AOD : majoration du risque hémorragique avec 4 médicaments dont l’amiodarone

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

20 octobre 2017

Taoyuan City, Taiwan — Une vaste analyse rétrospective menée chez des sujets en fibrillation auriculaire (FA) non valvulaire, traités par anticoagulants oraux directs (AOD) a recherché le taux d’hémorragies sévères en fonction de la co-prescription ou pas, d’autres médicaments largement utilisés chez ces patients. Le résultat est sans appel : il existe d’importantes variations du taux d’hémorragies sévères en cas de co-prescription avec l’amiodarone, le fluconazole, la rifampicine et la phénytoïne.  Les résultats sont publiés dans le Journal de l’American Medical Association.[1]

Interactions médicamenteuses : les AOD moins étudiés que les AVK

Les possibilités d’interactions médicamenteuses, nombreuses avec les AVK, sont bien connues. Elles ont également été listées pour les AOD  par l’ANSM en 2014 (tableau ANSM, pp 49-50) tout en laissant un certain nombre d’inconnues.

Les augmentations peuvent être très importantes, en particulier avec le fluconazole qui « doit être évité chez les sujets sous AOD », écrivent les auteurs.

Certainement d’un emploi plus fréquent chez ces patients, l’amiodarone aussi est associée à un sur-risque, qui « excède probablement tout le bénéfice que cette association peut procurer ».

Associés à un AOD, d’autres médicaments semblent au contraire en réduire le risque hémorragique. Dans cette catégorie, on note en particulier l’atorvastatine, que mentionne l’ANSM en 2014, tout en ne signalant aucun risque particulier, et qui dans l’étude taiwanaise, semble associée à un bénéfice inattendu sur les saignements.

La conclusion générale est cependant en faveur d’une prudence systématique : « les médecins prescrivant un AOD doivent envisager les risques potentiels associés à un traitement concomitant ».

 
L’amiodarone est associée à un sur-risque, qui « excède probablement tout le bénéfice que cette association peut procurer. 
 

Plus de 90 000 patients, 3 AOD et 12 médicaments de coprescription

Quoique rétrospective, l’étude taiwanaise présente l’avantage de l’exhaustivité à l’échelle d’une population, puisqu’elle a été menée dans les bases de données de l’assurance santé nationale.

Elle porte sur un total de 91 330 patients en FA non valvulaire qui ont reçu au moins une prescription d’AOD entre 2012 et 2016 (75 ans en moyenne ; 56% d’hommes ; CHA2DS2-Vasc : 3,9 ; HASBLED : 3,3).

Durant le suivi, 54 006 (59,1%) des patients ont été exposés au rivaroxaban (Xarelto®, Bayer), 45 347 (49,7%) au dabigatran (Pradaxa®, Boehringer Ingelheim), et 12 886 (14,1%) à l’apixaban (Eliquis®, BMS).

L’edoxaban (Lixiana®, Daiichi Sankyo) ne figure pas dans l’étude, n’ayant été introduit à Taiwan qu’après 2016.

Les médicaments testés en tant que co-prescription sont :

  • Des substrats ou inhibiteurs de la glycoprotéine-P (P-gp : transporteur d’efflux impliqué dans la biodisponibilité de nombreux médicaments, à l’échelle de l’organisme comme à l’échelle cellulaire) : digoxine, vérapamil, diltiazem, amiodarone, cyclosporine.

  • Des inhibiteurs du CYP3A4 (cytochrome de la famille des cytochromes P450, impliqués dans la métabolisation de nombreux médicaments. C’est le CYP3A4 qu’inhibe le jus de pamplemousse) : fluconazole, kétonazole ou itraconazole ou voriconazole ou posaconazole.

  • Des médicaments interagissant à la fois avec la P-gp et le CYP3A4 : atorvastatine, érythromycine ou clarithromycine, rifampicine, phénytoïne, dronédarone. 

Les trimestres (durée maximale d’une prescription à Taiwan, entre deux renouvellements) durant lesquels les patients ont été exposés à un AOD et à l’un des médicaments susceptibles d’interagir, ont été comptabilisés et rapportés à l’ensemble des trimestre.patients observés dans l’étude.

On remarque la fréquence de certaines co-prescriptions : l’association AOD-atorvastatine est ainsi retrouvée dans 27,6% des trimestre.patients, l’association AOD-diltiazem, dans 22,7%, AOD-digoxine, dans 22,5%, et AOD-amiodarone, dans 21% des cas.

