Passer de la cigarette au vapotage pourrait sauver des millions de vies

Aude Lecrubier

12 octobre 2017

Washington-Etats-Unis – Si au cours des 10 prochaines années, la grande majorité des fumeurs devenaient vapoteurs, des millions de vies seraient épargnées d’ici 2100 aux Etats-Unis, selon une étude publiée dans Tobacco Control [1]. Pourtant, cette incitation à remplacer la cigarette par la e-cigarette ne fait pas l’unanimité auprès de tous les acteurs de la lutte anti-tabac.

Alors que, sur le long terme, le tabagisme tue toujours deux fumeurs sur trois, l’équipe du Dr David T Levy (Service d’oncologie, Lombardi Comprehensive Cancer Center, Washington, Etats-Unis) et coll. ont cherché à savoir combien de morts pourraient être évitées si la plupart de fumeurs passaient au vapotage. Pour cela, ils ont envisagé deux scénarios, l’un pessimiste, l’autre optimiste.

Scénario optimiste

Dans le scénario optimiste, les chercheurs ont considéré :

-que les risques liés aux cigarettes électroniques représentaient 5% de ceux du tabac [2,3];

- que seuls 5% des gens continueraient à fumer de manière «traditionnelle» d'ici 2026 (10 % de passage à l’e-cigarette chaque année pendant 10 ans à partir de 2017) ;

-que le taux de non-fumeurs commençant la e-cigarette était similaire au taux de non-fumeurs débutant la cigarette traditionnelle;

- que pendant cette période, les vapoteurs arrêtaient l’e-cigarette dans les mêmes proportions que les fumeurs qui arrêtaient la cigarette.

Scénario pessimiste

Dans le scénario pessimiste, les chercheurs ont considéré :

- que les risques liés aux cigarettes électroniques représentaient 40% de ceux du tabac [4,5] ;

- que 10 % des gens continueraient à fumer de manière «traditionnelle» d'ici 2026 (5 % de passage à l’e-cigarette chaque année pendant 10 ans à partir de 2017) ;

- que le taux de non-fumeurs commençant la e-cigarette était de 150% comparé aux non-fumeurs débutant la cigarette ;

- que les vapoteurs arrêtaient l’e-cigarette deux fois moins souvent que les fumeurs arrêtaient la cigarette traditionnelle.

Les fumeurs qui sont passés à l’e-cigarette avant 40 ans ont été considérés comme « non-fumeurs passés à l’e-cigarette » et ceux qui sont passés au vapotage après 40 ans ont été considérés comme « anciens fumeurs passés à l’e-cigarette ».

Des millions de vies sauvées

Au final, dans l’hypothèse « optimiste », les chercheurs estiment que 6,6 millions de morts pourraient être évitées d'ici 2100 aux Etats-Unis par rapport au scénario « status quo », soit si la situation restait similaire à celle de 2016, où, 19,3% des hommes et 14,1% des femmes fumaient aux Etats-Unis. Globalement, cela représenterait un quart des morts évitées (26,1 millions).

 
Dans l’hypothèse « optimiste », les chercheurs estiment que 6,6 millions de morts pourraient être évitées d'ici 2100 aux Etats-Unis par rapport au scénario « status quo ».
 

Dans l’hypothèse « pessimiste », les chercheurs estiment que 1,6 million de vies seraient épargnées d'ici 2100, soit 6 % de décès en moins comparé au scénario « status quo ».

En termes d’années de vies sauvées,  le scénario « optimiste » permettrait d’épargner 86,7 millions d’années de vie et le scénario « pessimiste » 20,8 millions d’années de vie sur les 248,6 millions d’années de vies qui seraient perdues dans le scénario « status quo », soit respectivement 35 % et 8 % d’années de vies perdues en moins.

Selon les estimations, les bénéfices les plus importants seraient observés chez les plus jeunes avec un gain moyen d’espérance de vie estimé à 0,5 (RR) pour ceux âgés de 15 ans en 2016.

 
Dans l’hypothèse « pessimiste », les chercheurs estiment que 1,6 million de vies seraient épargnées d'ici 2100.
 

Les e-cigarettes et les produits heat not burn bien placés pour détrôner la cigarette

« Notre analyse montre qu’une stratégie de remplacement de la cigarette par la e-cigarette apporte des bénéfices substantiels, même dans l’hypothèse la plus conservatrice concernant les risques », concluent les chercheurs.

Dans un entretien pour l’édition internationale de Medscape, le Dr Levy souligne que la e-cigarette peut-être une nouvelle méthode d’arrêt du tabac pour les fumeurs qui n’ont pas réussi à arrêter avec les méthodes traditionnelles. « Nous observons une baisse drastique du tabagisme chez les personnes qui passent à l’e-cigarette. Et l’important est qu’ils arrêtent de fumer des cigarettes », souligne-t-il.

 
Une stratégie de remplacement de la cigarette par la e-cigarette apporte des bénéfices substantiels Les chercheurs
 

Il ajoute que les bénéfices ne sont possibles que si les fumeurs remplacent la cigarette par la e-cigarette et pas s’ils associent les deux (même s’il y a habituellement une période où ils superposent les deux). Aussi, selon l’oncologue, de nouvelles études suggèrent que la e-cigarette serait moins addictive que la cigarette traditionnelle et qu’il serait donc plus facile de l’arrêter.

Dans un éditorial accompagnant l’article[6], le Pr Marita Hefler (Menzies Schoool of Health Research, Casuarina, Australie) souligne que les e-cigarettes et les nouveaux dispositifs qui chauffent le tabac sans le brûler dits « Heat not Burn » (HNB) « miment de façon si proche le fait de fumer qu’ils sont les mieux placés pour supplanter les produits combustibles du tabac ». Mais, pour elle, le fait que les produits combustibles du tabac soient toujours largement disponibles est, en soi, « une anomalie historique ». Elle ajoute : « on ne pourrait pas imaginer pour tout autre produit de consommation qui tuerait les deux-tiers de ses utilisateurs sur le long terme, qu’il reste légal. »

Elle précise également « qu’une des limites de l’étude de Levy et coll. est l’immense variété de produits de vapotage disponibles ». Comme beaucoup d’autres chercheurs, elle s’inquiète de l’absence de régulation sur les cigarettes électroniques et les produits HNB, sur leur éventuelle toxicité à long terme et sur le fait qu’ils puissent agir comme des portes d’entrée dans le tabagisme.

 
On ne pourrait pas imaginer pour tout autre produit qui tuerait les deux-tiers de ses utilisateurs sur le long terme, qu’il reste légal Pr Marita Hefler
 

Cigarette électronique : la position française

En France, en 2016, le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) a réactualisé son avis de 2014 sur la e-cigarette. En substance, le HCSP se positionne sur la même ligne que la FDA, l’OMS et la HAS ces deux dernières années : « ne pas inciter, ne pas dissuader ». Il avait, par ailleurs, proposé d’interdire le vapotage dans les lieux publics. Or, la récente loi santé (article 28) va dans ce sens puisqu’elle interdit désormais l'usage de la cigarette électronique :

-à l'intérieur des établissements scolaires (école, collège, lycée...) et des établissements destinés à l'accueil, à la formation et à l'hébergement des mineurs ;

-dans les moyens de transport collectif fermés (bus, train, métro, tramway...) ;

-à l'intérieur des lieux de travail fermés et couverts à usage collectif.

 

Liens d’intérêts

Un des auteurs a reçu des financements de Pfizer, Johnson & Johnson et de fabricants de médicaments de substitution du tabac.  Le Pr Hefler n’a pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

 

 

 

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