New York, Etats-Unis—Alors que l’effet diabétogène des statines a surtout été étudié chez des patients à faible risque de diabète et souvent comme un critère secondaire, une nouvelle étude américaine apporte des précisions sur une population de patients à haut risque de développer un diabète.
Dans leur étude, Jill P. Crandall et coll. (Albert Einstein College of Medicine, New York, Etats-Unis), ont observé que les patients à haut risque de diabète de type 2 qui recevaient des statines sur le long terme avaient un risque de développer la maladie de 30 % supérieur environ à celui des patients naïfs de statines.
Ces nouvelles données, publiées dans l’édition en ligne du BMJ Open Diabetes Research & Care [1] , vont dans le sens des autres données de la littérature.
En 2015, une étude finlandaise réalisée auprès de 8700 hommes âgés de 45 à 73 ans a montré que prendre des statines pendant plus de 6 ans était associé à une augmentation de 46 % du risque de diabète de type 2, le double des estimations précédentes.
Et, plus récemment, une analyse de l’Australian Longitudinal Study on Women's Health menée auprès de 8400 femmes âgées de 76 à 82 ans a estimé que les sur-risques associés aux doses les plus faibles et aux doses les plus élevées de statines étaient respectivement de 17 % et de 51 %.
Toutefois, même si l’effet diabétogène des statines ne fait aujourd’hui plus de doute, le Dr Crandall et coll. maintiennent, comme l’ANSM et la FDA, que les bénéfices apportés par les statines sont supérieurs aux risques (voir encadré).
« Pour chaque patient, l’augmentation possible et modeste du risque de diabète doit clairement être mise en balance avec la baisse hautement significative du risque d’IDM, d’AVC et de mortalité cardiovasculaire », indiquent-ils.
« Néanmoins, la glycémie devrait être surveillée et une bonne hygiène de vie encouragée chez les patients à haut risque de diabète qui reçoivent des statines en prévention d’événements cardiovasculaires », précisent-ils.
L’effet diabétogène des statines est reconnu
Le risque de diabète est inclus dans les mentions légales des statines, des deux côtés de l’Atlantique. Mais, pour la FDA et l’ANSM, « l’augmentation du risque de survenue de diabète de 9 à 15% n’est pas de nature à remettre en question le rapport bénéfice/risque de cette classe thérapeutique qui reste positif dans la prévention cardiovasculaire selon les indications définies pour chacune de ces statines ».
Première étude chez des patients à haut risque de diabète
Les chercheurs ont analysé l’incidence du diabète chez les utilisateurs de statines inclus dans le programme de prévention du diabète (DPP), soit 3234 patients adultes randomisés en trois groupes :
- programme d’intervention sur le mode de vie ;
- metformine ;
- placebo.
Près de 50 % des participants n’étaient pas d’origine caucasienne et 20 % avaient au moins 60 ans. Les critères d’inclusion comprenaient un âge ≥ 25 ans, un IMC ≥ 24 kg/m², une glycémie à jeun entre 95 et 125 mg/dL et une intolérance au glucose. Ils étaient donc à haut risque de diabète.
Le critère primaire de jugement était le diagnostic de diabète suite à une hyperglycémie provoquée par voie orale (75 grammes de glucose) ou une glycémie à jeun élevée confirmée par un nouveau test à 6 mois.
Les lipides et la pression artérielle étaient testés annuellement et l’utilisation de statines évaluée par auto-déclaration.
Alors qu’initialement 4 % des patients recevaient des statines, à 10 ans, respectivement 35 %, 37 % et 33 % des patients des groupes placebo, metformine et programme d’intervention avaient été mis sous statines (p=0,36 entre les groupes).
La simvastatine était la plus utilisée (40 %), suivie de l’atorvastatine (37 %), de la lovastatine (9%) et de la pravastatine (8%).
Initialement, les utilisateurs de statines étaient plus âgés et ils étaient plus souvent des hommes. Ils avaient également une glycémie à jeun, un taux d’HbA1c, des taux de cholestérol LDL et de triglycérides plus élevés et avaient plus d’antécédents de maladies cardiovasculaires et d’hypertension.
Un sur-risque de diabète de 30 % après ajustement
Après ajustement pour l’âge, le sexe et les origines ethniques, les chercheurs ont pu observer que l’utilisation des statines était associée à un risque significativement accru de développer un diabète (+ 36 %) pour les 3 bras regroupés.
Lorsque les facteurs de risque de diabète initiaux étaient aussi pris en compte, comme les antécédents familiaux de diabète et la glycémie à jeun, le sur-risque était de 35 %.
Enfin, après un ajustement supplémentaire pour la pression artérielle, le taux de cholestérol, les facteurs de risque cardiovasculaires et le statut socio-économique, le sur-risque était de 27 %.
Le risque de diabète ne différait pas en fonction de la puissance de la statine ou de l’ampleur de la baisse du cholestérol LDL. En revanche, la durée de traitement par statine était significativement associée à un risque plus élevé de diabète (RR / consultation avec utilisation de statine=1,06 ; p=0,007).
Des mécanismes sous-jacents encore mal compris
D’après les chercheurs « plusieurs travaux ont suggéré que les statines « révélaient » le diabète chez les individus à haut risque de diabète, ce qui à l’échelle d’une population pourrait résulter en une hausse limitée du risque de diabète ».
Ils notent cependant que, dans leur cohorte, la variation des facteurs de risque de diabète à l’entrée dans l’étude ne permettait pas d’expliquer le risque additionnel associé aux statines. En outre, le sur-risque était plus important pour les participants du groupe « intervention sur le mode de vie », alors qu'on aurait pu s'attendre à un résultat inverse.
Pour les auteurs, les mécanismes sous-jacents aux effets diabétogènes des statines sont « mal compris », même si plusieurs hypothèses sont avancées, notamment la piste d’une susceptibilité génétique.
Bien que plusieurs études aient évalué les variations de sensibilité à l’insuline pendant le traitement par statines, « nous n’observons pas de modification de la résistance à l’insuline, évaluée par les taux d’insulinémie à jeun », expliquent-ils.
Aussi, bien qu’il ait été montré in vitro que les statines limitent la sécrétion d’insuline par les cellules bêta du pancréas, ces données n’ont pas été confirmées in vivo.
Globalement, «l’ensemble de la littérature publiée à ce jour suggère plutôt que les statines accélèrent la survenue du diabète plutôt qu'elle ne l'induise directement», concluent les chercheurs.
L’étude a été financée par :
-National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases, National Institutes of Health, General Clinical Research Center Program, National Center for Research Resources, Department of Veterans Affairs, National Institute of Child Health and Human Development, National Institute on Aging, National Eye Institute, National Heart, Lung, and Blood Institute, Office of Research on Women's Health, National Institute on Minority Health and Health Disparities, Centers for Disease Control and Prevention, and American Diabetes Association.
- Bristol-Myers Squibb, Parke-Davis, LifeScan, Health O Meter, Hoechst Marion Roussel, Lipha (Merck-Sante), Merck-Medco Managed Care, Merck, Nike Sports Marketing, Slimfast Foods, Quaker Oats, McKesson BioServices, Matthews Media Group, et la fondation Henry M Jackson.
Les auteurs n’ont pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.
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Citer cet article: Statines : un sur-risque de diabète de 30 % chez les patients à haut risque - Medscape - 2 nov 2017.
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