Quand la psilocybine des champignons hallucinogènes « reboote » le cerveau 

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

27 octobre 2017

Londres, Royaume-Uni – La recherche anglaise, et en particulier l’équipe menée par le Dr David Nutt (centre de psychiatrie, Imperial College London), a montré ces dernières années que la psilocybine (substance contenue dans les champignons hallucinogènes) est un traitement potentiel de la dépression, tout comme d’autres molécules psychédéliques. Cette fois, les chercheurs de l’Imperial College se sont attachés à comprendre comment la psilocybine agit au niveau cérébral pour entrainer des améliorations de l’humeur, et les maintenir à distance de la prise (5 semaines) [1]. C’est la première fois qu’il mène une étude d’imagerie, non pas sur des volontaires sains [2], mais sur 19 patients dépressifs dont 47% étaient comme « re-bootés » le lendemain de la prise. De façon anecdotique, les chercheurs rapportent que les meilleurs « trip » étaient prédictifs de la réponse à 5 semaines. Malgré ces résultats enthousiasmants, les neurobiologistes mettent en garde contre l’automédication.

Un agoniste des récepteurs 5-HT2 de la sérotonine

La psilocybine (PY, 4-phosphoryloxy-N, N-diméthyltryptamine) est la principale substance psychoactive des champignons hallucinogènes [3]. Après ingestion, la psilocybine est transformée en une forme pharmacologiquement active, la psilocine. La psilocine elle-même est également présente dans le champignon, mais en quantité inférieure. La psilocybine et la psilocine sont toutes les deux des indolealkylamines et ont une structure similaire au neurotransmetteur sérotonine (5-hydroxytryptamine ou 5-HT). À faibles doses, les drogues hallucinogènes, tels que la psilocybine et la psilocine, ont comme effet principal une altération des perceptions, de la pensée ou de l’humeur, tout en préservant la lucidité et avec des effets minimes sur la mémoire et l’orientation.

Un impact potentiel sur la dépression résistante

Au cours des dernières années, les études cliniques montrant l’efficacité et la sécurité des substances psychédéliques chez des patients atteints de dépression se sont multipliées. La première étude clinique avec psilocybine chez l’homme a été publiée l’année dernière par cette même équipe de l’Imperial College London qui s’est spécialisée dans l’étude des substances psychédéliques pour les pathologies psychiatriques. Douze patients, déprimés cliniquement depuis très longtemps (17,8 ans en moyenne) et dont aucun n’avait répondu aux traitements standards comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (SSRIs) ou l’électroconvulsivothérapie ont reçu deux doses de psilocybine (10 et 25 mg à une semaine d’intervalle). Une semaine après la deuxième prise, tous les patients ont connu une nette amélioration de leurs symptômes et trois mois après, 5 d’entre eux étaient considérés comme étant en rémission complète [4]. Depuis, d’autres études ont été publiées montrant l’impact bénéfique de la psilocybine contre l’anxiété en soins palliatifs, dans les addictions et le trouble obsessionnel compulsif, avec souvent juste une ou deux prises. De tels résultats ne sont pas sans soulever un certain nombre de questions et notamment : par quels mécanismes cérébraux sont médiés ces effets ?

Etude du flux sanguin cérébral et de la connectivité

Après avoir montré que les drogues psychédéliques, en l’occurrence, le LSD augmentait la connectivité cérébrale [5], les chercheurs de l’Imperial College ont mené une nouvelle étude, cette fois avec la psilocybine, dans laquelle ils ont inclus initialement 19 patients avec une dépression résistante aux traitements (42 ans d’âge moyen, 4 femmes). Ces derniers se sont vus donner 2 doses de psilocybine (10 mg et 25 mg) à 1 semaine d’intervalle. Tous ont bénéficié d’une IRM fonctionnelle initiale (avant tout traitement) et 1 jour après la deuxième dose (25 mg). L’imagerie a été utilisée, d’une part pour mesurer le flux sanguin cérébral, d’autre part, pour évaluer la connectivité entre les différentes régions du cerveau. En parallèle, les patients ont rempli un questionnaire à 16 items (QIDS-SR16) pour estimer les symptômes dépressifs, en début d’étude, au moment de l’imagerie (1 jour après la plus forte dose) et à 5 semaines pour évaluer les modifications sur le long terme.,

Le jour d’après, 47% des patients significativement améliorés

Quasi immédiatement après le traitement par psilocybine, les patients rapportent une diminution des symptômes dépressifs –les patients parlant même d’un effet « afterglow » (une douce euphorie) pour décrire l’amélioration de l’humeur et la diminution de l’angoisse. D’ailleurs, alors que le score de dépression (QIDS-SR16) dans la semaine qui a précédé la prise du traitement était de 16,9 + 5,1, il n’était plus que de 8,8 + 6,2 dans la journée qui a suivi la deuxième dose; soit une différence de 8,1 + 6 (p < 0,001). Un effet qui s’est maintenu dans le temps puisque la comparaison des scores QIDR-SR16 entre l’inclusion et la 5ième semaine après la prise de psilocybine a fait apparaitre une différence de 8,0 + 5,1 (p < 0,001). A cette échéance, 47 % (p < 0,001) des patients atteignaient le critère primaire de l’étude, à savoir une diminution > 50% du score QIDS-SR16, sachant que sur les 19 patients, tous ont montré une diminution de leurs symptômes dépressifs 1 semaine post-traitement, précisent les auteurs.

