POINT DE VUE

Suivre et ralentir la progression de la SEP

Dr Michel Dib, Pr Bruno Brochet, Pr Pierre Clavelou

Auteurs et déclarations

6 novembre 2017

Enregistré le 27 octobre 2017, à Paris, France

Les données épidémiologiques, les outils connectés et les nouvelles thérapeutiques impactent la progression de la maladie. Quelles sont les nouveautés présentées sur ce thème à ECTRIMS 2017 ? Avec Michel Dib, Bruno Brochet et Pierre Clavelou. (1re partie)

Voir la 2e partie : Nouveaux critères diagnostiques et recommandations européennes 2017 dans la SEP

TRANSCRIPTION

Michel Dib — Bonjour, je suis Michel Dib, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Je suis avec mes collègues Bruno Brochet (CHU de Bordeaux) et Pierre Clavelou (CHU de Clermont-Ferrand). Nous sommes là pour vous parler de l’édition 2017 du congrès ECTRIMS, à Paris. Bruno, qu’as-tu retenu, notamment au niveau des nouvelles données épidémiologiques, pathologiques et de l’histoire naturelle de la SEP, en particulier sur les formes progressives?

Allongement du délai d’apparition des formes progressives

Bruno Brochet — On vit une période où les concepts évoluent beaucoup sur les formes progressives. On a eu, lors de la session plénière, une très belle conférence de Hans Lassman [1] sur la physiopathologie des lésions du cortex, sur la pathologie. On identifie maintenant très bien les lésions du cortex qui, bien sûr, existent à la phase progressive, mais commencent dès la phase rémittente et qui sont liées à une inflammation au niveau des méninges. Hans Lassman a montré de façon très élégante les mécanismes impliqués dans cette atteinte corticale et les conséquences que cela peut avoir. Parallèlement, on voit au niveau des études épidémiologiques, notamment des cohortes − des grandes cohortes en vie naturelle comme par exemple la cohorte OFSEP [2] ou la cohorte MSBase − des données apparaître sur un changement d’évolution de la maladie ; en particulier, le délai d’apparition et la fréquence d’apparition de la forme progressive secondaire semblent changer — le délai d’apparition s’allonge et par exemple, si on prend la proportion de patients ayant une forme progressive secondaire après 15 ans d’évolution, les proportions diminuent de façon très importante. Alors, il y a probablement plusieurs facteurs : l’influence des traitements qui sont administrés de plus en plus tôt, peut-être également des changements dans les facteurs environnementaux, mais peut-être aussi des changements au niveau des critères diagnostiques, dont on pourra reparler tout à l’heure. Donc, ces nouvelles donnes doivent bien sûr être prises en compte dans la prise en charge de nos patients. Il y a eu une présentation [3] d’une équipe italienne, de Brescia, qui a étudié une cohorte de patients depuis le début des années 80 et qui a montré que l’évolution des patients qui avaient commencé leur maladie dans les années 80 était complètement différente de celle des patients qui ont commencé à partir de 2000 et donc qui avaient déjà bénéficié des traitements de première ligne. Et il y a encore un deuxième changement qui apparaît à partir de la fin des années 2000, probablement avec l’arrivée des traitements de deuxième ligne, et que c’est donc peut-être un facteur thérapeutique qui joue un rôle très important dans ce changement d’évolution. Et ce qu’ils ont montré, c’était essentiellement le rallongement du délai pour atteindre l’EDSS 6 [Expanded Disability Status Scale], c’est-à-dire, le fait de marcher avec une canne.

Michel Dib — Très bien. Pierre, Bruno a parlé du retardement du début de la phase progressive, mais justement, un des problèmes est comment définir la date de début de la phase progressive. Y a-t-il des progrès dans ce domaine-là ? Par exemple, que peut-on dire des outils comme les objets connectés ?

