Paris, France — L’affaire Weinstein de harcèlement sexuel s’étend aujourd’hui à d’autres domaines que celui du cinéma. Le monde de la santé n’est pas épargné. Les langues se délient… Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, aborde ouvertement le problème, le Conseil national de l’Ordre des médecins appelle les victimes à porter plainte et la ministre de la santé Agnès Buzyn, elle-même rapporte des agissements « invraisemblables » la concernant…Une culture qui s’inculque dès les études de médecine et perdure par la suite, normal pour certains, dérangeant pour d’autres, mais qui n’osent l’exprimer.
Harcèlement sexuel quasi institutionnel, à l’hôpital
Dans un long entretien au quotidien Le Monde, Martin Hirsch a dénoncé la semaine dernière le harcèlement sexuel quasi institutionnel, à l’hôpital, « une réalité impossible à nier mais difficile à mesurer ». Un phénomène qu’il est difficile de cerner, car souvent la victime a peur de dénoncer. Pour Martin Hirsch, aucune catégorie de personnel n’est à l’abri du harcèlement sexuel, mais certaines disciplines médicales, plus féminisées que d’autres, sont plus souvent « touchées ». Récemment, un praticien a dû être suspendu pour harcèlement sexuel, suite au signalement d’une interne, apprend Martin Hirsch. Preuve que l’omerta qui règne à l’hôpital est en train de se briser. Pour faire en sorte de proscrire totalement ces comportements, la direction générale de l’AP-HP devrait « faciliter le signalement auprès des commissions de vie hospitalières qui y seront sensibilisées ainsi que des directions locales des ressources humaines ». Et d’ajouter : « une culture carabine, c’est savoir être drôle, savoir utiliser la dérision, mais pas abuser d’un pouvoir de domination ».
Le CNOM incite à porter plainte
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a, lui aussi, réagi. « Parce que les Français nous honorent de la grande confiance qu’ils portent dans le corps médical, nous, médecins, devons être exemplaires. Le harcèlement sexuel est intolérable et doit être quotidiennement combattu, dans le milieu médical comme ailleurs », a notamment déclaré le Dr Patrick Bouet, président du CNOM. Le CNOM rappelle qu’il est en mesure de sanctionner les auteurs d’harcèlement sexuel : « Il encourage les victimes de harcèlement sexuel dont l’auteur serait un médecin à porter plainte devant les conseils départementaux de l’Ordre des médecins habilités à les transmettre et/ou porter plainte eux-mêmes devant les chambres disciplinaires ordinales afin que ces abus soient dévoilés et sanctionnés ». Le CNOM mène par ailleurs une réflexion sur le harcèlement sexuel dans le milieu médical, dont les conclusions seront rendues rendues publiques très prochainement.
Le « MeToo » de la ministre de la Santé
Plus tôt, le 22 octobre, la ministre de la Santé Agnès Buzyn avait elle aussi dénoncé le harcèlement sexuel à l’hôpital, dont elles a elle-même été victime. « Des chefs de service qui me disaient : Viens t'asseoir sur mes genoux. Des choses invraisemblables... qui faisaient rire tout le monde », a-t-elle révélé. La ministre de la santé a souhaité que les « hommes se rebellent publiquement à nos côtés », parce qu’une « femme qui réagit face à un propos sexiste n’est jamais prise au sérieux ».
Sexisme dans les études médicales : l’ISNI enquête
Avant que le scandale n’éclate, l’Intersyndicat national des internes (ISNI) avait décidé en septembre dernier de lancer une vaste enquête, non pas sur le harcèlement sexuel, mais sur un sujet qui lui est concomitant, le sexisme dans les études médicales, dont les résultats seront présentés le 18 novembre prochain. En attendant la publication de ces résultats, l’ISNI a rendu public un communiqué, qui déplore « que les témoins des violences et du harcèlement sexuel restent passifs dans la grande majorité des cas ». L’ISNI a pour sa part créé un poste de vice-président en charge du droit des femmes ayant pour but, entre autres, de lutter contre les violences physiques et morales que subissent les femmes.
A l’hôpital, des PH témoignent, anonymement
Pour Claude, praticien hospitalier interrogé par Libération, ce harcèlement sexuel est pratiquement consubstantiel de la fonction de médecin à l’hôpital. C’est une question de culture : «L’image du mec en blouse qui débite des blagues grivoises devant lesquels les infirmières en cercle doivent se pâmer même si elles trouvent ça grossier et inapproprié est une réalité» confesse-t-il. Cette culture harceleuse est, chose aggravante, totalement intégrée par ses victimes : «Il m’est arrivé de demander à des infirmières comment elles vivaient le fait d’être maltraitées psychiquement et verbalement par d’autres médecins, toutes ont minoré en disant "c’est le métier qui veut ça" ou "il ne voulait pas dire ça", "c’était pour rire"».
Un médecin hospitalier, interrogé cette fois par Europe 1, a avoué sans vergogne pratiqué le harcèlement sexuel, sans que cela ne lui pose problème : « Franchement, oui, des fois on met la main au cul », « tous les jours, à tout moment de la journée ou de la nuit, oui, c'est tout le temps». « Ça non, ça pour moi c'est pas du harcèlement, ça fait rire tout le monde, ça détend tout le monde, c'est un peu notre dérision et notre échappatoire ».
Une culture qui s’inculque dès les années d’études, comme le révélait encore Libération. Deux syndicats étudiants, Sud Education Calvados et SL Caen, ont déposé plainte à Caen contre des étudiants en médecine qui organisaient un bizutage faisant état de scène d’humiliation, et d’agressions sexuelles. Des rituels qui ont encore cours dans la plupart des facs de médecines…
Violences psychologiques à l’hôpital
Si les réactions ont été aussi vives et immédiates dans le domaine de la santé, et particulier hospitalier, c’est que le problème couve depuis quelques années. En termes de harcèlement, l’affaire dramatique Jean-Louis Mégnien, s’est révélé être l’arbre qui cache la forêt (lire notre article « Malgré l'affaire Mégnien, le harcèlement à l'hôpital bat son plein » ). Quant aux épisodes d’acharnement, d’humiliation, d’abus de pouvoir, de sexisme, de harcèlement sexuel ainsi que l’omerta qui accompagne ces pratiques au cours des études de médecine, le Dr Valérie Auslender s’en est fait l’écho en ce début d’année dans son ouvrage « Omerta à l’hôpital » (lire notre article Etudiants victimes de violences psychologiques à l’hôpital : cette réalité « tue ». L’affaire Weinstein a servi de catalyseur. Les conditions étaient réunies pour que les langues (enfin) se délient…SL
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Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Grivoiserie et harcèlement sexuel à l’hôpital : les langues se délient - Medscape - 3 nov 2017.
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