Certificats en rapport avec le monde du travail : hausse des plaintes contre les généralistes

Jean-Bernard Gervais

16 octobre 2017

Paris, France —  C’est un fait : depuis une dizaine d’années, le nombre de médecins attaqués par des employeurs devant des cours disciplinaires est de plus en plus médiatisé. Seulement, aucune étude n’avait jusqu’à présent tenté de quantifier le nombre de ces plaintes. C’est désormais chose faite, grâce au Dr Mathilde Boursier, qui a consacré sa thèse de médecine générale à ce sujet : « évolution du nombre de plaintes et doléances aux conseils départementaux de l’ordre contre des médecins contre des médecins généralistes pour des certificats en rapport avec le monde du travail entre 2011 et 2015 ».

Une trentaine d’affaires entre 2011 et 2015 concernant des MG

L’auteur de cette thèse s’est donc concentré sur les plaintes des employeurs contre des médecins généralistes, lorsque ces derniers émettent des certificats en rapport avec le monde du travail. En introduction elle rappelle que le nombre de plaintes devant toute sorte de juridiction, suite au vote de la loi Kouchner en 2002, s’est stabilisé depuis 2009. Pour les médecins généralistes, néanmoins, le nombre de plaintes ordinales est légèrement plus élevé que pour les autres spécialistes, et la chambre disciplinaire nationale a jugé une trentaine d’affaires entre 2011 et 2015 concernant des médecins généralistes mis en cause pour des certificats en rapport avec le monde du travail.

Doublement des plaintes entre 2011 et 2015

Mais la littérature ne recelait jusqu’à présent aucune donnée sur le nombre de plaintes déposées devant les conseils départementaux de l’ordre des médecins (CDOM). Pour le déterminer, Mathilde Boursier a donc adressé un questionnaire informatisé aux 96 CDOM. Seuls 17 CDOM ont répondu à cette enquête, soit 17,7%. L’étude couvre la période entre 2011 et 2015. Dans 1 cas sur 2 en moyenne, ce sont les médecins généralistes qui sont mis en cause dans ces plaintes : 38,8% en 2011, 50,5% en 2012, 46,3% en 2013, 48,7% en 2014 et 46% en 2015.

Cette thèse révèle surtout une forte augmentation des plaintes contre des médecins généralistes pour l’émission de certificats destinés à l’employeur. En 2011, le pourcentage moyen de plaintes concernant des médecins généralistes pour des certificats en rapport avec le monde du travail était de 6,8% en 2011, de 8,3% en 2012, de 12,2% en 2013, de 11,2% en 2014 et de 13,2% en 2015. Entre 2011 et 2015, le nombre de plaintes contre des médecins généralistes pour des certificats a tout simplement doublé ! Ce sont, à 88,3% des employeurs qui poursuivent lesdits médecins généralistes. Dans la majorité des cas (85%), ces plaintes sont traitées au CDOM, via une conciliation. L’auteur de cette thèse fait néanmoins remarquer que la conciliation est complexe lorsqu’elle « se déroule entre le médecin et un tiers qui n’était pas supposé connaitre la situation médicale du patient ».

Pour 15% d’entre elles, ces plaintes sont renvoyées devant une chambre disciplinaire de première instance. Quant au profil sociodémographique des médecins mis en cause, 77,1 d’entre eux sont des hommes, 60,2% sont âgés entre 51 et 65 ans et leur durée d’exercice est comprise entre 11 et 30 ans.

Discréditer la parole des salariés

Pourquoi une telle augmentation des plaintes depuis 2013 ? L’auteur n’a pas de réponse à cette question. Quant à la finalité de ces plaintes, elle ne peut qu’émettre des hypothèses : « certain.e.s font l’hypothèse qu’ils ou elles  cherchent ainsi à discréditer la parole du salarié, à limiter la portée de ces écrits médicaux dans d’autres procédures : prud’homales, administratives ». Mathilde Boursier souhaite que des statistiques soient réalisées à l’échelle nationale, et ce, depuis 2007. En effet, cette année-là, « l’article R4126-1 qui réglemente la procédure disciplinaire a été modifié […] ce changement est mis en cause dans des publications comme source des plaintes d’employeurs contre des médecins de l’ordre ».

L’Ugict-CGT (la CGT pour les Ingénieurs, Cadres, Techniciens, et Agents de maitrise), qui a défendu des médecins impliqués dans des plaintes déposées par des employeurs, a saisi l’occasion de la publication de cette thèse pour extrapoler ces données à l'échelle nationale. Ramené à la nation, ce serait en effet 400 médecins qui seraient poursuivis chaque année dont 200 généralistes. La conciliation, pour l’Ugcit-CGT, se borne pour le médecin à supprimer le lien entre la santé du salarié et son travail, dans le certificat. Il le fait le plus souvent sous la contrainte.

« Ces chiffres confirment le scandale dénoncé par le collectif Ugict-CGT des médecins du travail depuis des années. Dans leurs plaintes auprès de l’Ordre, les employeurs remettent en cause le lien entre la pathologie du patient et ses conditions de travail. Pour se défendre, les médecins du travail sont contraints de révéler le contenu du dossier et de briser le secret médical, au mépris de toutes les obligations déontologiques ». L’Ugict-CGT rappelle, par ailleurs, aux cotés d’un collectif de défense de la médecine du travail, qu’elle a déposé une requête devant le Conseil d’État pour supprimer la possibilité de plainte des employeurs devant le conseil de l’ordre ».

 
La conciliation, pour l’Ugcit-CGT, se borne pour le médecin à supprimer le lien entre la santé du salarié et son travail, dans le certificat. Il le fait le plus souvent sous la contrainte.
 

 

 

 

 

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