Hambourg, Allemagne— Depuis 2008, les autorités de santé (EMA et Afssaps à l’époque) recommandent de ne pas utiliser les antihypertenseurs IEC et les ARA II au cours du premier trimestre de la grossesse et interdisent leur utilisation au cours des 2ème et 3ème trimestres. Pourtant, près de 10 ans plus tard, « des femmes enceintes continuent d’être exposées en cours de grossesse, ce qui peut avoir des conséquences graves, voire fatales, pour le fœtus ou le nouveau-né », s’alarme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans un communiqué en date du 18 octobre 2017[1].
Le problème est d’autant plus important que la proportion de femmes enceintes traitées par hypertenseurs augmente depuis des années, probablement en raison de l’obésité et de l’âge de la maternité.
Rappel des recommandations
L’ANSM rappelle donc :
-que les IEC et les ARA II sont contre-indiqués aux 2ème et 3ème trimestres de la grossesse et déconseillés au 1er trimestre ;
-que les femmes en âge de procréer traitées par IEC ou ARA II doivent être informées de ces risques et de la nécessité de planifier leur grossesse afin de pouvoir modifier leur traitement avant la grossesse ;
-qu’en cas de projet de grossesse ou de grossesse déjà débutée, le traitement par IEC ou ARA II doit être arrêté et si nécessaire relayé par une alternative thérapeutique compatible avec la grossesse.
-que la découverte d’une grossesse chez une patiente traitée par un de ces médicaments doit conduire à l’arrêt du traitement et, si nécessaire, un traitement alternatif sera prescrit.
-qu’en cas d’exposition à partir du 2ème trimestre de la grossesse, il est recommandé de stopper immédiatement le traitement et d’effectuer une échographie fœtale afin de vérifier le volume amniotique, l’aspect des reins et des os de la voute du crâne. Le nouveau-né devra être surveillé sur le plan rénal (créatininémie, kaliémie) ainsi que sur le plan tensionnel si la mère a été traitée jusqu’à l’accouchement.
Quels sont les risques ?
L’exposition à un IEC ou un ARA II au cours du 2ème ou du 3ème trimestre de la grossesse peut entraîner une toxicité fœtale et néonatale pouvant être fatale. Il s’agit notamment d’une atteinte de la fonction rénale avec diminution du liquide amniotique (oligoamnios voire anamnios) pouvant être associée à un retard d’ossification de la voute du crâne, et entraîner une mort fœtale in utero. À la naissance, le nouveau-né peut développer une insuffisance rénale irréversible, une hypotension, une hyperkaliémie.
En cas d’exposition à un IEC ou un ARA II au cours du 1er trimestre : une étude publiée en 2006[2] a montré une augmentation des malformations congénitales, en particulier cardiaques. Ces données n’ont pas été confirmées depuis mais par précaution, il a été décidé de déconseiller leur utilisation au cours du premier trimestre de la grossesse.
Un problème qui dépasse largement celui des IEC et des ARA II
Si l’ANSM a souhaité tirer le signal d’alarme sur les prescriptions d’IEC et d’ARA II foetotoxiques pendant la grossesse, le problème est bien plus vaste. Il touche d’autres classes thérapeutiques, comme l’a rappelé récemment le scandale autour de l’antiépileptique acide valproïque (Dépakine®, Dépakote® et Gé.), responsable de nombreuses malformations et de troubles neurocomportementaux chez les enfants exposés in utéro (voir article Medscape ).
La problématique de la iatrogénie médicamenteuse pendant la grossesse n’est d’ailleurs pas cantonnée à la France. Une étude récente réalisée aux Etats-Unis[3]a révélé que plus de quatre femmes américaines sur cinq prenaient au moins un médicament au cours de leur grossesse et que dans 40% des cas, le médicament utilisé était potentiellement délétère pour le fœtus (ibuprofène, contraceptifs hormonaux, benzodiazépine témazépam, statines, warfarine...).
De nouveaux pictogrammes « femmes enceintes » sur les boites
Pour tenter de réduire l’exposition aux médicaments dangereux pendant la grossesse, depuis le 17 octobre, sur décision du ministère des solidarités et de la santé, des pictogrammes représentant une femme enceinte entourée d’un cercle barré ou d’un triangle rouges sont apposés sur les boîtes de médicaments à risque.
Au final, la mesure devrait concerner 60 % des boites de médicament. Mais, ces logos tirent leur origine de celui apposé sur les boites d’acide valproïque suite au combat de Marine Martin, Présidente de l’Association d'Aide aux Parents d'Enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (APESAC, France), fer de lance du combat des victimes de l’acide valproïque en France, elle-même mère de deux enfants victimes de la Dépakine®.
Le pictogramme circulaire interdit avec silhouette de femme enceinte devrait apparaitre rapidement sur les boites d’ARAII et d’IEC, a annoncé l’ANSM.
Liste des molécules ARAII et des IEC commercialisées en France en 2017
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
Benazepril, Captopril, Cilazapril, Enalapril, Fosinopril, Imidapril, Lisinopril, Moexipril, Perindopril, Quinapril, Ramipril, Trandolapril, Zofenopril
Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II)
Candesartan, Eprosartan, Irbesartan, Losartan, Olmesartan, Telmisartan, Valsartan
*Pour plus de précisions sur la prise en charge de l’hypertension chez la femme enceinte, voir le consensus d’experts HTA et grossesse de la Société Française d’Hypertension Artérielle (SFHTA).
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Citer cet article: Aude Lecrubier. Encore trop de femmes enceintes reçoivent des IEC et des ARA II - Medscape - 30 oct 2017.
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