Sur un total de 44.7037 trimestre.patients, 4770 saignements majeurs ont été enregistrés comme diagnostic primaire lors d’une hospitalisation ou d’une visite aux urgences.

 
L’atorvastatine semble associée à un bénéfice inattendu sur les saignements.
 

L’incidence de ces diagnostics durant les périodes sous association médicamenteuse a été comparée à l’incidence sous AOD seul. Après ajustements pour de nombreuses caractéristiques démographiques, sociales, et médicales, les résultats sont les suivants. 

Co-prescriptions augmentant le risque hémorragique (Taux pour 1000 année.patients)

 

Amiodarone

Fluconazole

Rifampicine

Phénytoïne

AOD + coprescription

52,04

241,92

103,14

108,52

AOD seul

38,09

102,77

65,66

56,07

Différence

13,94

138,46

36,90

52,31

Risque relatif [IC99%]

1,37 [1,25-1,50]

2,35 [1,80-3,07]

1.57 [1,02-2,41]

1,94 [1,59-2,36]

 

Co-prescriptions réduisant le risque hémorragique (Taux pour 1000 année.patients)

 

Atorvastatine

Digoxine

Erythro/clarithromycine

AOD + coprescription

34,57

45,69

59,38

AOD seul

48,96

50,14

99,28

Différence

-14,38

-4,46

-39,78

Risque Relatif [IC99%]

0,71 [0,64 - 0,78]

0,91 [0,83 – 0,99]

0,60 [0,48 – 0,75]

 

Le vérapamil, le diltiazem, la cyclosporine, le kétonazole et les autres dérivés azolés, et la dronédarone sont neutres sur le risque hémorragique de l’AOD.

On note enfin que les risques liés aux co-prescriptions ne diffèrent pas d’un AOD à l’autre.

Des données analogues mériteraient d’être collectées en Europe

Les deux coprescriptions les plus fréquentes avec un AOD sont naturellement l’amiodarone et l’atorvastatine.

Dans son Thésaurus des Interactions Médicamenteuses l’ANSM signale un sur-risque de l’amiodarone associée au dabigatran. L’anti-IIa (le rivaroxaban et l’apixaban sont des anti-Xa)  représente environ la moitié des expositions, en trimestre.patients, dans l’étude taiwanaise. Le sur-risque hémorragique associé spécifiquement au dabigatran pourrait donc être plus élevé que celui rapporté globalement pour les trois AOD.

Les auteurs signalent d’ailleurs qu’une sous-analyse de l’essai ARISTOTLE n’avait pas montré de différence de risque de saignement majeur en fonction de la prise, ou non, d’amiodarone avec l’apixaban.

S’agissant de l’atorvastatine, la bonne nouvelle est l’effet protecteur vis-à-vis des saignements induits par les AOD. Dans les conditions d’étude, il ne peut bien sûr s’agir que d’une hypothèse. Les auteurs rappellent cependant qu’une « réduction des AVC, sans augmentation des hémorragies intracrâniennes a été rapportée avec l’atorvastatine. Le taux de saignement plus faible associé à l’atorvastatine, observé dans cette étude, pourrait être en partie relié à la prévention des transformations hémorragiques après AVC ischémique ».

L’une des  limites de l’étude, du moins pour une lecture occidentale, tient bien sûr à son recrutement et donc à la possibilité d’en généraliser les résultats : « il est reconnu que le risque de saignement et le traitement anticoagulant diffèrent dans une population asiatique et dans une population occidentale ». Peut-être qu’un travail équivalent mériterait donc d’être refait dans des pays occidentaux disposant de bases de données adéquates.

Les auteurs soulignent que, si les mêmes observations sont été faites dans l’étude avec les 3 AOD, rien ne permet d’extrapoler les résultats à l’edoxaban (commercialisé après 2016 à Taiwan). Enfin, l’étude ne dispose pas de données sur la fonction rénale et hépatique des participants qui peut avoir interférer dans les interactions médicamenteuses.

 
Les risques liés aux co-prescriptions ne diffèrent pas d’un AOD à l’autre.
 
L’étude a été financée par le Chang Gung Memorial Hospital, et le Ministère des Sciences et Technologies taiwanais.

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

 

 

 

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