Suivre la progression de la maladie avec des outils connectés

Pierre Clavelou — Alors, c’est un challenge important d’essayer de préciser le début de la phase secondairement progressive, non seulement dans les cohortes − parce que c’est quand même sur le plan de l’histoire naturelle : est-ce qu’on change l’histoire naturelle de la maladie et l’apparition de la phase secondairement progressive avec nos thérapeutiques ? Il faut avoir des critères le plus précis possible. On sait qu’entre l’évaluation clinique objective faite par les cliniciens et le début réel de la phase secondairement progressive, il peut se passer un à deux ans. C’est important de la dater précisément et il y a probablement une différence liée au fait qu’on manque d’outils objectifs de l’aggravation du handicap ; l’utilisation d’outils connectés serait un élément important pour essayer de rapprocher la plainte du patient « je vais de moins en moins bien » et pourtant objectivement sur le score EDSS, qui n’est peut-être pas un élément très sensible, on essaierait alors de réduire cette période et de les rapprocher… À titre d’exemple, quel que soit le pays, on essaie de faire le plus souvent possible, au moins une fois par mois, un score EDSS, mais la plupart des neurologues qui ont été interrogés ne font pas de périmètres de marche, alors que c’est important d’avoir cet élément à partir d’un score EDSS 4. Il y a cet outil connecté [4], avec actuellement 10 centres dans le monde qui ont recruté plus de 8000 patients avec des données objectives d’EDSS par web qui semblent validés, voire d’outils de cognition de type SDMT, qui sont validés grâce à l’équipe de Bordeaux sur le plan informatique, voire même des outils de qualité de vie [5] ; peut-être que ces éléments seront importants [pour constituer] une sorte de « big data » pour essayer de préciser un peu mieux la date de la phase secondairement progressive. Cet élément est très important sur le plan thérapeutique. On sait que l’âge influence le début de la forme secondairement progressive et on sait que l’âge n’intervient pas trop dans l’accentuation du handicap. On sait que les poussées très précoces dans la maladie influencent le début de la phase secondairement progressive, et moins, plus tardivement. L’équipe de Rennes [6] a réussi à analyser de façon très précise cette période transitionnelle de début de la phase secondairement progressive, et on voit qu’il existe encore, à cette phase-là, des poussées de façon très clairement significative par rapport à une phase beaucoup plus tardive où, là, on peut se poser la question d’arrêter les traitements, alors que, dans cette phase-là, qui est une sorte de fenêtre thérapeutique, il faut penser peut-être à renforcer nos thérapeutiques, voire envisager d’autres thérapeutiques. Mais là, je crois que tu as beaucoup suivi l’évolution de cette armada de traitements, et si tu pouvais nous en dire un peu plus…

Progrès thérapeutiques

Michel Dib — Bien évidemment, parce qu’en fait il faut dire que ce sont les progrès thérapeutiques récents qui ont « activé » plus ou moins des différentes données dont vous avez parlé. Comme toujours, quand il y a un nouveau traitement, on s’intéresse plus à la pathophysiologie, plus à l’épidémiologie. En fait, l’ouverture était avec l’ocrélizumab qui a été approuvé aux États-Unis, mais pas encore en Europe, qui est le premier traitement qui a une AMM dans les formes PP, de plus que les formes RR. Il y a aussi le siponimod qui a communiqué l’année dernière les résultats d’une phase 3 – EXPAND [7]. Justement, dans ce congrès de Paris, on a vu également les données IRM [8] qui montrent une efficacité tout à fait cohérente avec l’efficacité clinique que nous voyons, notamment avec une baisse des lésions T2, des lésions gado+ et une baisse de l’atrophie cérébrale tout à fait cohérente et compatible avec le critère d’efficacité clinique qui été communiqué en 2006, avec une baisse de l’invalidité de 26 % sur trois ans de traitement.

D’autre part, il y a aussi la biotine qui est actuellement en phase 3 dans les formes PP et qui a déjà communiqué les résultats d’une phase 2 publiée, une étude française. La biotine a communiqué des résultats IRM [9] qui montrent une baisse de l’œdème cérébral qui se manifeste d’une façon un peu paradoxale par une baisse de volume cérébral ; les auteurs ne l’expliquent pas par une atrophie cérébrale, mais par une baisse de l’œdème cérébral liée au fait de l’effet plutôt métabolique et énergétique positif de la biotine, notamment dans ces formes-là.

On a vu également des données physiopathologiques d’avenir : on parle de pistes de remyélinisation avec notamment des molécules qui peuvent viser la barrière hématoencéphalique, à l’instar du natalizumab, et également des molécules qui peuvent viser les cytokines toxiques libérées par certains lymphocytes — parce qu’il y a des gens qui ont étudié les lymphocytes, il y en a certains qui encouragent la remyélinisation, d’autres qui inhibent la remyélinisation. Donc, les pistes d’avenir, c’est agir sur ces lymphocytes et notamment une cytokine qui a beaucoup été citée, CCL-119.

Donc, on voit finalement qu’il y a une flambée de progrès thérapeutiques dans ce domaine-là. Certains donnent leurs fruits et les autres, nous espérons dans les années qui viennent. Merci beaucoup de votre participation et de nous avoir donné ces images assez claires de ce congrès fort intéressant pour nous en France.

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