Very good trip

L’imagerie fonctionnelle a montré des flux sanguins diminués dans des régions du cerveau, y compris l’amygdale, impliquées dans la gestion de la réponse émotionnelle, au stress et à la peur. En se basant sur de précédents résultats montrant une augmentation du flux sanguin et du métabolisme dans l’amygdale des patients dépressifs, les chercheurs ont cherché et trouvé une corrélation significative entre cette diminution et l’amélioration de l’humeur 1 semaine après traitement (r = 0,59 ; p=0,01).

Toujours par IRMf, les chercheurs se sont intéressés à la connectivité entre 4 régions cérébrales différentes que l’on sait être impliquées dans la dépression, à savoir le cortex cingulaire antérieur (ACC), cortex préfrontal ventromédian (vmPFC), l’amygdale bilatérale et la région de l’hippocampe. Ils ont observé une augmentation de la connectivité fonctionnelle des réseaux à l’état de repos après traitement par psilocybine. En particulier, une augmentation de la connectivité entre le cortex préfrontal ventromédian (vmPFC) et la partie postéro-inférieur et bilatérale du lobe pariétal. Celle-ci s’est révélée prédictive de la réponse au traitement à 5 semaines. Deux autres critères étaient, eux aussi, prédictifs de la réponse à moyen terme : d’une part, la diminution de la connectivité dans la région de l’hippocampe (PH), et de plus façon plus curieuse, le fait d’être « monté très haut », d’avoir expérimenté un trip particulièrement « mystique ».

« Reset » et autres analogies informatiques

Ces résultats donnent un aperçu de ce qui se passe dans le cerveau, et sont assez différents de ce qui est décrit en phase aiguë, soulignent les chercheurs qui ont précédemmenté mis l'hypothèse que les hallucinogènes entrainent une “désintégration” initiale des réseaux neuronaux – qui s’accompagnerait d’une dissolution de l’ego – laissant ensuite place à une “réintégration”. Cela suggère à Robin Carhart-Harris, premier auteur de nombre d’articles sur le sujet, que les psychédéliques pourraient réinitialiser, comme les « reset » d’ordinateur, les réseaux associés à la dépression, permettant au patient de sortir de cet état [6].

D’ailleurs, l’analogie avec l’informatique a été retrouvé à plusieurs reprises dans les propos des patients décrivant leur expérience sous psilocybine. Outre le fait d’avoir été comme « ré-initialisé (reset)», certains ont évoqué l’impression d’avoir été défragmenté à la manière d’un disque dur, et d’autres ont dit avoir été « re-booté », comme si la psilocybine avait permis à ces patients le « redémarrage (kick-start) » dont ils avaient besoin pour se sortir de l’état dépressif [6], explique le chercheur. Des effets similaires ont été mentionnés avec l’électroconvulsivothérapie (ECT).

Si ces résultats sont très prometteurs, les chercheurs mettent toutefois en garde les patients déprimés contre l’automédication, en précisant qu’en dehors d’un contexte thérapeutique bien défini, l’expérience peut vite partir « en vrille ». A l’avenir, des études plus « robustes » en termes de protocole sont prévues, avec plus de patients et un groupe placebo. L’une d’entre elles devrait démarrer en début d’année prochaine.

Après la psilocybine, l’ayahuasca 

Parmi les autres substances psychédéliques qui connaissent un regain d’intérêt, l’ayahuasca figure en bonne place. On observe actuellement un nombre croissant de travaux dans la littérature scientifique sur les potentialités thérapeutiques des alcaloïdes contenus dans cette boisson à base de lianes, consommée traditionnellement par les chamanes des tribus indiennes d'Amazonie. Une des dernières publications sur le sujet relate l’expérience du neuroscientifique Jaime Hallak (Université de São Paulo, Brésil) qui a donné une dose légère d’ayahuasca à 6 volontaires diagnostiqués pour une dépression modérée à sévère, et non-répondants aux anti-dépresseurs classiques [7]. Aucun n’avait fait l'expérience de l’ayahuasca auparavant. Deux à trois heures après l’absorption, des améliorations de l’humeur significatives ont été notées par les observateurs et ont persistées pendant les 3 semaines qui ont suivi. « C’est la preuve de concept de ce que rapportent les participants à de nombreux rituels utilisant l’ayahuasca. La boisson peut aider à se sentir super bien, pas juste pendant l’expérience mais pendant les jours et les semaines qui suivent » commente Brian Anderson, un psychiatre de l’Université de Californie pour Nature[7]. « Reste à établir une corrélation entre les effets psychédéliques de l’ayahuasca et ses effets thérapeutiques de façon empirique » ajoute-t-il.

Les travaux ont été soutenus financièrement par le Medical Research Council, le Alex Mosley Charitable Trust et la Safra Foundation.

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