Cas clinique: valvulopathie chez une femme sportive asymptomatique

Dr Marie-Christine Malergue

19 octobre 2017

Il s’agit d’une double valvulopathie médicamenteuse.

En effet, si l’on regarde bien la valve mitrale, on constate qu’elle n’est pas normale (boucle 2) ; les deux feuillets sont épaissis, restrictifs avec un tenting. La valve aortique est épaissie et un peu calcifiée mais   il n’y a pas d’argument direct, ni indirect, en coupe transverse petit axe pour une bicuspidie; l’anneau est de taille normale et l’aorte ascendante n’est pas dilatée.

Boucle 2: 2D apicale 3 cavités

Cette double valvulopathie restrictive doit faire évoquer une valvulopathie médicamenteuse ; en effet, il n’y a aucun antécédent de rhumatisme articulaire aigu. La patiente est d’origine française et la possibilité d’un RAA est très peu vraisemblable sur le territoire, RAA  ayant  pratiquement totalement disparu dans l’hexagone  depuis les années 50. Pourtant à l’interrogatoire, elle ne décrit pas de prise de coupe faim, ni de produits ergotés pour sa névralgie d’Arnold qu’elle « traite » par de simples antalgiques.

En poussant l’interrogatoire, elle précise  qu’elle pesait 105 kgs à  l’âge de 20 ans  et qu’elle a perdu 45 kg  grâce à la course à pied. C’est la raison qui la motive à continuer cette activité physique afin ne pas reprendre de poids. L’énoncé des produits anorexigènes en particulier la dexfenfluramine (Isoméride), lui permet de se souvenir de la prise de ce médicament avant 1997. C’est à la suite de la publication de Heidi Connolly (N Engl J Med 1997 ;337:581-8) que le produit fut interdit.

L’hypothèse d’une valvulopathie médicamenteuse est donc fort probable d’autant que le scanner cardiaque (figure 10) confirme que la valve aortique est bien tricuspide, avec un épaississement du bord libre des sigmoïdes, un defect central et un aspect des sigmoïdes « en bout d’allumette ». Ces anomalies sont celles décrites dans les valvulopathies médicamenteuses. L’association à une valvulopathie mitrale est également très évocatrice.

Sur le scanner des coronaires (figure 11), on découvre des lésions coronariennes qui paraissent sévères.  La coronarographie confirmera la présence de lésions tri-tronculaires : sténose significative de l’IVA proximale, englobant l’ostium de la 1° diagonale, sténose significative de l’ostium de la 1° marginale,  et sténose significative courte de la coronaire droite proximale.

Figure 11: Coroscanner

En raison de la gravité des lésions coronaires et de la double valvulopathie mitro aortique, il est décidé d’opérer la patiente, en réalisant un quadruple pontage et un remplacement de la valve aortique par une bioprothèse de taille 23. La mitrale, bien que morphologiquement pathologique mais n’entraînant qu’une petite fuite mitrale restrictive, est respectée.

En per opératoire (figure 12), le chirurgien constate une valve aortique tricuspide fibrosée, très épaisse, avec de rares calcifications et une ouverture très limitée.

Figure 12: Vue macroscopique per opératoire (source: Dr Zannis) 

La valve fait l’objet d’une analyse anatomopathologie retrouvant une architecture conservée ; sur les sections de la valve, on reconnait bien la fibrosa et la spongiosa. On retrouve une importante fibrose endocardique en plaque atteignant deux tiers de la valve. Il est retrouvé quelques calcifications. L’aspect est donc compatible avec une toxicité médicamenteuse et des lésions dégénératives fibro calcifiées ; une origine rhumatismale s’accompagnerait d’une destruction de l’architecture de la valve, de signes inflammatoires associés à une néo vascularisation.

La dexfenfluramine est un amphétaminique initialement prescrite chez les sujets diabétiques, son efficacité en tant qu’anorexigène a fait qu’il a été largement prescrit chez les patients en surpoids.

Sa toxicité pulmonaire a été rapportée en 1996 par Lucien Abenhaim (N Engl J Medicine 1996;335:609-616) peu avant sa toxicité valvulaire décrite par Connolly. Le produit sera interdit en 1997.

Chez notre patiente, la prise de ce médicament avait été oubliée et c’est par un interrogatoire insistant que l’on a pu retrouver la prise d’Isoméride®… d’autant qu’elle avait trouvé un autre moyen de maigrir dans la pratique physique et qu’elle n’avait plus utilisé d’autre coupe faim après l’arrêt de la dexfenfluramine. Ainsi, il aura fallu attendre 20 ans pour découvrir cette double valvulopathie. La coexistence de lésions coronaires n’a naturellement aucun lien avec la prise médicamenteuse.

Après 3 mois de convalescence, la patient a repris la course à pied.

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