infarctus, également, on est sur un patient polyvasculaire, qui a un risque très élevé — plus que la population globale — donc, cela en fait deux populations de choix pour ce nouveau traitement [evolocumab] à long cours.

Il y a une étude [5]à peu près similaire qui a été présentée sur la population infarctus par Marc Sabatine et là cette fois-ci ils se sont intéressés aux coronariens qui avaient fait un infarctus antérieurement. On sait également par d’autres études de bithérapie antiplaquettaire prolongée que ce sont des patients à très hauts risque. Ils ont trouvé trois critères qui permettent d’enrichir le risque cardiovasculaire résiduel. Le premier était 1) d’avoir fait un infarctus dans les deux dernières années avant la randomisation — donc un infarctus relativement récent, 2) les patients qui ont fait plusieurs événements — donc au moins deux infarctus — et 3) les patients qui ont une maladie multitronculaire résiduelle, donc une atteinte athéromateuse multiple sur leur coronaire. Si on a un, deux ou trois de ces critères-là, on a une population qui est enrichie en risque et, donc, on voit un bénéfice, encore une fois, à la fois relatif et surtout sur le risque absolu, qui est nettement en faveur de l’utilisation de ce médicament [evolocumab].

Gilles Montalescot — On a l’impression quand même d’un gros effort pour réduire la population cible avec des analyses des sous-groupes, ce qui va bien plaire aux autorités, je pense…

Johanne Silvain — Oui, exactement. D’ailleurs, si on analyse ensuite le groupe sans critère d’enrichissement, on voit que les bénéfices sont très faibles. Cela va être clairement une population qui va tirer son épingle du jeu et qui va être les premiers patients à être traités par ce traitement.

La sous-analyse de CANTOS, [6]  qui évaluait cette fois-ci un inhibiteur de l’interleukine [canakinumab], a montré des résultats à peu près similaires sur cette médecine un peu personnalisée, c’est-à-dire que la population globale de l’essai qui était positif a été divisée en fonction du fait d’être répondeur ou non sur la baisse de la CRP. Tout le bénéfice, quasiment, de l’étude est tiré par les gens qui sont répondeurs. Donc, les gens qui répondent aux trois doses de traitement et qui ont une baisse de la CRP ont 25 % de risque de réduction relative et ont tout le bénéfice de l’essai. Les patients qui sont non répondeurs, par contre, ont un bénéfice extrêmement modeste, donc cela va être encore une fois une façon de choisir des patients qui peuvent être éligibles à ce traitement.

PRESERVE : Alcalinisation et N-acétylcystéine ne préviennent pas la néphropathie post angiographique

Gilles Montalescot — Moi j’ai retenu deux nouvelles : la première, c’est l’étude PRESERVE, [7]  qui a été publiée dans le New England Journal of Medicine. C’est une nouvelle étude – il y en a eu beaucoup d’autres sur la préservation de la fonction rénale, la limitation des événements cardiovasculaires lorsqu’on fait, en particulier, une angiographie coronaire, puisque là on a une population à 90 % ayant eu des angiographies coronaires – 25 % ont eu des angioplasties. Et l’idée, c’était de voir si le bicarbonate ou si l’acétylcystéine ou les deux pouvaient améliorer le pronostic de ces patients. Et c’est échec sur toute la ligne : ni l’un, ni l’autre, ni les deux ne permettent d’améliorer le pronostic de ces patients qui avaient, pour entrer dans l’étude, des clairances entre 15 et 44 mL par minute — on était vraiment à risque de se compliquer. Et on n’arrive pas à réduire ce risque. Alors, j’ai regardé les volumes de contraste donnés et ils sont relativement modestes, autour de 90 mL par minute en moyenne, ce qui ne reflète pas forcément ce qu’on fait quand on fait une coronarographie puis une angioplastie dans la foulée ou des procédures complexes, mais en tout cas, l’étude est plutôt décevante sur ce point.

L’autre étude [8]que j’ai retenue, une nouvelle qui n’a pas fait là Une des journaux vraiment, mais qui est intéressante et qui est associée à une publication dans le JAMA qui est cette histoire de la LP(a) et de la sténose aortique. Alors, on a tout un passif sur les lipides et la sténose aortique, sur les statines et la sténose aortique — tout a échoué. Et là, on a une étude californienne qui part d’un registre de 45 000 patients où une base génétique est associée. Et ils ont découvert le fait suivant : les patients qui ont deux variants génétiques associés à une augmentation des taux de la LP(a) développent dans les années de suivi de ce registre des sténoses aortiques beaucoup plus fréquemment que les autres patients. Alors, on pourrait se dire « c’est sympa, mais qu’est-ce qu’on va faire de tout ça ? » Eh bien, premièrement, c’est une cible nouvelle de la sténose aortique, et deuxièmement il y a des médicaments qui arrivent pour abaisser la LP(a) — en particulier des oligonucléotides antisens — et si demain cela marche pour réduire le taux de LP(a) et si chez ces patients qui ont les variants on se dit qu’ils vont développer la sténose aortique parce qu’ils vont avoir des taux de LP(a) trop élevés, on aura peut-être le premier traitement médical de prévention de la sténose aortique dont tout le monde sait que le traitement est chirurgical ou interventionnel. Mais en tout cas, les médicaments, jusqu’à ce jour, ont échoué tant dans le traitement que dans la prévention. Alors, on tient peut-être une piste. Voilà. Petit clin d’œil sur le traitement médical de la sténose aortique.

Voilà pour aujourd’hui. J’espère que cette session vous a plu et qu’on vous a amené quelques nouvelles et quelques espoirs. À bientôt.

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